Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 4 juin 2008, 06-15.320, Publié au bulletin
Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 4 juin 2008, 06-15.320, Publié au bulletin
Cour de cassation - Chambre civile 1
- N° de pourvoi : 06-15.320
- Publié au bulletin
- Solution : Rejet
Audience publique du mercredi 04 juin 2008
Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, du 23 mars 2006- Président
- M. Bargue
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu que la société française SNF SAS (société SNF) a conclu en 1991 avec la société néerlandaise Cytec industries BV (société Cytec) un contrat d'approvisionnement en acrylamide monomère ; qu'un nouvel accord était passé en 1993, comportant une clause compromissoire ; que la société SNF ayant dénoncé le contrat, la société Cytec a mis en oeuvre la procédure d'arbitrage à Bruxelles ; que dans une première sentence du 5 novembre 2002, le tribunal arbitral a dit que le contrat de 1993 était nul dès son origine en application de l'article 81 du Traité CE et que les parties en étaient coresponsables ; que par une seconde sentence du 28 juillet 2004, le tribunal a condamné la société SNF à indemniser la société Cytec, rejetant les demandes de celle-là ; que l'exequatur des sentences a été accordé par ordonnances du 15 septembre 2004 dont la société SNF a relevé appel ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches, ci-après annexé :
Attendu que la société SNF fait grief à l'arrêt attaqué (Paris, 23 mars 2006) d'avoir rejeté la demande de sursis à statuer en l'état d'une plainte avec constitution de partie civile déposée auprès du doyen des juges d'instruction de Saint-Etienne ;
Attendu que l'arrêt relève, d'abord, que la règle de l'article 4 du code de procédure pénale est envisagée dans un contexte d'identité de faute civile et pénale ; ensuite, que la société SNF, après avoir saisi les arbitres d'une demande de nullité du contrat pour contrariété aux articles 81 et 82 du Traité CE s'efforce de persuader le juge pénal que l'arbitrabilité au regard de ces articles 81 et 82 était sujette à caution et que l'arbitrage était utilisé de manière frauduleuse pour empêcher la saisine des juridictions judiciaires ; enfin, que l'appréciation des faits et de leurs conséquences par les arbitres ne sera pas remise en cause, l'article 1502 du code de procédure civile ne le prévoyant pas, et le contrôle de la sentence ne portant jamais sur le mal jugé par l'arbitre ou son interprétation éventuellement erronée du droit ; que, dès lors que la demande de sursis à statuer sur le fondement de l'article 4 du code de procédure pénale dans sa rédaction antérieure à la loi du 5 mars 2007 ne peut être accueillie que si les faits dénoncés comme constituant l'infraction ont une incidence directe sur la cause d'annulation de la sentence et si la décision pénale à intervenir est susceptible d'influer sur la décision civile, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
Sur le second moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que la société SNF fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé l'exequatur des sentences des 5 novembre 2002 et 28 juillet 2004, alors, selon le moyen :
1°/ que la cour saisie de l'appel d'une ordonnance d'exequatur d'une sentence arbitrale doit vérifier la bonne application par l'arbitre des règles communautaires de droit de la concurrence ; qu'ainsi, en se bornant à relever que le tribunal arbitral avait fait application du droit communautaire de la concurrence, que son aptitude à comprendre les questions de droit de la concurrence n'était pas discutée et que l'arbitre s'était expliqué sur la conformité du contrat de 1993 aux prescriptions des articles 81 et 82 du Traité CE, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1502-5 du code de procédure civile, ensemble les articles 81 et 82 du Traité CE ;
2°/ que subsidiairement, le contrôle de la conformité à l'ordre public de la réception d'une sentence arbitrale dans l'ordre juridique doit, en toute hypothèse, porter, en vertu du principe de l'appréciation concrète de l'ordre public international, sur le résultat concret de la réception de la sentence, laquelle ne doit pas valider ou refuser de sanctionner une pratique contraire à l'ordre public international ; qu'ainsi, en se bornant à relever que le tribunal arbitral avait fait application du droit communautaire de la concurrence et s'était expliqué sur la conformité du contrat de 1993 aux prescriptions des articles 81 et 82 du Traité CE, sans contrôler si la réception de la sentence ne conduisait pas à consacrer une pratique anticoncurrentielle contraire à l'ordre public international concrètement entendu, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1502-5 du code de procédure civile ;
3°/ qu'en jugeant que l'exposante ne faisait pas la démonstration d'une violation flagrante, effective et concrète de l'ordre public international lorsqu'il résulte des conclusions d'appel de cette dernière que le tribunal arbitral a relevé tous les éléments de l'abus de position dominante mais a refusé d'en tirer les conséquences ; que cette violation est immédiatement constatable à la lecture des sentences litigieuses et emporte un effet direct et immédiat, la cour d'appel n'a pas répondu aux conclusions, opérantes, qui lui étaient soumises, en violation des articles 455 et 1502-5 du code de procédure civile ;
Mais attendu que, s'agissant de la violation de l'ordre public international, seule la reconnaissance ou l'exécution de la sentence est examinée par le juge de l'annulation au regard de la compatibilité de sa solution avec cet ordre public, dont le contrôle se limite au caractère flagrant, effectif et concret de la violation alléguée ; que l'arrêt retient, d'abord, qu'en annulant le contrat de fourniture de 1993, contraire à l'article 81 du Traité CE, et en décidant qu'en l'absence de position dominante, la société Cytec n'avait pas pu se rendre coupable d'un abus au sens de l'article 82 du Traité, le tribunal arbitral a fait application du droit communautaire de la concurrence ; ensuite, que la société SNF ne démontre aucune violation flagrante, effective et concrète de l'ordre public international ; enfin, que la société SNF ayant pu demander réparation selon ce que commande le principe d'effectivité du droit communautaire et ces réparations n'entrant pas dans le cadre du contrôle exercé au titre de l'article 1502-5° du code de procédure civile pour la protection des principes fondamentaux, les conclusions du tribunal arbitral dans la sentence du 28 juillet 2004 n'avaient pas à être rediscutées devant la cour d'appel ; que celle-ci, qui a procédé -dans les limites de ses pouvoirs, c'est-à-dire sans révision au fond de la sentence arbitrale- au contrôle des sentences au regard de l'application des règles communautaires de la concurrence, a exactement dit que leur reconnaissance et leur exécution n'étaient pas contraires à l'ordre public international ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société SNF aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société SNF à payer à la société Cytec industries BV la somme de 5 000 euros et rejette la demande de la société SNF ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre juin deux mille huit.
Attendu que la société française SNF SAS (société SNF) a conclu en 1991 avec la société néerlandaise Cytec industries BV (société Cytec) un contrat d'approvisionnement en acrylamide monomère ; qu'un nouvel accord était passé en 1993, comportant une clause compromissoire ; que la société SNF ayant dénoncé le contrat, la société Cytec a mis en oeuvre la procédure d'arbitrage à Bruxelles ; que dans une première sentence du 5 novembre 2002, le tribunal arbitral a dit que le contrat de 1993 était nul dès son origine en application de l'article 81 du Traité CE et que les parties en étaient coresponsables ; que par une seconde sentence du 28 juillet 2004, le tribunal a condamné la société SNF à indemniser la société Cytec, rejetant les demandes de celle-là ; que l'exequatur des sentences a été accordé par ordonnances du 15 septembre 2004 dont la société SNF a relevé appel ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches, ci-après annexé :
Attendu que la société SNF fait grief à l'arrêt attaqué (Paris, 23 mars 2006) d'avoir rejeté la demande de sursis à statuer en l'état d'une plainte avec constitution de partie civile déposée auprès du doyen des juges d'instruction de Saint-Etienne ;
Attendu que l'arrêt relève, d'abord, que la règle de l'article 4 du code de procédure pénale est envisagée dans un contexte d'identité de faute civile et pénale ; ensuite, que la société SNF, après avoir saisi les arbitres d'une demande de nullité du contrat pour contrariété aux articles 81 et 82 du Traité CE s'efforce de persuader le juge pénal que l'arbitrabilité au regard de ces articles 81 et 82 était sujette à caution et que l'arbitrage était utilisé de manière frauduleuse pour empêcher la saisine des juridictions judiciaires ; enfin, que l'appréciation des faits et de leurs conséquences par les arbitres ne sera pas remise en cause, l'article 1502 du code de procédure civile ne le prévoyant pas, et le contrôle de la sentence ne portant jamais sur le mal jugé par l'arbitre ou son interprétation éventuellement erronée du droit ; que, dès lors que la demande de sursis à statuer sur le fondement de l'article 4 du code de procédure pénale dans sa rédaction antérieure à la loi du 5 mars 2007 ne peut être accueillie que si les faits dénoncés comme constituant l'infraction ont une incidence directe sur la cause d'annulation de la sentence et si la décision pénale à intervenir est susceptible d'influer sur la décision civile, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
Sur le second moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que la société SNF fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé l'exequatur des sentences des 5 novembre 2002 et 28 juillet 2004, alors, selon le moyen :
1°/ que la cour saisie de l'appel d'une ordonnance d'exequatur d'une sentence arbitrale doit vérifier la bonne application par l'arbitre des règles communautaires de droit de la concurrence ; qu'ainsi, en se bornant à relever que le tribunal arbitral avait fait application du droit communautaire de la concurrence, que son aptitude à comprendre les questions de droit de la concurrence n'était pas discutée et que l'arbitre s'était expliqué sur la conformité du contrat de 1993 aux prescriptions des articles 81 et 82 du Traité CE, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1502-5 du code de procédure civile, ensemble les articles 81 et 82 du Traité CE ;
2°/ que subsidiairement, le contrôle de la conformité à l'ordre public de la réception d'une sentence arbitrale dans l'ordre juridique doit, en toute hypothèse, porter, en vertu du principe de l'appréciation concrète de l'ordre public international, sur le résultat concret de la réception de la sentence, laquelle ne doit pas valider ou refuser de sanctionner une pratique contraire à l'ordre public international ; qu'ainsi, en se bornant à relever que le tribunal arbitral avait fait application du droit communautaire de la concurrence et s'était expliqué sur la conformité du contrat de 1993 aux prescriptions des articles 81 et 82 du Traité CE, sans contrôler si la réception de la sentence ne conduisait pas à consacrer une pratique anticoncurrentielle contraire à l'ordre public international concrètement entendu, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1502-5 du code de procédure civile ;
3°/ qu'en jugeant que l'exposante ne faisait pas la démonstration d'une violation flagrante, effective et concrète de l'ordre public international lorsqu'il résulte des conclusions d'appel de cette dernière que le tribunal arbitral a relevé tous les éléments de l'abus de position dominante mais a refusé d'en tirer les conséquences ; que cette violation est immédiatement constatable à la lecture des sentences litigieuses et emporte un effet direct et immédiat, la cour d'appel n'a pas répondu aux conclusions, opérantes, qui lui étaient soumises, en violation des articles 455 et 1502-5 du code de procédure civile ;
Mais attendu que, s'agissant de la violation de l'ordre public international, seule la reconnaissance ou l'exécution de la sentence est examinée par le juge de l'annulation au regard de la compatibilité de sa solution avec cet ordre public, dont le contrôle se limite au caractère flagrant, effectif et concret de la violation alléguée ; que l'arrêt retient, d'abord, qu'en annulant le contrat de fourniture de 1993, contraire à l'article 81 du Traité CE, et en décidant qu'en l'absence de position dominante, la société Cytec n'avait pas pu se rendre coupable d'un abus au sens de l'article 82 du Traité, le tribunal arbitral a fait application du droit communautaire de la concurrence ; ensuite, que la société SNF ne démontre aucune violation flagrante, effective et concrète de l'ordre public international ; enfin, que la société SNF ayant pu demander réparation selon ce que commande le principe d'effectivité du droit communautaire et ces réparations n'entrant pas dans le cadre du contrôle exercé au titre de l'article 1502-5° du code de procédure civile pour la protection des principes fondamentaux, les conclusions du tribunal arbitral dans la sentence du 28 juillet 2004 n'avaient pas à être rediscutées devant la cour d'appel ; que celle-ci, qui a procédé -dans les limites de ses pouvoirs, c'est-à-dire sans révision au fond de la sentence arbitrale- au contrôle des sentences au regard de l'application des règles communautaires de la concurrence, a exactement dit que leur reconnaissance et leur exécution n'étaient pas contraires à l'ordre public international ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société SNF aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société SNF à payer à la société Cytec industries BV la somme de 5 000 euros et rejette la demande de la société SNF ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre juin deux mille huit.