Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 20 novembre 1996, 95-84.048, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt novembre mil neuf cent quatre-vingt-seize, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire VERDUN, les observations de Me C..., de la société civile professionnelle DEFRENOIS et LEVIS et de la société civile professionnelle MASSE-DESSEN, GEORGES et THOUVENIN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général AMIEL;

Statuant sur le pourvoi formé par : - Y... Roger,

contre l'arrêt de la cour d'appel d'ORLEANS, chambre correctionnelle, en date du 20 juin 1995 qui, pour homicide involontaire, l'a condamné à 2 mois d'emprisonnement avec sursis et à 5 000 francs d'amende, l'a privé du droit de conserver un permis de chasser pour une durée de un an, et a prononcé sur les intérêts civils;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Jean-Claude Gravit, qui participait à une battue au grand gibier organisée par Gérard X..., sur une chasse louée par Roger Y..., a été mortellement blessé par le tir d'un autre chasseur; que ce dernier ainsi que Roger Y... sont poursuivis pour homicide involontaire, Gérard X... étant cité comme civilement responsable;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 315 et 593 du Code de procédure pénale, 319 du Code pénal, défaut de motifs, manque de base légale, défaut de réponse à conclusion;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Roger Y... coupable du délit d'homicide involontaire sur la personne de Stéphane Gravit, l'a condamné à peine de deux mois d'emprisonnement avec sursis, à 5 000 francs d'amende et lui a interdit de conserver un permis de chasser pendant une durée d'un an;

"aux motifs qu'après concertation entre Gérard X... et Roger Y..., ce dernier avait demandé à Jean-Claude Z... et Gilbert B... de se poster à leur choix le long d'un fossé bordant un ruisseau se trouvant sur leur droite, tandis que les autres chasseurs empruntaient un chemin perpendiculaire sur lequel il postait d'abord Jean-Claude D..., à la jonction de deux allées, puis Jean-Louis A... plus loin sur le chemin; que Jean-Claude D... a affirmé qu'en le plaçant, Roger Y... lui avait dit "ça sort là et ça sort là" lui indiquant ainsi les emplacements de sortie du gibier et donc de tir qui s'étaient d'ailleurs révélés exacts, puisqu'il avait d'abord vu sortir d'un de ces emplacements un premier chevreuil qu'il avait manqué, puis de l'autre un second animal en direction duquel il avait visé lorsqu'il avait accidentellement atteint Jean-Claude Gravit; que Roger Y... a convenu qu'après avoir placé Jean-Claude D..., il lui avait indiqué qu'il était bien placé, à la fourche de deux allées et qu'il lui avait probablement indiqué les directions de sortie des gibiers ;

que jean-Claude D... a affirmé que l'emplacement des autres chasseurs et en particulier de la victime ne lui avait pas été précisé par Roger Y... qui a confirmé qu'il n'avait pas dû l'indiquer; que si Roger Y..., locataire du bois, connaissait bien les lieux, Jean-Claude D... n'y avait chassé qu'une seule fois auparavant; que les militaires de la gendarmerie qui se sont transportés sur les lieux et ont procédé à l'enquête préliminaire ont pu constater que de l'emplacement de Jean-Claude D..., il lui était impossible de distinguer Jean-Claude Gravit qui se trouvait à une distance d'environ 76m lorsqu'il a été blessé; que dans ces conditions, les indications de sorties du gibier que Roger Y... ne conteste pas avoir données à Jean-Claude D..., alliées au choix de son emplacement et à l'absence de précision sur l'étendue de la traque et le positionnement des autres chasseurs sont directement à l'origine de l'accident; que néanmoins, en omettant de vérifier l'emplacement des autres chasseurs qu'il avait vu s'éloigner le long du ruisseau en direction duquel il a tiré, Jean-Claude D... a également commis une imprudence caractérisée qui a concouru à la réalisation de l'infraction;

"1°/ alors que la méconnaissance des règles élémentaires de prudence ayant pour objet la prise de risques dangereux compte tenu des comportements humains normaux constitue une faute d'imprudence; qu'en décidant que Roger Y... avait commis une faute d'imprudence engageant sa responsabilité pénale en postant Jean-Claude D... à un emplacement d'où Jean-Claude D... a mortellement blessé Stéphane Gravit, sans rechercher si Jean-Claude D... n'avait pas tiré dans la traque sans respecter les règles élémentaires de sécurité quand un tel comportement aberrant de la part d'un chasseur chevronné était totalement imprévisible pour Roger Y... et interdisait de qualifier sa propre attitude de fautive, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen;

"2°/ alors que les juges du fond ont l'obligation d'établir l'existence d'un lien de causalité entre la faute pénale imputable au prévenu et le dommage souffert par la victime; qu'en condamnant Roger Y... sans rechercher si Jean-Claude D... n'avait pas tiré dans la traque ou si sa prétendue ignorance de l'étendue de la traque n'était pas fautive et due à sa seule imprudence, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure de vérifier si le lien de causalité existant entre la faute d'imprudence commise par Jean-Claude D... et le dommage souffert par Stéphane Gravit n'avait pas un caractère exclusif déchargeant Roger Y... de toute responsabilité pénale, violant ainsi les textes visés au moyen;

"3°/ alors que dans ses conclusions déposées devant la cour d'appel, Roger Y... a fait valoir que Jean-Claude D... n'avait respecté aucune des règles de la chasse au grand gibier en battue et qu'il avait tiré dans la traque; qu'en attribuant néanmoins une part de responsabilité à Roger Y... dans l'accident mortel dont Stéphane Gravit a été la victime, sans répondre aux conclusions du demandeur, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen";

Attendu que, pour déclarer Roger Y... coupable d'homicide involontaire, les juges du second degré relèvent, par motifs propres et adoptés, que ce dernier, qui connaissait la configuration du territoire de chasse dont il était le locataire, a procédé au placement des chasseurs et fourni à l'auteur du coup de feu des indications de tir, sans lui préciser la position des autres participants; qu'ils ajoutent que ces imprudences ont été à l'origine de l'accident;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, exempts d'insuffisance ou de contradiction, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués;

Que le moyen, qui se borne à remettre en discussion l'appréciation souveraine par les juges du fond des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus, ne saurait, dès lors, être accueilli;

Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 515, 459 et 593 du Code de procédure pénale, 1382 du Code civil, défaut de motifs et défaut de réponse à conclusions;

"il est fait grief à l'arrêt attaqué, statuant sur les intérêts civils d'avoir confirmé la mise hors de cause de Gérard X... au titre de sa responsabilité civile;

"aux motifs adoptés qu'aucun fondement juridique ne pouvait par contre être trouvé à la poursuite de Gérard X... en qualité de civilement responsable;

"et aux motifs propres que hors les cas limitativement énumérés à l'article 1384 du Code civil, la responsabilité du fait d'autrui ne peut être retenue; qu'en l'espèce, le tribunal a, à juste titre, relevé qu'aucun fondement ne pouvait être trouvé à la poursuite de Gérard X... en qualité de civilement responsable;

"alors que dans des conclusions restées sans réponse, Roger Y... faisait valoir que la responsabilité de Gérard X... organisateur de la chasse devait être retenue dans la mesure où il avait participé au choix du poste de tous les chasseurs; qu'en décidant néanmoins que Roger Y... avait pris l'initiative de poster Jean-Claude D... à un endroit dangereux pour les autres chasseurs, sans répondre aux conclusions circonstanciées de l'intéressé, la cour d'appel a violé les textes visés par le moyen";

Attendu que le prévenu, pénalement condamné, est sans qualité à se plaindre de la mise hors de cause de Gérard X..., cité comme civilement responsable;

Qu'il s'ensuit que le moyen est irrecevable ;

Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation de l'article 1382 du Code civil, des articles 515, 459 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs;

"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a condamné Roger Y... et Jean-Claude D... a payer à Mme Z... la somme de 1 126 115 francs au titre de son préjudice matériel;

"aux motifs que sur le préjudice économique subi par Mme Z... du fait du décès de son mari que, bien qu'exerçant elle-même une activité salariée, la perte de ressources qu'elle subit, constituée par la part de ses revenus que le mari consacrait aux frais incompressibles du foyer, peut être évaluée à 40 % des revenus de celui-ci compter tenu du revenu sensiblement supérieur à celui de son épouse qu'il percevait; qu'il n'appartient pas au juge pénal, dans l'évaluation du préjudice de la victime, de tenir compte de la charge fiscale qu'aurait supporté le revenu servant de base à cette évaluation, ni des avantages contractuels dont elle peut bénéficier depuis le décès de son mari;

"alors que l'indemnisation due par l'auteur d'un dommage à sa victime ne saurait excéder le montant du préjudice causé; qu'en fixant le montant de l'indemnité due à Mme Z... au titre de son préjudice matériel en refusant de tenir compte des sommes perçues par cette dernière depuis le décès de son mari, à titre de "pension et rentes", la cour d'appel a violée les textes visés au moyen";

Attendu que, se prononçant sur la liquidation du préjudice économique ayant résulté pour Christiane Gravit du décès de son époux, dont Jean-Claude D... et Roger Y... ont été déclarés entièrement responsables, les juges d'appel étaient saisis de conclusions de ce dernier demandant que soient déduites de l'indemnité revenant à la veuve le montant des revenus fiscalement déclarés comme "pensions et rentes", au motif que ces sommes participeraient "vraisemblablement" à l'indemnisation du préjudice économique;

Que, pour rejeter cette demande, la cour d'appel retient qu'il ne lui appartient pas de tenir compte, dans l'évaluation du préjudice de la victime, des avantages contractuels dont elle peut bénéficier depuis le décès de son mari;

Qu'en l'état de ces motifs, d'où il résulte que les revenus litigieux relevaient des prestations visées à l'article 33 alinéa 1 de la loi du 5 juillet 1985, la cour d'appel, qui n'avait pas à répondre mieux qu'elle l'a fait aux conclusions dont elle était saisie, a justifié sa décision sans encourir le grief allégué;

Que le moyen ne peut, dès lors, qu'être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Le Gunehec président, Mme Verdun conseiller rapporteur, MM. Blin, Aldebert, Grapinet, Challe, Mistral conseillers de la chambre, Mme Ferrari conseiller référendaire;

Avocat général : M. Amiel ;

Greffier de chambre : Mme Arnoult ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

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