Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 18 avril 2000, 99-80.629, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix-huit avril deux mille, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller CHANET, les observations de la société civile professionnelle TIFFREAU, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général de GOUTTES ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- LA FEDERATION DES SOCIETES D'ANCIENS DE LA LEGION ETRANGERE, dite FSALE, partie civile,

1) contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 27 novembre 1997, qui, dans la procédure suivie contre Claude X...et autres notamment pour diffamation publique, a, après annulation partielle d'un jugement du tribunal correctionnel de PARIS, évoqué et renvoyé la cause et les parties à une audience ultérieure pour statuer sur le fond ;

2) contre l'arrêt de ladite cour d'appel, en date du 7 janvier 1999, qui, pour diffamation et injure publiques envers un fonctionnaire public a, après condamnation de Claude X..., prononcé sur les intérêts civils ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 du Code civil, 29 à 34, 43, 53 et 55 de la loi du 29 juillet 1881, 550 et 555 à 558, 485, 565, 567, 591, 592, 593 et 802 du Code de procédure pénale, 6, 10 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1er du 1er protocole additionnel à ladite Convention ;

" en ce que, " vu l'arrêt du 27 novembre 1997 et l'ordonnance de M. le conseiller doyen faisant fonctions de président de la chambre criminelle de la Cour de Cassation en date du 29 avril 1998 (...) la cour d'appel a " constaté la nullité de la citation à comparaître délivrée le 18 octobre 1996 par la Fédération des Sociétés d'Anciens de la Légion Etrangère à François Y... " ;

" aux motifs que " vu l'arrêt du 27 novembre 1997 et l'ordonnance de M. le conseiller doyen faisant fonctions de président de chambre criminelle de la Cour de Cassation, en date du 29 avril 1998 (...) le journaliste François Y... a été cité le 18 octobre 1996 au siège du journal le Nouvel Observateur ; qu'il est de jurisprudence constante (cf. crim. 2 mai 1990 ; crim. 12 janvier 1993) que le siège du journal dans lequel a été publié l'article incriminé ne peut constituer le domicile de l'auteur de l'article ;

qu'une citation délivrée dans ces conditions est nécessairement de nature à porter atteinte aux droits de la défense ; qu'elle est donc entachée de nullité ; que le conseil de la partie civile fait observer que la secrétaire du journal avait refusé de communiquer à l'huissier de justice l'adresse personnelle de François Y... ; que la partie civile, malgré ce refus, n'était pas dans l'impossibilité d'exercer des poursuites contre le journaliste ; qu'il lui était possible de déposer une plainte avec constitution de partie civile ; que l'adresse personnelle du journaliste aurait été recherchée dans le cadre d'une information (...) " ;

" alors que, 1) le journaliste qui, pour faire obstacle aux poursuites de celui qui se prétend victime d'une infraction de presse, dissimule sciemment l'adresse de son domicile, absente des annuaires téléphoniques, en donnant instruction, à la société de presse publiant le journal dans lequel est inséré l'article incriminé, de ne pas la communiquer à l'huissier de justice ayant pour ministère légal de lui délivrer une citation à comparaître à une audience de jugement, est sans droit à exciper de la nullité de l'acte, prétexte pris d'une prétendue violation de ses droits de la défense ;

qu'en décidant le contraire, au motif inopérant tiré du droit de la victime de déposer une plainte avec constitution de partie civile, alors que tout justiciable titulaire d'une action pénale légalement prévue doit être mis en mesure de l'exercer effectivement devant la juridiction compétente par le recours de son choix, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

" alors que, 2) au surplus, il incombait aux juges du fond, pour une bonne administration de la justice à laquelle il leur appartenait de pourvoir, de surseoir à statuer et d'ordonner d'office telle mesure d'instruction de nature à révéler l'adresse du journaliste rédacteur de l'article incriminé, au besoin en ordonnant au directeur de la publication et à la société de presse civilement responsable, régulièrement cités et représentés à l'audience de jugement, de communiquer l'adresse du domicile du journaliste, à l'effet de procéder à une nouvelle citation à comparaître ; qu'en omettant d'y procéder, la cour d'appel a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et violé les textes susvisés " ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'à la suite de la publication, dans la semaine du 18 au 24 juillet 1996, d'un article de François Y... dans l'hebdomadaire " Le Nouvel Observateur " intitulé " Au pas lent de la Légion ", la FSALE a fait citer directement devant le tribunal correctionnel, le 21 octobre 1996, le journaliste et Claude X..., directeur de publication pour diffamation publique et injures publiques visant les articles 29, alinéa 1er, 30, 31, 33, alinéa 1er, et 48-3 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Attendu que, pour confirmer le jugement constatant la nullité de la citation délivrée à François Y..., les juges du second degré se prononcent pas les motifs reproduits au moyen ;

Attendu qu'en statuant ainsi la cour d'appel a justifié sa décision ;

Qu'en effet la délivrance de la citation au siège du journal, en dehors des cas où elle est exceptionnellement autorisée est nécessairement de nature à porter atteinte aux droits de la défense, en entravant l'exercice des droits reconnus au prévenu par l'article 55 de la loi du 29 juillet 1881, la partie poursuivante ne pouvant voir déclarer la citation valable que si elle démontre l'absence éventuelle d'effet de l'irrégularité constatée ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 du Code civil, 29 à 34, 43, 47, 48, 48-3 à 55 de la loi du 29 juillet 1881, 485, 565, 567, 591, 592, 593 du Code de procédure pénale, 6, 10 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1er du 1er Protocole additionnel à ladite Convention ;

" en ce que, " vu l'arrêt du 27 novembre 1997 et l'ordonnance de M. le conseiller doyen faisant fonctions de président de la chambre criminelle de la Cour de Cassation en date du 29 avril 1998 (...) la cour d'appel a " déclaré irrecevable, pour non respect des dispositions des articles 47 et 48 de la loi sur la presse l'action engagée à l'encontre de Claude X...des chefs de diffamation et injures publiques envers la Légion étrangère " ;

" aux motifs que, " il résulte de la combinaison des articles 47 et 48 (1) précités que, pour les délits de diffamation et injure publique envers l'armée, les poursuites sont subordonnées à une plainte du chef de corps ou du ministre chargé des armées ;

que, tel n'est pas le cas en l'espèce ; que l'article 48-3, résultant de la loi du 17 décembre 1991, autorise, dans certaines conditions, les associations dont l'objet est de défendre les intérêts moraux et l'honneur des anciens combattants et victimes de guerre et des morts pour la France, à exercer les droits reconnus à la partie civile, en ce qui concerne les délits de diffamation et d'injure qui ont causé un préjudice direct ou indirect à la mission qu'elles remplissent ;

que, si la loi du 17 décembre 1991 a élargi les droits reconnus aux associations d'anciens combattants, l'article 48-3 ne déroge pas aux dispositions des articles 47 et 48 (1) qui n'ont pas été modifiés ;

que, contrairement à ce que soutient le conseil de la partie civile, cette interprétation ne vide pas la loi de son contenu puisque les restrictions résultant des articles 47 et 48 (1) ne concernent que les délits de diffamation et d'injure envers l'armée (...) " ;

" alors que, 1) la Fédération des Sociétés d'Anciens de la Légion Etrangère, qui a pour but, reconnu d'utilité publique de " défendre les intérêts matériels, moraux et administratifs des associations qui la composent, ainsi que de tous les anciens légionnaires ", ainsi que " la défense de la mémoire des morts et des anciens combattants de la Légion étrangère et du patrimoine d'honneur et de considération constitutif de l'identité légionnaire, honneur des Anciens " et de " faire connaître et apprécier la Légion étrangère par tous les moyens à sa disposition ", tient notamment des articles 29 à 34 de la loi sur la presse la qualité à agir en justice pour la défense de l'honneur et de la considération de la Légion étrangère en tant qu'institution, dont elle s'est donnée pour but de préserver l'image historique et contemporaine ; que la fédération, au surplus n'appartenant pas aux forces armées, ne saurait voir son droit d'agir anéanti par le droit distinct et spécifique du ministre de la Défense d'agir au nom de celles-ci ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

" alors que, 2) au surplus, la Fédération des Sociétés d'Anciens de la Légion étrangère, inscrite à l'Office National des Anciens Combattants sous le numéro 93/ 0013 B et ayant notamment pour but reconnu d'utilité publique " la défense de la mémoire des morts et des anciens combattants de la Légion étrangère et du patrimoine d'honneur et de considération constitutif de l'identité légionnaire, honneur des Anciens " et de " faire connaître et apprécier la Légion étrangère par tous les moyens à sa disposition ", tient notamment des dispositions de l'article 48-3 résultant de la loi du 17 décembre 1991 la qualité à agir en justice pour la défense des intérêts collectifs susvisés de ses membres ayant combattu à la Légion étrangère et, par suite, pour la défense de l'honneur et de la considération de celle-ci en tant qu'institution, dont elle s'est donnée pour but de préserver l'image historique et contemporaine ;

que la Fédération, au surplus n'appartenant pas aux forces armées, ne saurait voir son droit d'agir anéanti par le droit distinct et spécifique du ministre de la Défense d'agir au nom de celles-ci ;

qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les textes susvisés " ;

Attendu que, pour déclarer irrecevable l'action de la partie civile des chefs de diffamation et injures publiques envers la Légion étrangère, la cour d'appel relève que les dispositions de l'article 48-3 de la loi du 29 juillet 1881 ne dérogent pas aux dispositions de l'article 48-1 du même texte ; que les juges déduisent qu'en application de ce dernier texte, la poursuite des délits de diffamation et d'injures publiques commises envers un corps d'armée est subordonnée à une plainte du chef de corps ou du ministre de la Défense ;

Attendu qu'en statuant ainsi, les juges ont fait l'exacte application de la loi ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;

Mais sur le moyen relevé d'office, pris de la violation de l'article 48-1 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Vu ledit article ;

Attendu que, selon ce texte, dans les cas d'injure ou de diffamation envers un corps indiqué en l'article 30 de la loi du 29 juillet 1881, la poursuite n'aura lieu que sur plainte du chef de corps ou du ministre duquel ce corps relève ;

Attendu que, pour déclarer irrecevable l'action civile de la FSALE contre Claude X...et condamner ce dernier du chef de diffamation et injures publiques envers des fonctionnaires publics, les juges retiennent que, selon ses statuts, la FSALE a le droit d'ester en justice en application des dispositions de l'article 48-3 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que l'article 48-3 de la loi du 29 juillet 1881 ne dérogeant pas à l'article 48, alinéa 1er, du même texte, seul le chef du corps de la Légion étrangère ou le ministre de la Défense pouvait engager des poursuites pour diffamation publique commise à l'encontre de militaires non personnellement identifiables et mis en cause à raison de leur appartenance à un corps d'armée déterminé, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs et sans qu'il soit nécessaire d'examiner le troisième moyen ;

Par ces motifs,

I-Sur le pourvoi n° K 9980629 :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, en date du 27 novembre 1997 ;

II-Sur le pourvoi n° F 9980671 :

CASSE et ANNULE, par voie de conséquence, l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, en date du 7 janvier 1999 ;

DIT n'y avoir lieu à RENVOI ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de PARIS, sa mention en marge ou à la suite des arrêts annulés ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L. 131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Gomez président, Mme Chanet conseiller rapporteur, M. Pinsseau conseiller de la chambre ;

Avocat général : M. de Gouttes ;

Greffier de chambre : Mme Krawiec ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

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