Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 16 décembre 2008, 07-42.107, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu que Mme X... a été engagée par la société Fauchon le 1er février 2000 par contrat à durée indéterminée en qualité d'assistante commerciale ; qu'elle a été promue le 1er octobre 2000 au poste de chef de zone export ; qu'elle a été licenciée pour faute grave le 25 mai 2004 ; qu'elle a saisi la juridiction prud'homale de demandes tendant à faire juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse et à obtenir le paiement d'un rappel d'heures supplémentaires et de dommages-intérêts au titre d'une inégalité de traitement subie en matière salariale ;

Sur le premier moyen :

Vu l'article L. 212-15-3 I, devenu L. 3121-38 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable ;

Attendu que, selon cet article, la durée de travail des cadres ne relevant pas des dispositions des articles L. 212-15-1 et L. 212-15-2 devenus L. 3111-2 et L. 3121-39 peut être fixée par des conventions individuelles de forfait établies sur une base hebdomadaire, mensuelle ou annuelle ; qu'il en résulte que ces conventions doivent nécessairement être passées par écrit ;

Attendu que pour rejeter la demande de la salariée de paiement d'un rappel de salaire et de dommages-intérêts fondée sur l'accomplissement d'heures supplémentaires, l'arrêt retient que la convention de forfait en jours ne nécessite pas un écrit et peut être démontrée par tous moyens ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'aucune convention de forfait en jours n'avait été passée par écrit entre la société et la salariée, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;



Et sur le second moyen :

Vu le principe " à travail égal, salaire égal " ;

Attendu qu'au regard de ce principe, la seule différence de diplômes, alors qu'ils sont d'un niveau équivalent, ne permet pas de fonder une différence de rémunération entre des salariés qui exercent les mêmes fonctions, sauf s'il est démontré par des justifications, dont il appartient au juge de contrôler la réalité et la pertinence, que la possession d'un diplôme spécifique atteste de connaissances particulières utiles à l'exercice de la fonction occupée ;

Attendu que pour rejeter la demande de paiement d'un rappel de salaire et de dommages-intérêts au titre d'une inégalité de traitement en matière de rémunération, l'arrêt retient qu'en application des articles L. 133-5 10° et L. 136-2 du code du travail, l'employeur peut déterminer librement des rémunérations différentes en fonction des compétences et capacités de chacun des salariés, qu'une égalité de rémunération ne doit être assurée qu'entre tous les salariés placés dans une position identique ; qu'il appartient à l'employeur d'établir que la disparité constatée par le salarié est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; que l'une des deux salariées, Mme Y..., dont fait état Mme X... pour démontrer l'existence d'une " discrimination salariale ", et qui occupait le poste de chef de zone export, pouvait se prévaloir d'une qualification supérieure dans la mesure où elle possédait un diplôme d'études supérieures délivré par l'Université de Paris-Dauphine ainsi qu'une maîtrise de langues étrangères appliquées au management, à la gestion et au marketing ;

Qu'en statuant comme elle a fait, alors que Mme X..., qui occupait la même fonction de chef de zone export que Mme Y..., possédait des diplômes de niveau équivalent, ayant obtenu un DESS de droit de l'exportation et un DEA de droit de l'économie internationale, sans préciser en quoi les diplômes obtenus par Mme Y... attestaient de connaissances particulières utiles à l'exercice de la fonction occupée, de sorte qu'ils justifiaient une différence de rémunération, la cour d'appel a violé le principe susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté les demandes de la salariée relatives au paiement d'un rappel de salaire et de dommages-intérêts au titre d'heures supplémentaires et au titre d'une inégalité de traitement subie en matière salariale, l'arrêt rendu le 27 février 2007, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société Fauchon aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Fauchon à payer à Mme X... la somme de 2 500 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du seize décembre deux mille huit.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils pour Mme X...



PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Madame X... de ses demandes en rappel de salaires et de dommages-intérêts fondées sur l'accomplissement d'heures supplémentaires de travail ;

AUX MOTIFS PROPRES QU'« aux termes des articles L212-5, L212-15-2 et L212-15 § III du code du travail que le salarié, entrant dans la catégorie des cadres non dirigeants, qui bénéficie d'une convention de forfait dans laquelle est fixé le nombre de jours travaillés est exclu des dispositions légales relatives aux heures supplémentaires et aux durées maximales quotidienne et hebdomadaire du travail ; la convention de forfait ne nécessite pas un écrit et peut être démontrée par tous moyens ;

La société appelante a mis en place à partir du 1er janvier 2001 les mesures de réduction du temps de travail ; en vertu d'un avenant au contrat de travail en date du 26 mars 2001 l'appelante a été promue au statut de cadre niveau 7 moyennant une rémunération mensuelle de base de 1 865, 97 euros ; en raison de son nouveau statut, elle entrait dans la catégorie des salariés visés par les dispositions de l'article L212-15- § 3 du code du travail ; en effet l'article 5-7-2 de la convention collective précise que les salariés classés à partir de ce niveau relèvent du forfait défini en jours de travail en raison de l'autonomie dont ils bénéficient ; il résulte des bulletins de paye produits qu'à compter du mois d'avril 2001 la rémunération versée était la contrepartie d'un forfait annuel de 215 jours de travail ; les deux autres chefs de secteur étaient assujettis au même forfait ; l'appelante n'a émis aucune contestation sur l'application de ce forfait pendant près de trois années, se traduisant notamment par l'attribution de jours de congés au titre de la réduction du temps de travail, mentionnés régulièrement sur les bulletins de paye ; il résulte donc de l'ensemble de ces éléments que celle-ci a bien accepté le bénéfice d'une convention de forfait ; l'article L212-15- § 3 du code du travail exclut la possibilité pour l'appelante de bénéficier des dispositions de l'article L212-1 du code du travail et donc de revendiquer le paiement d'heures supplémentaires » ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « Mademoiselle X... revendique le paiement d'heures supplémentaires effectuées durant les quelques quatre années de travail au sein de la société Fauchon.

Pour ce faire, Mademoiselle X... produit un décompte établi par ses soins de l'ensemble de ses horaires de travail sur 4 ans.

Mais, à titre principal, que Mademoiselle X... ne rapporte aucun élément à l'appui de ses prétentions justifiant d'une part que les heures supplémentaires ont été imposées par l'employeur ou réalisées avec son accord, pas plus qu'elle ne justifie d'autre part que ces heures ont été effectuées en raison de la nature ou de la quantité du travail demandé impossible à accomplir dans les horaires normaux ; en conséquence le Conseil sera bien fondé à la débouter de sa demande sur ce point.

Mais, à titre subsidiaire, si Mademoiselle X... produit un tableau d'heures supplémentaires, elle ne produit aucun élément permettant de justifier les avoir accomplies.

Enfin à titre infiniment subsidiaire, l'analyse du tableau produit par Mademoiselle X..., permet de constater que durant quelques 4 ans, elle aurait travaillé tous les jours sans exception sur le même horaire à la minute près, ce qui ne paraît ni réaliste ni vraisemblable » ;

1. ALORS QUE le paiement des heures supplémentaires selon un forfait ne peut résulter que d'un accord particulier exprès entre l'employeur et le salarié, comme le prévoit d'ailleurs la convention collective du commerce de gros et de détail à prédominance alimentaire en son article 5-7 qui énonce que « toute convention individuelle de forfait doit faire l'objet d'une formalisation dans le contrat de travail ou un avenant à celui-ci, du membre de l'encadrement avec qui elle est conclue » ; qu'en l'espèce, il est constant qu'il n'existait aucun document contractuel constatant l'accord exprès de Mlle X... à une convention de forfait en jours ; qu'en retenant néanmoins l'existence d'une convention de forfait conclue par Mlle X... du fait que celle-ci avait accepté d'être promue au statut de cadre niveau 7 et d'entrer ainsi dans la catégorie des cadres salariés éligibles à une convention de forfait en jours en application de la convention collective du commerce de gros et de détail à prédominance alimentaire, que les bulletins de paie de l'intéressée mentionnaient un forfait en jours de travail et que celle-ci n'avait émis aucune contestation sur l'application de ce forfait, la Cour d'appel a violé les articles L 212-15-3 et suivants du code du travail ainsi que la convention collective précitée ;

2. ALORS QUE la conclusion de conventions individuelles de forfait pour les cadres ne relevant pas des dispositions des articles L. 212-15-1 et L. 212-15-2 doit être prévue par une convention ou un accord collectif étendu ou par une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement qui détermine les catégories de cadres susceptibles de bénéficier de ces conventions ainsi que les modalités et les caractéristiques principales de celles-ci ; que la convention ou l'accord collectif doit également déterminer les conditions de contrôle de son application et prévoir des modalités de suivi de l'organisation du travail des salariés concernés, de l'amplitude de leurs journées d'activité et de la charge de travail qui en résulte, ainsi que les modalités concrètes d'application des dispositions des articles L. 220-1, L. 221-2 et L. 221-4 ; qu'à défaut, les conventions de forfait en jours conclues avec les salariés ne sont pas valables ; qu'en l'espèce, en faisant application de la convention de forfait en jours sans rechercher si une convention ou un accord collectif applicable à l'entreprise déterminait les conditions de contrôle de son application et prévoyait des modalités de suivi de l'organisation du travail des salariés concernés, de l'amplitude de leurs journées d'activité et de la charge de travail qui en résulte, ainsi que les modalités concrètes d'application des dispositions des articles L. 220-1, L. 221-2 et L. 221-4 la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L 212-15-3 du code du travail ;

3. ALORS QUE la preuve des heures effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties ; que le juge ne peut, pour rejeter la demande d'heures supplémentaires, se fonder sur l'insuffisance de preuves apportées par le salarié mais doit examiner les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié que l'employeur est tenu de lui fournir ; qu'en l'espèce, pour débouter Mlle X... de sa demande de rappel de salaires et de dommages-intérêts au titre d'heures supplémentaires accomplies, la Cour d'appel a jugé que le décompte des heures de travail établi par les soins de la salariée ne suffisait pas à établir l'accomplissement d'heures supplémentaires et que la preuve n'était pas rapportée que des heures supplémentaires auraient été effectuées à la demande ou avec l'accord de l'employeur, ou en raison de la nature ou de la quantité du travail demandé ; qu'en se fondant ainsi exclusivement sur l'absence de preuve apportée par la salariée, la Cour d'appel a violé l'article L 212-1-1 du code du travail ;

4. ALORS QUE le juge doit examiner tous les éléments de preuve qui lui sont soumis ; qu'en l'espèce, Mlle X... précisait, dans ses conclusions, que la réalité de ses horaires tardifs était attestée par les nombreux mails et fax versés aux débats (conclusions p 23) ; qu'en énonçant que la salariée, à l'exception d'un tableau d'heures supplémentaires, ne produisait aucun élément permettant de justifier les avoir accomplies, sans examiner les mails et courriers versés aux débats, la Cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau code de procédure civile.




SECOND MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté l'exposante de ses demandes en rappel de salaires et de dommages-intérêts au titre de la discrimination salariale ;

AUX MOTIFS QU'« en application des articles L133-5 10° et L136-2, 8° du code du travail que l'employeur peut déterminer librement des rémunérations différentes en fonction des compétences et capacités de chacun des salariés ; qu'une égalité de rémunération ne doit être assurée qu'entre tous les salariés placés dans une position identique ; il appartient à l'employeur d'établir que la disparité constatée par le salarié est justifiée par des éléments étrangers objectifs à toute discrimination ;

Les deux salariées, Caroline Z... et Isabelle Y..., dont fait état l'appelante pour démontrer l'existence d'une discrimination salariale et qui occupaient les postes de chefs de zone export, pouvaient se prévaloir d'une qualification supérieure ; ainsi Caroline Z... présentait une expérience professionnelle plus diversifiée, ayant été en poste en Allemagne et au Royaume Uni, et était diplômée d'une école de commerce ; Isabelle Y... quant à elle, pouvait se prévaloir d'un diplôme d'étude supérieures délivré par l'université de Paris Dauphine ainsi que d'une maîtrise de langues étrangères appliquées au management à la gestion et au marketing ; les premiers juges ont donc à juste titre retenu qu'il n'existait aucune discrimination salariale » ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « Mademoiselle X... revendique le paiement de salaire au titre d'une discrimination salariale.

En fonction des dispositions des articles 6 et 9 du Nouveau Code de Procédure Civile déjà cités, la charge de la preuve lui revient.

Pour ce faire, que Mademoiselle X... se contente d'énoncer que ses collègues de travail chefs de zone export avaient des diplômes équivalents (bac + 5) sans apporter aucun élément de nature à justifier de l'égalité des diplômes et des connaissances à l'embauche.

Mais, pour sa part, la société Fauchon justifie des différences de diplômes obtenus par les différents chefs de zone export, justifiant ainsi de la différence de salaire pratiquée » ;

ALORS QUE la différence de rémunération entre des salariés occupant le même poste de travail, doit être justifiée par des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel a jugé que la différence de rémunération entre Mlle X... et Isabelle Y... qui occupaient exactement le même poste de chef de zone export était justifiée par la qualification supérieure de celle-ci du fait qu'elle était titulaire d'un diplôme d'étude supérieurs délivré par l'université de Paris Dauphine ainsi que d'une maîtrise de langues étrangères appliquées au management et la gestion et au marketing ; qu'en s'abstenant de préciser en quoi la différence entre les deux diplômes obtenus par Mme Y... et les diplômes de DESS Droit de l'exportation et DEA Droit de l'économie internationale et du développement obtenus par Mlle X..., qui étaient au moins d'un niveau équivalent, conférait à Mme Y... une qualification supérieure pour occuper le poste de Chef de zone export, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe « à travail égal, salaire égal » ;
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