Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 28 octobre 2008, 07-20.103, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


Sur les premier, deuxième, troisième et quatrième moyens, réunis :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 14 juin 2007), que la société L'Oréal produits de luxe international (la société L'Oréal) ayant vendu à la société Parbel des produits cosmétiques, la société Lancôme parfums et beauté et compagnie (la société Lancôme), agissant pour le compte de la société L'Oréal, a confié l'organisation de l'acheminement de ces marchandises depuis les entrepôts de la société Sicos et compagnie (la société Sicos), situés dans le département du Nord, jusqu'au port de Rotterdam, à la société Hapag Lloyd France, laquelle, par l'intermédiaire de la société Hapag Lloyd Nederland BV, a affrété la société de droit néerlandais Margaret Visser transport BV (la société Margaret) pour effectuer le transport, au cours duquel le camion contenant les produits a été volé ; que par demande de signification du 23 avril 2004, transmise selon les modalités du règlement (CE) nº 1348/2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale, et complétée le 26 mai 2004 de la dernière page de sa traduction, les sociétés L'Oréal, Lancôme et Sicos ont fait assigner en indemnisation devant le tribunal de commerce de Nanterre la société Margaret Visser ; que cette société a soulevé une exception de litispendance communautaire, faisant valoir qu'elle avait elle-même introduit antérieurement une action dite déclaratoire devant le tribunal de Rotterdam, par voie d'assignations, reçues par la chambre nationale des huissiers à Paris le 12 mai 2004 et signifiées les 14 mai 2004 à la société L'Oréal, 19 mai 2004 à la société Sicos et 25 mai 2004 à la société Lancôme ;

Attendu que la société Margaret fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté l'exception de litispendance, à raison de la saisine d'une juridiction néerlandaise, invoquée par elle, alors, selon le moyen :

1°/ que si le droit communautaire, tel qu'interprété par l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 8 novembre 2005 fixe des directives quant au point de savoir à quelles conditions l'auteur de l'acte peut se prévaloir, comme date d'effet de l'acte, de sa réception par l'entité requise, en cas d'absence de traduction ou de traduction incomplète, il laisse, en revanche, au droit national le soin de déterminer, eu égard aux intérêts en présence, si l'auteur de l'acte peut revendiquer, comme date d'effet de l'acte, la date de réception par l'entité requise ; qu'en raisonnant comme si le droit communautaire arrêtait une solution, sans se référer au droit français auquel il incombait, dans le respect des directives de droit communautaire, d'arrêter cette solution, les juges du fond ont violé les articles 30 du règlement CE 44/2001 et 4 à 8 du règlement CE 1348/2000, ensemble les règles du droit national relatives à la litispendance internationale ;

2°/ qu'en tout cas, en s'abstenant de procéder à une analyse des intérêts de l'auteur de la demande et des intérêts du défendeur pour déterminer la date d'effet de la demande des sociétés L'Oréal, Lancôme et Sicos, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 30 du règlement CE 44/2001 et 4 à 8 du règlement CE 1348/2000, ensemble les règles du droit national relatives à la litispendance internationale ;

3°/ que si la demande peut être regardée comme formée à la date où l'autorité requise reçoit l'acte, quand bien même l'acte n'aurait pas été accompagné d'une traduction ou aurait été accompagné d'une traduction incomplète, c'est à la condition que la demande soit formée sur la base de l'acte originaire et que la régularisation ne concerne que la traduction ; que tel n'est pas le cas lorsque, face à un refus de l'autorité requise, l'auteur de la demande décide de lui adresser un nouvel acte accompagné d'une traduction ; qu'en s'abstenant de préciser au cas d'espèce si, ayant été constaté que la première assignation avait été retournée, une seconde assignation n'avait pas matériellement été adressée à l'autorité requise, distincte de la première, peu important qu'elle en reprenne le contenu, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 30 du règlement CE 44/2001 et 4 à 8 du règlement CE 1348/2000, ensemble les règles du droit national relatives à la litispendance internationale ;

4°/ que les règles relatives à la possibilité d'une régularisation ne concernent, selon les termes mêmes de l'article 8.2 du règlement CE n° 1348/2000, que l'hypothèse où le refus, lié à la traduction, émane du destinataire de l'acte ; qu'il résulte des constatations mêmes de l'arrêt que le refus émis à la suite de l'envoi du premier acte a été opposé, non pas par le destinataire de l'acte, mais par l'autorité requise ; qu'en statuant comme ils l'ont fait, les juges du fond ont violé les articles 30 du règlement CE 44/2001 et 4 à 8 du règlement CE 1348/2000, ensemble les règles du droit national relatives à la litispendance internationale ;

5°/ que, d'une part, les marchandises ont été prises en charge le 8 avril 2004 et les sociétés demanderesses à l'action introduite devant les juridictions françaises n'étaient assujetties, en vertu de la convention CMR du 19 mai 1956, à aucun délai venant à expiration à brève échéance ; que, d'autre part, l'acte reçu le 5 mai 2004 par l'autorité requise a été refusé par cette dernière, sans avoir été présenté au défendeur ; que, de troisième part, si, en cas de litispendance, il est tenu compte de la date de réception de l'acte par l'autorité requise, c'est que cette autorité requise délivre normalement l'acte à bref délai, en sorte que le défendeur a l'assurance de le recevoir dans un laps de temps très court après réception de l'acte par l'autorité requise, et que tel n'est pas le cas dès lors que l'autorité requise refuse l'acte ; qu'eu égard à ces trois circonstances, il était exclu que la juridiction française puisse être regardée comme saisie à la date de réception du premier acte par l'autorité requise ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé les articles 30 du règlement CE 44/2001 et 4 à 8 du règlement CE 1348/2000, ensemble les règles du droit national relatives à la litispendance internationale ;

6°/ que les juges du fond se devaient de prendre en considération les trois circonstances visées à la cinquième branche et rechercher si la demande n'avait pas été introduite sur la base d'un acte matériellement distinct du premier acte adressé à l'autorité requise pour déterminer si la saisine de la juridiction française ne devait pas être fixée, non pas à la date du premier acte, mais à la date du second acte ; qu'en omettant de procéder à cette recherche, les juges du fond ont à tout le moins privé leur décision de base légale au regard des articles 30 du règlement CE 44/2001 et 4 à 8 du règlement CE 1348/2000, ensemble les règles du droit national relatives à la litispendance internationale ;

Mais attendu qu'après avoir relevé que, sur la demande qui leur en a été faite le 5 mai 2004 par l'autorité néerlandaise chargée d'en assurer la notification, les sociétés L'Oréal, Lancôme et Sicos avaient apporté dans les meilleurs délais un remède au caractère incomplet de la traduction de leur assignation, la régularisation dont la validité n'était pas susceptible d'être affectée par l'envoi d'une copie de l'assignation initiale pouvant intervenir à l'initiative de l'entité requise, chargée d'obtenir les renseignements ou les pièces qui font défaut, en vertu de l'article 6, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1348/2000 du Conseil du 29 mai 2000, puis constaté que l'assignation adressée à l'initiative de la société Margaret Visser avait été reçue le 12 mai 2004 par la chambre nationale des huissiers de justice de Paris, l'arrêt, prenant en compte tant l'effet utile des textes communautaires que les intérêts respectifs des parties en cause, retient que les sociétés françaises bénéficient, en ce qui concerne la date, de l'effet de leur signification initiale ; qu'ainsi, la cour d'appel, qui n'avait pas à prendre en considération les circonstances évoquées à la sixième branche, en a déduit à bon droit, par application de l'article 30, paragraphe 2 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, que le tribunal de commerce de Nanterre avait été saisi en premier ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Margaret Visser transport BV aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Margaret Visser transport BV à payer aux sociétés L'Oréal produits de luxe international, Lancôme parfums et beauté et compagnie et Sicos et compagnie la somme globale de 2 500 euros et rejette les autres demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit octobre deux mille huit.


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