Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 12 juin 2001, 01-80.838, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le douze juin deux mille un, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller MISTRAL, les observations de la société civile professionnelle VINCENT et OHL, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CHEMITHE ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- L... Franco,

- K... Jean,

contre l'arrêt de la cour d'appel de DOUAI, 6ème chambre, en date du 30 novembre 2000, qui, pour contravention de blessures involontaires, les a condamnés chacun à 6 000 francs d'amende dont 3 000 francs avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire produit commun aux demandeurs ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des des articles 121-3, R 622, R 625-2 et R 625-4 du Code pénal, 2, 427, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré les prévenus coupables de blessures involontaires au préjudice de Claudine D..., Sabrina A..., Sandrine G..., Giovanna Y..., épouse C..., Pierre C..., Vincent C..., Fabrice C..., et d'atteinte à l'intégrité physique de Wendy F...et Mélanie C... ;

" aux motifs que le 24 janvier 1997, vers 10 heures, les forces de police étaient avisées de l'intoxication au monoxyde de carbone (CO) de neuf personnes demeurant dans un immeuble HLM, " Le Daquin " situé... ; les sapeurs pompiers relevaient un taux de CO de 260 PPM dans l'appartement n° 6, un taux de 60 dans l'appartement n° 10 et un taux de 10 dans l'appartement n° 3 (norme : 50) ; l'examen médical concluait pour 7 des victimes à une ITT ayant duré entre 1 à 2 jours à 8 jours ; s'agissant des deux autres victimes, en l'occurrence deux très jeunes enfants en la personne de Wendy F...et Mélanie C..., aucune ITT n'était constatée, leur état nécessitant un placement sous oxygène pour la première et un séjour en caisson hyperbare pour la seconde ; l'immeuble " Le Daquin " construit en 1982, comprend dix-sept logements : quatorze dans un bâtiment principal et trois dans un bâtiment accolé au bâtiment principal ; ce bâtiment accolé comporte trois logements répartis sur trois niveaux, les appartements n° 3, 6 et 10 où demeurent les personnes intoxiquées ; l'évacuation des fumées et du CO produits par chaque chaudière s'effectue par des colonnes reliées à une ventilation mécanique contrôlée (VMC) située dans les combles et qui rejette les fumées et l'air vicié par le toit ; les chaudières des trois logements du bâtiment accolé sont reliées à une VMC secondaire, indépendante de la VMC principale des quatorze autres logements ;

lors des premières constatations effectuées par les services de police sur les lieux de l'accident, M. H..., responsable de l'OPAC d'Arras, indiquait que cette intoxication était peut-être due à un mauvais fonctionnement de la VMC secondaire ; durant leurs investigations, les enquêteurs découvraient que la courroie destinée à entraîner la VMC des 3 appartements en question était cassée et se trouvait par terre ; elle était, de plus, en très mauvais état (fissurée en plusieurs endroits) ; M. I... de la société Interservices n'était pas en mesure de préciser la date du dernier contrôle de cette courroie ; l'état de la courroie permettait en tout état de cause de conclure que son remplacement était très ancien ; la veille du sinistre, les occupants des 3 logements occupant le bâtiment accolé en l'occurrence Claudine D... pour l'appartement n° 3 situé au rez de chaussée, la famille C... dans l'appartement n° 6 situé au 1er étage, et Sandrine G... pour l'appartement n° 10 situé au 2ème étage avaient appelé la SARL Interservices, chargée de l'entretien des chaudières et de la VMC aux termes d'un contrat multiservices signé avec l'OPAC ; il sera précisé que les chaudières Saunier Duval équipant les logements concernés sont équipées d'un système de sécurité individuelle qui fait que lorsqu'un problème de VMC se produit et que les gaz stagnent au niveau de la buse de sortie des fumées, la sonde thermostatique décelant l'élévation de températures réagit et par un système d'interrupteur coupe ou réduit l'alimentation en gaz de la chaudière dans les 10 secondes ; cette sécurité individuelle peut toutefois être insuffisante dans l'hypothèse d'un tirage thermique résiduel ; depuis le 30/ 05/ 89, en raison de l'insuffisance des systèmes de sécurité un arrêté réglemente et impose dans certains cas l'installation d'un dispositif de sécurité collective ; ce système de sécurité collective consiste en l'installation d'un dépressostat sur chaque VMC chargé de détecter une éventuelle anomalie notamment un manque de dépression dû à l'arrêt ou au ralentissement du groupe ventilateur pour une cause ou une autre ; un réseau de câbles électriques relie le dépressostat à un ensemble de relais lumineux installés dans chaque logement ; en cas de dysfonctionnement, le voyant lumineux s'allume et alerte d'un danger ; le fonctionnement de la chaudière est normalement coupé ; l'OPAC lors d'un programme d'équipement en DSC a fait installer dans l'immeuble concerné un dispositif de sécurité collective (DSC) en octobre 1996, ces travaux ayant fait l'objet d'un marché passé avec le Bet Etnap pour la maîtrise d'oeuvre, la rédaction du descriptif et du cahier des charges, l'exécution des plans et des documents remis aux entreprises soumissionnaires et le suivi des travaux, le Sertec titulaire du marché de travaux, le bureau de contrôle Veritas pour la réception des ouvrages ; dans la partie accolée de l'immeuble Daquin le système de sécurité collective à la suite d'une erreur de connexion par ignorance manifeste des installations exactes de VMC dans l'immeuble Daquin ; en effet, le système de la DSC des chaudières du bâtiment accolé était raccordé à la VMC principale du bâtiment et non à la VMC secondaire et ne pouvait donc pas jouer son rôle ; en l'occurrence, le processus du sinistre est le suivant : la courroie d'entraînement de la VMC a cédé en raison d'un très mauvais état de la courroie, ce qui fait que les gaz brûlés n'ont pu être évacués ; les sécurités individuelles n'ont pu jouer leur rôle en raison d'un tirage thermique résiduel ; la DSC étant hors d'état de jouer son rôle en raison d'un mauvais raccordement ; il résulte de ces éléments qu'il existe un lien de causalité certaine entre la rupture de la courroie de la VMC secondaire en raison de sa vétusté et la réalisation du sinistre ; cette rupture pour vétusté est donc susceptible d'engager la responsabilité de celui à qui pouvait être attribué la charge de la maintenance de la VMC secondaire ; la SARL Interservices, dont les prévenus étaient cogérants, était chargée de l'entretien de la VMC suivant contrat de juillet 1995 ; Franco L... et Jean K... poursuivis pour négligence dans la maintenance font valoir pour soutenir leur relaxe : le fait qu'il n'y ait pas de lien de causalité entre la rupture de la courroie et la réalisation du sinistre, la courroie n'étant pas un organisme de sécurité et la sécurité des usagers ne pouvant dépendre d'une éventuelle rupture et le fait que l'accident serait dû en réalité aux fautes commises par d'autres intervenants, notamment ceux qui ont installés la DSC et l'OPAC elle-même ; le fait qu'ils étaient dans l'ignorance totale de l'existence de la VMC secondaire ; il a déjà été répondu plus haut sur l'existence d'un lien de causalité entre la rupture de la courroie et le sinistre ; il est certain par ailleurs que l'expert Z... a indiqué dans son rapport " la responsabilité du propriétaire des lieux nous paraît engagée, ainsi que celle de l'entreprise chargée de la maintenance des chaudières et le système VMC, voire celle des entreprises, Bet et contrôleur technique chargé de la mise en place des DSC, alors que celui de l'immeuble Daquin était mal raccordé... et de ce fait, non vérifié et contrôlé " ; la pluralité des causes d'un dommage n'a toutefois pas valeur exonératoire et la Cour comme le premier juge ne peut statuer qu'à l'égard de ceux qui ont été poursuivis ; au moment du sinistre, la SARL Interservices était en charge de la maintenance depuis octobre 1995, c'est à dire pendant une période couvrant l'exercice annuel pendant une période pendant laquelle devait intervenir un remplacement des courroies (remplacement annuel aux termes de l'arrêté du 25/ 04/ 1985) ; cette durée permettait par ailleurs aux prestataires de service de prendre connaissance du patrimoine immobilier dont ils avaient la charge ; le contrat multi-services impliquait de la part des responsables de la société Interservices une collaboration intellectuelle avec l'OPAC pour parvenir à appréhender parfaitement les équipements en VMC des logements dont ils avaient la charge ; or force est de constater que quoique Franco L... et Jean K... aient soutenu avoir fait des réclamations sur ce point, il n'est nullement démontré que les 2 responsables auraient exigé la remise des documents nécessaires ;

les comptes-rendus des réunions entre l'OPAC et Interservices ne font nullement ressortir d'interpellation des services de l'OPAC sur ce point ; l'obtention du plan de masse et du plan d'installation des VMC auraient été de nature à éclairer les techniciens intervenant sur l'existence de la VMC spécifique ; or à cet égard Christian J... salarié à Interservices a déclaré avoir travaillé généralement au hasard n'ayant aucun plan des installations à sa disposition ; la collaboration intellectuelle nécessaire de la société prestataire de services de l'OPAC supposait également qu'il y ait une consultation des concierges de la résidence au courant de leurs installations ; or, M. E..., concierge de la résidence Daquin, parfaitement au courant de l'existence de la VMC secondaire, n'a pas été consulté ;

l'existence de cette VMC secondaire n'était d'ailleurs pas à ce point indécelable puisque Laurent X..., technicien VMC chauffagiste chez Proxima, entreprise chargée du même entretien qu'Interservices avant cette dernière, avait découvert de lui-même l'existence de la VMC spécifique ; les services de police et les pompiers se sont rapidement dépêchés le jour du sinistre sur l'emplacement de la VMC secondaire ; l'expert B... a relevé sur les murs du local technique différentes indications mentionnant la présence des deux VMC ; en fait, si la configuration des lieux pouvait déjà susciter des interrogations quant à l'existence d'une VMC secondaire, le fait que les 3 occupants des 3 logements superposés de l'immeuble accolé aient appelé le 23/ 01/ 1997 pour signaler une panne, aurait du alerter les professionnels de l'existence d'un problème spécifique à ces 3 logements ; il convient de conclure qu'une faute de lien de causalité avec le préjudice subi par les victimes est bien caractérisée à l'égard des deux responsables d'Interservices ; cette faute est d'ailleurs une faute caractérisée, correspondant à un manquement de la part de professionnels à des obligations contractuelles ayant pour objet d'assurer la sécurité d'usagers, qui a exposé autrui à un risque grave que ces professionnels ne pouvaient ignorer ; qu'il convient de confirmer le jugement entrepris sur les déclarations de culpabilité ;

les peines appliquées sont par ailleurs adaptées à la nature des infractions et aux circonstances des agissements coupables des prévenus (arrêt, pages 6 à 10) ;

" 1) alors qu'à l'appui de leurs conclusions d'appel, aux termes desquelles il était soutenu que les responsables de la société Interservices avaient pu légitimement ignorer l'existence de la VMC secondaire dès lors que les plans et schémas des installations de la résidence Daquin n'avaient jamais été fournis par l'OPAC malgré les réclamations qui lui étaient adressées, les demandeurs ont notamment produit aux débats le compte rendu de la réunion intervenue le 6 mars 1996, entre les responsables de l'OPAC 62 et ceux de la société Interservices ; que la page 3, ce compte rendu porte la mention " à fournir à Interservices Plan du patrimoine pour DSC ", démontrant ainsi que la société de maintenance avait réclamé la délivrance des plans lui permettant de connaître exactement le nombre et la situation des systèmes de ventilation équipant l'ensemble immobilier ; qu'en estimant dès lors qu'il n'est nullement démontré que les deux responsables de la société Interservices auraient exigé la remise des documents nécessaires, leur permettant d'appréhender parfaitement les équipements en VMC des logements dont ils avaient la charge, et que les comptes rendus des réunions entre l'OPAC et Interservices ne font nullement ressortir d'interpellation des services de l'OPAC sur ce point, pour en déduire que l'ignorance, par les prévenus, de l'existence de cette VMC secondaire, dont la défaillance est à l'origine du sinistre, était fautive, sans rechercher si la preuve des diligences accomplies par les intéressés ne résultait pas notamment des pièces susvisées, la cour d'appel qui a dénaturé le compte rendu susvisé, a entaché sa décision d'une contradiction de motifs et violé l'article 593 du Code de procédure pénale ;

" 2) alors que conformément aux dispositions de l'article 121-3, al 4 du Code pénal, issu de l'article 1er de la loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000, immédiatement applicables aux instances en cours, les personnes qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé, ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, ne sont responsables pénalement que s'il est établi qu'elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer ; qu'en l'espèce, pour entrer en voie de condamnation, la cour d'appel a relevé que les prévenus auraient commis une faute caractérisée, correspondant à un manquement de la part de professionnels à des obligations contractuelles ayant pour objet d'assurer la sécurité d'usagers, qui a exposé autrui à un risque grave que ces professionnels ne pouvaient ignorer ; qu'en statuant ainsi, tout en relevant que si l'existence de la VMC secondaire, à l'origine de l'accident, n'était pas à ce point indécelable, les techniciens de la société Interservices, faute d'avoir obtenu le plan d'installation des VMC, n'étaient pas informés de l'existence de cette VMC, ce dont il résulte que les prévenus, auraient-t-ils commis une faute caractérisée, n'avaient pas connaissance du risque

auquel les occupants étaient exposés, en cas de panne de cette installation et, partant, ne se trouvaient pas dans l'impossibilité d'ignorer ce danger, la cour d'appel a omis de tirer les conséquences légales de ses propres constatations et violé, par fausse application, les textes susvisés " ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments la contravention dont elle a déclaré les prévenus coupables, et a ainsi justifié l'allocation, au profit des parties civiles, des indemnités propres à réparer le préjudice en découlant ;

D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L. 131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Mistral conseiller rapporteur, M. Roman conseiller de la chambre ;

Avocat général : M. Chemithe ;

Greffier de chambre : Mme Nicolas ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

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