Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 21 septembre 2004, 04-81.418, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt et un septembre deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire AGOSTINI et les observations de la société civile professionnelle TIFFREAU, avocat en la Cour ;

Vu la communication faite au Procureur général ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Michel,

- Y... Patrice,

contre l'arrêt de la cour d'appel de CHAMBERY, chambre correctionnelle, en date du 28 janvier 2004, qui, pour exposition, mise en vente, vente et détention de denrées alimentaires falsifiées, corrompues ou toxiques, les a condamnés chacun à 15 000 euros d'amende ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire produit commun aux demandeurs ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 28 et 30 du Traité de Rome, 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, 1er du décret du 15 avril 1912, L. 213-3, L. 213-4 du Code de la consommation, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Michel X... et Patrice Y... coupables d'exposition ou vente de denrée alimentaire, boisson ou produit agricole falsifié, corrompu ou toxique, et de détention de denrée alimentaire, boisson ou produit agricole falsifié, corrompu ou toxique ;

"aux motifs que "l'article premier du décret du 15 avril 1912 modifié, portant règlement d'administration publique pour l'application de la loi du 1er août 1905 sur la répression des fraudes alimentaires, prohibe la détention en vue de la vente ou la mise en vente de "denrées destinées à l'alimentation humaine lorsqu'elles ont été additionnées de produits chimiques autres que ceux dont l'emploi est déclaré licite" par arrêté ministériel ;

l'article 15-2 du décret précité définit les compléments alimentaires destinés à l'alimentation humaine comme des produits pouvant être ingérés "en complément de l'alimentation courante afin de pallier l'insuffisance réelle ou supposée des apports journaliers" ; l'article 15-2 ajoute que les compléments alimentaires ne doivent pas contenir des tissus ou des liquides corporels provenant de bovins, d'ovins ou de caprins, y compris des embryons de ces espèces animales ; la circonstance que l'article 15-2 du décret du 15 avril 1912 modifié contienne des dispositions spécifiques aux compléments alimentaires n'a pas pour effet de disjoindre ces marchandises de la catégorie générique des denrées alimentaires susceptibles d'être consommées par l'homme de sorte que, contrairement à l'opinion exprimée par le premier juge, elles relèvent aussi, en tant qu'aliments, des dispositions de l'article premier du même décret qui interdit que leur soient ajoutées ou qu'elles soient composées des produits chimiques autres que ceux énumérés dans des listes limitatives définies par arrêtés ministériels ;

en l'espèce, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a établi, par ses analyses, que les prévenus Michel X... et Patrice Y..., ont commercialisé, au cours du premier semestre de l'année 2000, par le biais de la société Phyto-Min, notamment à Annemasse, des compléments alimentaires contenant des oligo-éléments et des vitamines non autorisés tels que l'argent, le cobalt, le lithium, le nickel, l'or, le soufre et la vitamine D ; les agents enquêteurs ont également relevé dans certains compléments des quantités supérieures de vitamines et d'iode à celles permises par l'arrêté du 3 décembre 1993 ; ils ont aussi noté l'ajout d'oligo- éléments sous des formes chimiques non autorisées par l'arrêté du 6 août 1986 tels que sulfate de cuivre, nitrate de chrome, oxyde de fer, stéarate de magnésium et oxyde de molybdène ; il ressort par ailleurs des analyses effectuées que certains compléments alimentaires vendus par les prévenus contiennent des plantes ou leurs extraits dont l'utilisation comme aliments n'est pas expressément permise ou ne l'est uniquement que dans un but d'aromatisation ; or, il appartenait aux prévenus, en tant que vendeurs professionnels, de se renseigner sur la licéité, au regard des normes légales et réglementaires nationales ou européennes, de la composition des compléments alimentaires par eux vendus en France qui provenaient de Suisse et des Etats-Unis ; le dispositif français prévu par l'article premier du décret du 15 avril 1912 n'apparaît contraire ni au règlement communautaire du 28 janvier 2002 sur la sécurité alimentaire ni à la directive du 10 juin 2002 relative au rapprochement de la législation des Etats membres concernant les compléments alimentaires ; cette directive prévoit en effet expressément en son article 4 que ne peuvent être utilisés dans la fabrication de compléments alimentaires que les vitamines et minéraux cités dans une annexe 1, sous des formes visées par une annexe 2, qui comprend une énumération limitative des seules substances autorisées ; le paragraphe 7 de l'article 4 de la

directive en cause permet aux Etats membres, "conformément aux règles du traité de continuer à appliquer les restrictions ou interdictions nationales existantes en matière de commerce des compléments alimentaires contenant des vitamines ou des minéraux non mentionnés à l'annexe 1 ou sous des formes non mentionnées par l'annexe 2 ; or, en l'espèce, il ressort des constatations techniques et expertales de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, que les produits alimentaires commercialisés par Michel X... et Patrice Y... et visés dans l'acte de prévention comprennent des substances sous une forme dont l'emploi n'est précisément pas autorisé par l'annexe 2 de la directive ; ainsi, contrairement aux écritures développées par les prévenus, n'est pas contraire au principe communautaire de libre circulation des marchandises, pour obéir à des impératifs de préservation de la santé publique admis par le Traité de Rome, l'établissement de listes nationales positives énumérant les seules substances pouvant être employées, sous certaines formes, dans la fabrication des compléments alimentaires, pourvu que ces listes soient en adéquation avec celles arrêtées par la directive précitée dans ses annexes 1 et 2 ;

"alors que 1 ), l'incrimination de l'addition à une denrée alimentaire de "produits chimiques" non autorisés ne satisfait pas aux exigences de prévisibilité et d'accessibilité de la loi pénale, en l'absence d'une définition claire, précise et constante de la notion de "produit chimique", et ne saurait donc fonder la condamnation des prévenus ;

"alors que 2 ), une interdiction de commercialiser des denrées alimentaires additionnées de produits chimiques non autorisés par l'Administration constitue une entrave à la libre circulation des marchandises ; qu'une telle entrave n'est susceptible d'être justifiée par l'impératif de protection de la santé publique, que s'il est établi que la commercialisation des denrées en cause présente un risque réel pour la santé publique, compte-tenu des résultats de la recherche scientifique internationale ;

qu'en affirmant que l'impératif de protection de la santé publique aurait permis de justifier l'interdiction de commercialiser les produits litigieux, sans rechercher si ces produits présentaient un risque réel pour la santé publique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'au cours du premier semestre de l'année 2000, Michel X... et Patrice Y... ont commercialisé en France des compléments alimentaires comportant des vitamines non autorisés ou en quantités supérieures aux limites autorisées, des oligo-éléments non autorisés ou sous des formes chimiques non autorisées ainsi que des extraits de plantes dont l'utilisation n'est admise qu'à titre d'aromatisation ; qu'ils ont notamment été poursuivis en application des articles L. 213-3 et L. 213-4 du Code de la consommation, pour exposition, mise en vente, vente et détention de denrées alimentaires falsifiées, corrompues ou toxiques ;

Attendu que, pour déclarer les prévenus coupables de ces délits, l'arrêt prononce par les motifs partiellement repris au moyen ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que l'interdiction des produits litigieux, non contraire à la directive 2002/46/CE du 10 juin 2002, constitue une mesure de précaution justifiée par les incertitudes scientifiques qui subsistent relativement aux risques que ces produits font courir à la santé, la cour d'appel n'avait pas à se justifier mieux qu'elle ne l'a fait et a caractérisé en tous leurs éléments constitutifs les délits poursuivis, sans méconnaître aucune des exigences tenant à la prévisibilité et à l'accessibilité de la loi pénale ni contredire aucune règle du droit communautaire ;

D'où il suit que Ie moyen ne peut qu'être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme Agostini conseiller rapporteur, M. Farge conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Daudé ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

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