Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 10 mai 2006, 05-82.971, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix mai deux mille six, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller GUIRIMAND, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, et de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général FINIELZ ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Marcel, partie civile,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11e chambre, en date du 21 avril 2005, qui l'a débouté de ses demandes après relaxe de Marc Y... et de Bernard Z... des chef d'injures publiques envers un particulier et complicité ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que Marcel X... a fait citer devant le tribunal correctionnel Marc Y..., président de France Télévision, et Bernard Z..., des chefs d'injures publiques envers un particulier et complicité, en raison des invectives "tristes cons" et "dangereux salaud" proférées par ce dernier lors d'une émission télévisée au cours de laquelle avait été abordé le thème du clonage reproductif humain ; que les premiers juges n'ont retenu la culpabilité des prévenus que pour la seconde expression poursuivie ;

En cet état :

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 29 et 33 de la loi du 29 juillet 1881, 466, 512 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a relaxé les prévenus du chef d'injure publique pour l'emploi de l'expression "tristes cons" ;

"aux motifs que les mots ont été prononcés par l'animatrice de l'émission faisant ainsi référence à des propos tenus par Bernard Z... avant le début de l'enregistrement ; qu'elle a mis en demeure Bernard Z... de confirmer publiquement un point de vue exprimé lors d'une conversation privée ; que, si Bernard Z... n'a pas démenti avoir utilisé cette expression, il en a aussitôt atténué la portée en déclarant "je veux bien ne pas employer une injure" et un peu plus loin "je ne lui veux pas de mal à ce monsieur" ; que, dans ce contexte, l'intention de nuire publiquement à Marcel X... n'est pas établie ;

"alors, d'une part, que les injures publiques sont réputées de droit faites avec intention coupable ; que, lorsque le caractère injurieux des propos tenus n'est ni contesté ni contestable, seules des circonstances particulières, qui justifient, par leur réunion, l'admission légale du fait justificatif de la bonne foi et qui ne peuvent se limiter à l'absence d'intention de nuire de l'auteur des propos, peuvent légalement fonder la relaxe de ce dernier ; qu'en conséquence, la cour d'appel a violé les articles 29 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 ;

"alors, d'autre part, que la bonne de foi ne peut résulter de ce que l'auteur a tenté d'atténuer, postérieurement à l'injure, la portée de cette dernière ; qu'en conséquence, en se déterminant en fonction des propos, prononcés par Bernard Z... postérieurement à l'injure ("je veux bien ne pas employer une injure", "je ne lui veux pas de mal à ce monsieur"), la cour d'appel a violé les articles 29 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 ;

"alors, en tout état de cause, qu'en s'abstenant de statuer sur l'injure non publique constituée par le fait, pour Bernard Z..., d'avoir employé lors d'une conversation privée l'expression "tristes cons", la cour d'appel a violé les articles R. 621-2 du Code pénal et 466 du Code de procédure pénale" ;

Vu l'article 33, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 ;

Attendu que les expressions outrageantes, termes de mépris ou invectives sont réputés de droit prononcés avec une intention coupable et que seule l'excuse de provocation est de nature à leur ôter leur caractère punissable ;

Attendu que, pour dire la prévention non établie, s'agissant de la première expression poursuivie, l'arrêt attaqué, après avoir relevé qu'en sa qualité de porte-parole du mouvement raëlien, Marcel X... est fondé à soutenir que l'expression "tristes cons", désignant l'ensemble du mouvement, s'applique également à lui, retient que, si Bernard Z... n'a pas démenti avoir utilisé cette expression, il en a aussitôt atténué la portée en déclarant :

"Je veux bien ne pas employer une injure", et "Je ne lui veux pas de mal, à ce monsieur" ; que la cour d'appel en déduit que, dans ce contexte, l'intention de nuire publiquement à Marcel X... n'est pas démontrée ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu les texte et principe ci-dessus rappelés ;

Qu'il s'ensuit que la cassation est encourue de ce chef ;

Et sur le second moyen de cassation, pris de la violation de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles 29 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a relaxé les prévenus du chef d'injure publique pour l'emploi de l'expression "dangereux salaud" et a débouté Marcel X... de ses demandes en réparation de son préjudice ;

"aux motifs que Bernard Z... a réagi après que Marcel X... eut expliqué les raisons pour lesquelles le mouvement raëlien entendait pratiquer le clonage reproductif ; que l'annonce par le mouvement raëlien, en décembre 2002, d'un enfant cloné -sans que la preuve en ait d'ailleurs jamais été rapportée- a suscité une profonde indignation dans la communauté internationale ; qu'elle a notamment été condamnée par les plus hautes autorités politiques françaises ; que les appels en faveur d'une interdiction internationale du clonage reproductif se sont multipliés ; qu'elle a ravivé le débat sur l'eugénisme dans la mesure où le clonage reproductif peut aboutir à une sélection artificielle de l'espèce humaine ; que l'article 511-1 du Code pénal, issu de la loi "bioéthique" dont Bernard Z... fut l'un des promoteurs, sanctionne des peines criminelles le fait de "mettre en oeuvre une pratique eugénique tendant à l'organisation de la sélection des personnes" ; que le mouvement raëlien a été répertorié comme "secte" dans le rapport parlementaire Alain A... B... sur les sectes en France ; que tous les invités à l'émission Mots Croisés ont fermement condamné, parfois en termes très vifs, le clonage reproductif et dénoncé ses dangers ; que les propos de Marcel X..., qui a d'ailleurs personnellement pris à parti Bernard Z... ("quoiqu'en dise Bernard Z...") relevaient à la fois de la justification du clonage reproductif et du prosélytisme en faveur du mouvement raëlien ; que, malgré son calme apparent, sa détermination à défendre des thèses critiquées par tous les intervenants au regard des principes fondamentaux était de nature à susciter des réactions d'indignation très vives ; que la défense est fondée à soutenir que de tels propos, émanant du représentant officiel d'un mouvement qualifié de secte, prônant le clonage reproductif alors qu'il peut déboucher sur des pratiques qualifiées de criminelles par le Code pénal, permettent de caractériser une provocation au sens de l'article 33 de la loi sur la presse ; qu'il est manifeste que Bernard Z... a voulu frapper l'imagination du téléspectateur afin de le convaincre du danger des thèses soutenues par Marcel X... ; que le jugement sera infirmé en ce qu'il a refusé l'excuse de provocation ;

"alors, d'une part, que l'expression d'une opinion sur une question d'intérêt général, serait-elle de nature à susciter des réactions d'indignation en raison de son contexte et de la qualité de son auteur, dès lors qu'elle est effectuée en des termes exempts de tout excès, invective ou attaque personnelle, ne peut constituer une provocation de nature à excuser une injure ; qu'en l'espèce, il ressort de l'arrêt attaqué, ainsi que du jugement infirmé, que c'est en des termes exempts de tout excès, invective et attaque personnelle que Marcel X... a exposé des positions en faveur du clonage reproductif et des thèses du mouvement raëlien ; qu'en considérant que le fait même d'exprimer ces positions constituait une provocation de nature à excuser l'expression "dangereux salaud", la cour d'appel a violé l'article 33 de la loi du 29 juillet 1881 et l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

"alors, d'autre part, que seule l'insulte proférée comme une réaction immédiate et irréfléchie aux propos de la victime peut être légalement excusée ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que l'injure proférée par Bernard Z... résulte de la volonté de ce dernier de frapper l'imagination du téléspectateur afin de le convaincre des dangers des thèses soutenues par Marcel X... et non d'une réaction immédiate et irréfléchie aux propos de ce dernier ou à l'annonce faite par le mouvement raëlien de la naissance d'un clone ; qu'en conséquence, en retenant que les propos tenus par Bernard Z... résultaient d'une provocation, la cour d'appel a violé les articles 29 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 ;

"alors, en tout état de cause, que la polémique sur des questions d'intérêt général cesse là où commencent les attaques personnelles ; que l'attaque personnelle proférée contre Marcel X... ("dangereux salaud") ne peut donc être justifiée par le contexte polémique de la discussion et la volonté de Bernard Z... d'éclairer le public sur le danger des thèses défendues par son contradicteur ; qu'en conséquence, la cour d'appel a violé les articles 29 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 et l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

"alors, enfin, que l'excuse légale de provocation a pour seul effet de dispenser le prévenu d'une peine et n'enlève rien à sa culpabilité et au droit de la personne injuriée d'obtenir réparation de son préjudice ; qu'en conséquence, en relaxant les prévenus et en déboutant, en conséquence, la partie civile de sa demande de réparation, sans statuer sur le droit pour Marcel X... d'obtenir réparation de son préjudice, la cour d'appel a violé les articles 33 de la loi du 29 juillet 1881 et 2 et 3 du Code de procédure pénale" ;

Vu l'article 33, alinéa 2 , de la loi du 29 juillet 1881 ;

Attendu que la provocation en matière d'injure ne peut résulter que de propos, d'écrits injurieux, et de tous autres actes de nature à atteindre l'auteur de l'infraction, soit dans son honneur ou sa considération, soit dans ses intérêts pécuniaires ou moraux ;

Attendu que, pour dire la prévention non établie, s'agissant de la seconde expression poursuivie, l'arrêt, infirmant sur ce point le jugement déféré, énonce que Marcel X... a d'abord employé des propos relevant à la fois de la justification du clonage reproductif et du prosélytisme en faveur du mouvement raëlien, et que Bernard Z... est fondé à soutenir que ces propos, émanant du représentant officiel d'un mouvement qualifié de sectaire et prônant le clonage reproductif alors qu'il peut déboucher sur des pratiques qualifiées de criminelles par le Code pénal français, permettent de caractériser une provocation au sens de l'article 33 de la loi sur la presse ;

Mais attendu qu'en décidant ainsi, alors que le contenu de l'injure n'était pas en rapport direct avec celui de la provocation, et que l'auteur du propos injurieux n'était pas lui-même victime de la provocation, la cour d'appel a méconnu les texte et principe ci-dessus rappelés ;

D'où il suit que la cassation est encore encourue de ce chef ;

Par ces motifs,

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 21 avril 2005, mais en ses seules dispositions civiles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues,

Et pour qu'il soit jugé à nouveau, conformément à la loi, dans les limites de la cassation prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Guirimand conseiller rapporteur, M. Joly, Mme Anzani, MM. Beyer, Pometan, Mme Palisse, M. Beauvais, Mme Radenne conseillers de la chambre, M. Valat, Mme Ménotti conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Finielz ;

Greffier de chambre : M. Souchon ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

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