Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 4 avril 1996, 95-80.942, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quatre avril mil neuf cent quatre-vingt-seize, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller SCHUMACHER, les observations de la société civile professionnelle ROUVIERE et BOUTET et de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LIBOUBAN;

Statuant sur les pourvois formés par : - Y... Jean-Yves,

- X... François-Henri, prévenus,

- LA CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAR

(CPAM), partie civile,

contre l'arrêt de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, 5ème chambre, en date du 23 février 1994, qui, pour travail clandestin, a condamné Jean-Yves Y... et François-Henri X..., chacun, à 6 mois d'emprisonnement avec sursis et à 50 000 francs d'amende et qui, dans les poursuites exercées contre eux des chefs de faux et usage de faux et escroquerie, après requalification des faits en infractions à l'article L. 377-1 du Code de la sécurité sociale et constatation de l'amnistie, a déclaré la juridiction pénale incompétente pour connaître des intérêts civils;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

I - Sur le pourvoi de François-Henri X...,

Attendu qu'aucun moyen n'est produit à l'appui du pourvoi ;

II - Sur le pourvoi de Jean-Yves Y...,

Vu le mémoire produit,

Attendu que le mémoire déposé pour le demandeur ne comporte aucun moyen critiquant l'arrêt attaqué;

III - Sur le pourvoi de la caisse primaire d'assurance maladie du Var,

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 2,1°, 21, 29,5° de la loi d'amnistie du 20 juillet 1988, L. 377-1, L. 377-5 du Code de la sécurité sociale, 147, 150, 151, 161, 405 du Code pénal, 1382 du Code civil, 2, 3, 485, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale;

"en ce que, après avoir requalifié les faits de faux, usage de faux et escroquerie, reprochés à Jean-Yves Y... et François-Henri X..., en délit de fraude et fausse déclaration prévu à l'article L. 377-1 du Code de la sécurité sociale, la cour d'appel a constaté que ces délits étaient amnistiés par application de l'article 2 de la loi du 20 juillet 1988, a déclaré l'action publique éteinte de ce chef et s'est déclarée incompétente pour statuer sur la demande de dommages-intérêts formée par la caisse primaire d'assurance maladie du Var, contre les deux prévenus;

"aux motifs que les feuilles de soins ne constituent ni des conventions, dispositions obligatoires ou décharges, telles que prévues à l'article 147 du Code pénal; que les feuilles de soins comportant des renseignements inexacts relatifs aux soins effectués, des surcotations, des soins fictifs et qui ont été transmis à la caisse primaire d'assurance maladie du Var par François-Henri X... et Jean-Yves Y..., constituent en réalité de simples mensonges écrits et non des manoeuvres frauduleuses au sens de l'article 405 du Code pénal; qu'en réalité les faits délictueux reprochés à ceux-ci sous les qualifications de faux, usage de faux et escroquerie, constituent le délit de fraude ou fausse déclaration tel que prévu à l'article L. 377-1 du Code de la sécurité sociale, puni d'une amende de 360 francs à 20 000 francs; qu'il échet, en conséquence, de requalifier en ce sens, les faits délictueux reprochés aux deux prévenus; que ces faits ayant été commis de janvier 1986 au 14 avril 1988 ainsi qu'il résulte de la seule plainte en date du 8 juin 1989 de la caisse primaire d'assurance maladie du Var (limitant la saisine du juge d'instruction) il échet de les déclarer amnistiés en application de l'article 2 de la loi du 20 juillet 1988 et de déclarer la juridiction pénale (saisie de l'action civile postérieurement à sa promulgation) incompétente pour statuer sur la demande de dommages-intérêts formée par la partie civile;

"alors, d'une part, que la cour d'appel ne pouvait faire échapper les prévenus à la répression pénale et aux réparations civiles encourues, par le bénéfice de la loi d'amnistie du 20 juillet 1988, dès lors que Jean-Yves Y... et François-Henri X..., d'une part, étaient poursuivis pour plusieurs délits dont l'un a été sanctionné par une peine d'emprisonnement, peine plus forte que celle encourue pour le délit amnistié, et d'autre part, ne pouvaient prétendre au bénéfice de la loi d'amnistie, l'arrêt attaqué les ayant condamnés pour le délit de travail clandestin expressément exclu de la loi par l'article 29,15°;

"alors, d'autre part, que la cour d'appel ne pouvait, à supposer la requalification légale des faits, faire bénéficier les prévenus de l'amnistie de plein droit de l'article 2,1° de la loi du 20 juillet 1988 dès lors que les faits requalifiés étaient susceptibles d'entraîner, outre la peine principale de l'amende, une peine complémentaire d'exclusion du

service des assurances sociales, prévue par l'article L. 377-5 du Code de la sécurité sociale; qu'ainsi, l'erreur de droit commise par la cour d'appel rend le pourvoi de la caisse primaire d'assurance maladie du Var à la fois recevable et bien-fondé;

"alors, enfin, que et en toute hypothèse la cour d'appel ne pouvait, pour faire bénéficier les deux prévenus de la loi d'amnistie du 20 juillet 1988, disqualifier les faits d'escroquerie, faux en écriture privée et usage, pour considérer qu'ils n'étaient que de simples mensonges écrits constituant le délit de fraude ou fausse déclaration, relevant du seul article L. 377-1 du Code de la sécurité sociale; qu'en effet il était notamment reproché aux deux prévenus d'avoir obtenu de l'organisme social, le remboursement d'actes fictifs ou d'actes non prévus à la cotation, par la production de feuilles de sécurité sociale remplies et signées par eux-mêmes à la place des malades et d'avoir également obtenu le remboursement des soins pratiqués par du personnel qu'ils savaient ne pas être qualifié alors que de tels remboursements ne peuvent être obtenus que si les soins sont pratiqués par des infirmiers diplômés d'Etat; que l'ensemble de ces faits constituaient bien le délit d'escroquerie, à tout le moins celui de faux en écriture privée et usage excluant qu'il puisse y avoir disqualification des faits pour faire échapper les prévenus à la répression pénale et aux réparations civiles encourues; que, dès lors, en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen";

Vu lesdits articles ;

Attendu que selon l'article 2,1°, de la loi du 20 juillet 1988, sont amnistiés les délits commis avant le 22 mai 1988 pour lesquels seule une peine d'amende est encourue;

Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que, pour se déclarer incompétents sur les intérêts civils, les juges, après avoir constaté que les faits reprochés aux prévenus, infirmiers diplômés d'Etat, constituent, non les délits de faux et usage de faux et d'escroquerie visés aux poursuites, mais ceux de fraudes ou de fausses déclarations définis à l'article L.377-1 du Code de la sécurité sociale, énoncent que ces infractions commises, antérieurement au 22 mai 1988 et qui sont sanctionnées d'une peine d'amende, se trouvent amnistiées de plein droit en vertu de l'article 2,1°, de la loi du 20 juillet 1988;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'article L.377-5 précité prévoyant, outre une peine d'amende, l'exclusion des praticiens des services des assurances sociales, l'amnistie ne saurait être acquise de plein droit, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte visé;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs,

Sur les pourvois de Jean-Yves Y... et de François-Henri X...,

Les REJETTE ;

Sur le pourvoi de la caisse primaire d'assurance maladie du Var;

CASSE ET ANNULE l' arrêt de la cour d' appel d'Aix-en-Provence, en date du 23 février 1994, en ses seules dispositions statuant sur les intérêts civils, toutes autres dispositions étant expressément maintenues, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi dans la limite de la cassation ainsi prononcée;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Culié conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Schumacher conseiller rapporteur, MM. Roman, Mme Chevallier, M. Challe conseillers de la chambre, MM. de Mordant de Massiac, de Larosière de Champfeu conseillers référendaires;

Avocat général : M. Libouban ;

Greffier de chambre : Mme Arnoult ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

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