Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 22 juin 1999, 97-84.446, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Pierre,

contre l'arrêt de la cour d'appel de BORDEAUX, chambre correctionnelle, en date du 25 juin 1997, qui, pour outrage à magistrat, l'a condamné à 10 000 francs d'amende avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 8 juin 1999 où étaient présents : M. Gomez président, Mme Chanet conseiller rapporteur, MM. Milleville, Pinsseau, Joly, Mmes Simon, Anzani conseillers de la chambre, M. Desportes, Mme Karsenty conseillers référendaires ;

Avocat général : M. le Foyer de Costil ;

Greffier de chambre : Mme Ely ;

Sur le rapport de Mme le conseiller CHANET, les observations de Me VUITTON et de Me CHOUCROY, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général le FOYER de COSTIL ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 434-24, alinéa 1er, du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré Pierre X... coupable d'outrage à magistrat, en répression l'a condamné à 10 000 francs d'amende et a statué sur les intérêts civils ;

" aux motifs que le premier paragraphe incriminé en l'espèce, qui constitue la réflexion conclusive inspirée à l'auteur par la relation des faits et du rôle du juge Philippe Y... nommément désigné (paragraphes 2 et 4) et par les conséquences qui lui paraissent découler de l'incident au titre de l'administration de la justice et des relations entre magistrats et avocats (paragraphe 7 en entier) ne peut être analysé comme relatant un propos de portée générale et abstraite ; qu'il se rapporte à l'évidence au comportement professionnel du magistrat Philippe Y... ; que son auteur y dit sans équivoque possible que ce magistrat, pour n'avoir pas respecté la parole donnée, a manqué au devoir " d'honneur ", c'est-à-dire ne s'est pas comporté en vertu de cette disposition morale suivant laquelle il faut agir pour obtenir l'estime d'autrui en conservant le respect de soi-même, qu'il a encore manqué à la " vertu ", c'est-à-dire n'a pas agi suivant la disposition morale conduisant à faire le bien et à éviter le mal, et qu'il a enfin manqué à la bonne " éducation ", c'est-à-dire à la pratique des usages de politesse, d'attention, de délicatesse, d'élégance, notamment, qu'il est admis de respecter dans un groupe social donné ; que ces propos sont incontestablement outrageants pour le magistrat Philippe Y... dont la conduite en tant que personne et en tant que magistrat est triplement déclarée comme ayant été en l'espèce ni honorable, ni vertueuse, ni convenable ; que le second paragraphe incriminé en l'espèce donne la tonalité générale de la missive, qui est de protestation, et, formant la conclusion du précédent, résume les

griefs et reproches faits au juge Y... dans le cas de l'espèce et se veut prospectif sur le comportement à venir possible de ce magistrat ; qu'il ne s'agit pas non plus ici, de propos de portée générale et abstraite, mais tout au contraire d'expressions visant sans équivoque ce magistrat et lui seul ; qu'il s'en évince nécessairement le sens suivant : en ne respectant pas la parole donnée, le juge Renzi a marqué, dans l'exercice de sa fonction de président (juge unique) du tribunal correctionnel un comportement léger, insouciant sur les conséquences (désinvolture), et ce comportement inspire à l'auteur la crainte, pour l'avenir, que ce magistrat n'adopte une attitude systématique et générale de mépris à l'égard de l'ensemble des avocats du barreau de la Roche-sur-Yon ; que ces qualificatifs, désinvolture et attitude méprisante prêtées à Philippe Y..., sont incontestablement de nature outrageante ;

" alors que pour décider du caractère outrageant des propos incriminés (paragraphes 8 et 9 de la lettre du 16 juin 1994) les juges du fond ne peuvent ni ajouter ni retrancher aux passages incriminés ; que, dès lors, la Cour, dans le cadre d'une prétendue analyse a substitué aux termes employés dans la missive d'autres termes non utilisés desquels elle a déduit le caractère outrageant des premiers, a dénaturé les passages incriminés " ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-3, alinéa 1er, et 434-24, alinéa 1er, du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré Pierre X... coupable d'outrage à magistrat, en répression l'a condamné à 10 000 francs d'amende et a statué sur les intérêts civils ;

" aux motifs que, sur l'intention délictueuse, les propos qualifiés d'outrage ont été écrits par un avocat, à ce titre conscient plus que d'autres de la valeur des mots et de leur signification ;

qu'en l'espèce en les rédigeant, le prévenu n'a pu se méprendre sur leur portée outrageante, nonobstant les précautions de style qu'il a prises ;

" alors que la volonté d'outrager doit être recherchée en fonction de l'ensemble du contenu de la missive incriminée ; que la Cour, qui s'est abstenue de rechercher si le paragraphe 1 précédant ceux incriminés, et les paragraphes 10 et 11, suivant également ceux incriminés, caractérisaient la volonté d'outrager, n'a pas légalement justifié son arrêt " ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 434, alinéa 1er, du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré Pierre X... coupable d'outrage à magistrat, en répression l'a condamné à 10 000 francs d'amende et a statué sur les intérêts civils ;

" aux motifs que sur les éléments constitutifs tenant au caractère indirect de l'outrage ; qu'en l'espèce, les propos qualifiés d'outrage ont été adressés par écrit au président du tribunal de grande instance dans lequel le juge visé, Philippe Y..., exerçait ses fonctions comme juge d'instruction et de police correctionnelle ; que cette lettre, stigmatisant le comportement professionnel d'un magistrat et reçue du bâtonnier de l'ordre des avocats de la juridiction, devait nécessairement être communiquée par le président au juge concerné à l'effet que ce dernier, soumis légalement à une évaluation de ses qualités et de son comportement professionnel, pût s'expliquer en connaissance de cause ; que cette nécessité était d'autant plus impérieuse en l'espèce que la lettre du bâtonnier X... portait accusation contre ce magistrat d'avoir manqué à l'éthique de sa fonction, aux principes du procès équitable et au respect des droits de la défense qui constituent ensemble l'assise des devoirs professionnels fondamentaux de la fonction de juge ; que Pierre Louis X..., avocat et bâtonnier de l'ordre ne peut se retrancher derrière la " confidentialité " de ses relations avec le président de la juridiction ; qu'il ne s'est pas borné, d'ailleurs, à entretenir verbalement ce dernier des doléances exprimées par Maître Z..., mais s'est mû en porte-parole de son confrère et de l'ensemble des avocats du barreau pour solenniser les réflexions que lui inspirait le cas évoqué sous la forme d'une correspondance officielle, comme telle archivable au secrétariat de la juridiction et à laquelle il entendait expressément obtenir réponse, ainsi qu'il ressort sans équivoque du paragraphe 11 précité de ladite lettre ; que, ce faisant, Pierre Louis X... savait ou devait savoir que la remise de cette lettre au président du tribunal, supérieur hiérarchique du juge visé, et chargé, par fonction, de régler les différends ou incidents pouvant opposer ses collègues aux auxiliaires de justice du ressort, serait nécessairement suivie de sa communication intégrale au juge concerné, Philippe Y... ; qu'au surplus, la teneur du paragraphe 11 précité et la tonalité générale de la lettre (cf. paragraphe 1 : " pénible obligation ", " émotion du barreau ", " grave incident ", paragraphe 7 " un tel comportement... revêt un caractère de gravité à ne pas négliger " et les trois alinéas qui suivent) autorisent à dire que non seulement Pierre Louis X... savait ou devait savoir que cette missive serait

communiquée, mais encore qu'il avait la volonté qu'elle le fût et que les propos outrageants qu'elle contenait parvinssent effectivement à la connaissance de Philippe Y... ;

" alors que les fonctions exercées par le prévenu autorisaient, voire imposaient à celui-ci à faire part par écrit au chef de la juridiction des incidents ou faits considérés comme tels qui ont été portés à sa connaissance ; que, dès lors, la volonté de ce que les propos outrageants parviennent à la connaissance de Philippe Y... ne pouvait être déduite ni de la saisine du président de juridiction, ni de l'obligation incombant à ce dernier de procéder à une évaluation des qualités de Philippe Y... et du comportement professionnel de celui-ci ; qu'en déduisant du respect d'un usage et d'un devoir d'appréciation des qualités professionnelles de Philippe Y... que Pierre X... savait ou devait savoir que la missive incriminée serait communiquée et qu'il avait la volonté qu'elle le fût, la Cour n'a pas légalement justifié sa décision " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable d'outrage à magistrat, la cour d'appel, a exactement apprécié le sens et la portée de l'écrit incriminé et après avoir relevé que Philippe Y... avait eu effectivement connaissance du courrier litigieux, les juges ont souverainement déduit les faits et circonstances de la cause que la volonté de l'auteur de la lettre était de la faire parvenir à la connaissance du magistrat concerné ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

D'où il suit que les moyens ne doivent être écartés ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-deux juin mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

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