Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 13 novembre 2008, 06-19.021, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :



Donne acte à Mme Bettina X... du désistement de son pourvoi à l'égard de la société Editions Albin Michel ;

Attendu que M. Jakob Y..., est l'auteur d'une oeuvre intitulée "Paradis" qu'il a créée pour l'exposition organisée en 1990 à l'hôpital psychiatrique de Ville-Evrard, en apposant le mot "Paradis" au dessus de la porte des toilettes de l'ancien dortoir des alcooliques de l'établissement ; que des photographies de cette oeuvre ont été ultérieurement exposées lors d'une manifestation intitulée "Parlez-moi d'amour" ; qu'ayant constaté, en 2002, que Bettina X..., photographe, avait utilisé son oeuvre, sans son consentement, pour la réalisation de son triptyque intitulé "La nouvelle Eve", exposé et offert à la vente par la société Art et confrontation qui exploite la galerie Jérôme de Z..., et reproduit dans l'ouvrage INRI édité par la société Albin Michel, Jakob Y... a intenté à l'encontre des susnommés une action en contrefaçon ;

Sur les deux moyens du pourvoi principal de Mme X... et sur les deux premiers moyens du pourvoi provoqué de la société Art et confrontation :

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué (Paris, 28 juin 2006) d'avoir dit que l'oeuvre de Jakob Y... bénéficiait de la protection du droit d'auteur, alors, selon les moyens :

1°/ que faute d'avoir caractérisé en quoi avait consisté la création de cette oeuvre – un mot, d'une typographie banale, fût-il combiné à d'autres éléments préexistants, ne constituant pas une création –, l'arrêt attaqué a violé l'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle ;

2°/ qu'en tout état de cause, cette oeuvre n'étant que l'expression d'une idée – détourner le sens d'un lieu par une inscription en décalage -, la forme retenue par la cour d'appel existant indépendamment de l'idée, l'arrêt attaqué ne pouvait déclarer qu'il s'agissait d'une oeuvre protégée par le droit d'auteur, sans violer de plus fort l'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle ;

3°/ qu'une idée, fût-elle originale, ne saurait bénéficier de la protection du droit d'auteur ; que l'oeuvre de Jakob Y... se réduisait à une idée, à savoir donner un nouveau sens à un lieu ; qu'ainsi l'arrêt attaqué ne pouvait énoncer que l'oeuvre de Jakob Y... était originale sans violer l'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle ;

4°/ que l'originalité d'une oeuvre ne saurait se déduire de choix matériels effectués par l'auteur sur des éléments préexistants ; qu'ainsi, l'arrêt attaqué, en énonçant que l'oeuvre de Jakob Y... était originale tant dans la typologie des lettres retenues du mot "Paradis" que dans le choix du lieu de son inscription, partie intégrante de l'oeuvre, n'a pas justifié sa décision au regard de l'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu que l'arrêt relève que l'oeuvre litigieuse ne consiste pas en une simple reproduction du terme "Paradis", mais en l'apposition de ce mot en lettres dorées avec effet de patine et dans un graphisme particulier, sur une porte vétuste, à la serrure en forme de croix, encastrée dans un mur décrépi dont la peinture s'écaille, que cette combinaison implique des choix esthétiques traduisant la personnalité de l'auteur ; que de ces constatations et appréciations souveraines faisant ressortir que l'approche conceptuelle de l'artiste, qui consiste à apposer un mot dans un lieu particulier en le détournant de son sens commun, s'était formellement exprimée dans une réalisation matérielle originale, la cour d'appel en a à bon droit déduit que l'oeuvre bénéficiait de la protection du droit d'auteur ; que les moyens ne sont fondés en aucune de leurs branches ;

Sur le troisième moyen du pourvoi provoqué de la société Art et confrontation :

Attendu que la société Art et confrontation fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée pour contrefaçon à payer à M. Y... la somme de 10 000 euros de dommages-intérêts pour préjudice patrimonial et moral, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, compte tenu du caractère purement conceptuel de la prétendue création et de sa confidentialité – l'inscription figurant dans un lieu fermé au public – outre l'absence de renommée de son auteur qui ne l'a d'ailleurs pas revendiquée pendant plus de dix ans, l'exploitant de la galerie ne pouvait identifier "l'œuvre" de M. Jakob Y... dans le triptyque "La nouvelle Eve" réalisé par une artiste renommée et n'avait pas, en conséquence, commis de faute, d'imprudence ou de négligence, en concourant à la reproduction de cette œuvre ;

Mais attendu que la contrefaçon est caractérisée, indépendamment de toute faute ou mauvaise foi, par la reproduction, la représentation ou l'exploitation d'une oeuvre de l'esprit en violation des droits de propriété intellectuelle qui y sont attachés ; que la cour d'appel qui a constaté que la société Art et confrontation avait exposé et offert à la vente l'oeuvre contrefaisante a, par ce seul motif et sans avoir à procéder à la recherche prétendument omise que ses constatations rendaient inutile, légalement justifié sa décision de ce chef ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Laisse à Mme X... et à la société Art et confrontation la charge des dépens afférents à leur pourvoi respectif ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, déboute Mme X... et la société Art et confrontation de leur demande, les condamne, ensemble, à payer à M. Y... la somme de 3 000 euros ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize novembre deux mille huit.

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