Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 13 novembre 2008, 07-44.874, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 26 septembre 2007) rendu sur renvoi après cassation (Soc. 27 septembre 2006, n° J 05-40.232 et K 06-40.233), que la société Transports Dubouil, qui versait précédemment à ses salariés une gratification de fin d'année d'un mois de salaire en vertu d'un engagement unilatéral, et des délégués syndicaux ont conclu le 26 octobre 1995 un accord salarial dont l'article 11 fixait le montant de la gratification pour l'année 1995 et prévoyait que celui-ci serait négocié tous les ans lors de la négociation annuelle ; que M. X..., qui était employé par la société Transports Dubouil, a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de paiement de la gratification de fin d'année pour la période de 1996 à 2002 ;

Attendu que la société Transports Dubouil fait grief à l'arrêt d'avoir dit que le fait qu'elle n'a pas mis en oeuvre la procédure de négociation annuelle obligatoire définie à l'article L. 132-27 du code du travail a généré pour M. X... la perte d'une chance et de l'avoir condamnée en conséquence à l'indemniser, alors, selon le moyen :

1°/ que le juge est tenu, en toutes circonstances, de faire observer et d'observer lui-même le principe de la contradiction et ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en l'espèce, prétendant que l'employeur avait manqué à son obligation de négociation annuelle, visée par l'accord salarial de 1995, le salarié a réclamé le paiement d'une gratification de fin d'année pour les années 1996 à 2002 ; qu'en indemnisant le salarié sur le fondement de la "perte d'une chance" d'obtenir cette gratification, qui n'était pas invoquée, sans provoquer les observations des parties, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en faisant droit, sur le fondement de la perte d'une chance, à la demande formulée par le salarié au titre des gratifications de fin d'année pour les années 1996 à 2002, en raison du manquement de l'employeur à son obligation de négociation annuelle à laquelle il s'était engagé aux termes de l'accord salarial de 1995, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;

3°/ que pour fonder sa demande en paiement d'une gratification de fin d'année, le salarié prétendait que l'employeur avait manqué à l'obligation de négociation annuelle, à laquelle il s'était engagé aux termes de l'accord salarial de 1995 ; qu'en reprochant à l'employeur de ne pas avoir justifié avoir engagé de négociation annuelle, la cour d'appel a renversé le fardeau de la preuve et violé l'article 1315 du code civil ;

4°/ que l'article L. 132-27 du code du travail fait obligation à l'employeur d'engager chaque année la négociation sur les salaires effectifs et en l'espèce l'article 11 de l'accord d'entreprise du 26 octobre 1995, mettant fin à l'usage du versement d'une gratification de fin d'année d'un mois de salaire, prévoit que ladite gratification soit désormais négociée tous les ans lors de la négociation annuelle ; que ces textes n'imposent pas, pour autant, à l'employeur d'aboutir à un accord mais seulement d'engager la négociation annuelle, en sorte que tant le principe même du versement d'une gratification de fin d'année que son éventuel montant demeurent totalement hypothétiques ; qu'en accordant néanmoins au salarié une indemnité correspondant à peu de chose près au montant de ce qu'il aurait obtenu en cas de maintien de l'accord l'engagement unilatéral, l'usage ? dénoncé, la cour d'appel a mis la charge de la société une obligation de versement de fin d'année selon des modalités quasi identiques à celles pourtant dénoncées par l'accord collectif de 1995, en violation des articles susvisés et de l'article 1147 du code civil ;

5°/ que l'employeur faisait précisément valoir dans ses conclusions d'appel que l'obligation de négociation annuelle sur les salaires n'était pas une obligation de conclure et invoquait, preuves à l'appui, de mauvais résultats économiques qui excluaient, en tout état de cause, la possibilité d'accorder le versement d'une gratification de fin d'année ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen déterminant et de nature à établir l'absence du préjudice invoqué par le salarié, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

6°/ que nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ; que l'employeur faisait également valoir dans ses conclusions d'appel que le salarié, en sa qualité de délégué syndical, était légalement investi du pouvoir de provoquer cette négociation annuelle, au besoin en saisissant le juge des référés compétent pour ordonner la mise en oeuvre de la négociation, mais s'était abstenu de toute demande en ce sens; qu'en ne répondant pas à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu, d'abord, qu'en matière de procédure sans représentation obligatoire, les moyens retenus par le juge sont présumés, sauf preuve contraire, non apportée en l'espèce, avoir été débattus contradictoirement à l'audience ;


Attendu, ensuite, qu'il résulte des dispositions combinées de l'article L. 132-27 du code du travail, alors applicable, selon lesquelles l'employeur est tenu d'engager chaque année une négociation sur les salaires effectifs et de l'article 11 de l'accord d'entreprise du 26 octobre 1995 suivant lesquelles la gratification de fin d'année est fixée dans le cadre de la négociation annuelle, qu'il incombait à la société Transports Dubouil de prendre, chaque année, l'initiative de la négociation sur les salaires et en particulier sur le montant de la gratification de fin d'année ; que la cour d'appel qui, sans inverser la charge de la preuve, a relevé que cette société ne justifiait pas avoir exécuté cette obligation pendant la période de 1996 à 2002, en a exactement déduit que cette faute avait, en privant le salarié d'une chance d'obtenir le versement d'une gratification de fin d'année, causé à l'intéressé un préjudice dont elle a souverainement apprécié le montant ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Transports Dubouil aux dépens ;

Vu les articles 700 du code de procédure civile et 37 de la loi du 10 juillet 1971, fixe à 2 500 euros la somme que la société Transports Dubouil doit verser à la SCP Masse-Dessen et Thouvenin à charge pour elle de renoncer à la somme mise à la charge de l'État au titre de l'aide juridictionnelle ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize novembre deux mille huit.

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