Cour de cassation, Chambre criminelle, du 9 avril 1992, 91-81.296, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le neuf avril mil neuf cent quatre vingt douze, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller BLIN, les observations de Me Z..., de Me A..., de la société civile professionnelle BORE et XAVIER et de la société civile professionnelle DEFRENOIS et LEVIS, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général PRADAIN ; Statuant sur le pourvoi formé par :

LA COMPAGNIE D'ASSURANCES GUARDIAN, partie intervenante, K

contre l'arrêt de la cour d'appel de ROUEN, chambre correctionnelle, du 28 janvier 1991, qui a condamné Michel Y..., pour homicides et blessures involontaires commis par conducteur sous l'empire d'un état alcoolique et a prononcé sur les intérêts civils ; Vu les mémoires produits en demande et les mémoires en défense ; d

Sur le premier moyen de cassation proposé pour la compagnie d'assurances La Guardian et pris de la violation des articles L 113-8 et L 113-9 du Code des assurances, des articles 385-1, 388-1, 388-3, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs et manque de base légale ; "en ce que l'arrêt attaqué a confirmé le jugement rejetant l'exception de nullité du contrat d'assurance présentée par la compagnie d'assurances La Guardian et disant en conséquence celle-ci tenue de garantir son assuré Y... des dommages causés par sa faute ; "aux motifs que, en des arguments pertinents que la Cour adopte, le tribunal a déclaré que la compagnie La Guardian était tenue à garantir les conséquences dommageables de l'accident aux motifs notamment que non signataire du contrat, Michel Y... sauf à démontrer une collusion frauduleuse de sa part avec le déclarant ce qui n'est pas le cas en l'espèce, ne pouvait se voir opposer l'existence des renseignements erronés figurant sur le questionnaire ; "et aux motifs adoptés des premiers juges que la compagnie d'assurances La Guardian a soulevé la nullité du contrat d'assurance souscrit le 22 juillet 1986 au motif qu'Y... avait indiqué qu'il n'avait été responsable que d'un seul sinistre matériel au cours des trois dernières années, alors qu'en avril 1985 il avait été condamné par le tribunal de grande instance de Dieppe à 1 500 francs d'amende avec suspension du permis de conduire pendant 6 mois du chef du délit de fuite ; qu'il résulte des débats à l'audience que le questionnaire en vue de l'établissement du contrat d'assurance n'a pas été établi par Y..., que Mme Y... a précisé qu'elle avait rempli le questionnaire uniquement pour la rubrique "Assurance au titre des

trois dernières années" que le surplus avait été renseigné par l'agent d'assurance, qu'enfin la signature semble avoir été apposée par l'épouse du prévenu (en comparaison avec la signature figurant sur la notification de l'analyse de contrôle et sur la constatation) ; que la demande d'adhésion a été renseignée de la main d'autres personnes que le prévenu, que l'assureur a une obligation de vérifier les informations contenues dans les réponses au questionnaire et qu'en conséquence la preuve de la mauvaise foi d'Y... n'est pas établie, que La Guardian doit sa garantie ; qu'enfin il est d demandé de procéder à la réduction d'indemnité fondée sur l'article L 113-9 ; que la juridiction répressive est incompétente pour examiner une telle demande ; "alors, de première part, que les déclarations de l'assuré servant de base à la formation du contrat d'assurance devant être spontanées et sincères, l'agent général de la compagnie d'assurance n'a pas à vérifier l'exactitude et l'étendue de ces déclarations ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L 113-8 du Code des assurances ; "alors, de deuxième part, que les juges du fond doivent rechercher si celui qui remplit le questionnaire n'agit pas comme mandataire de l'assuré et si les réponses erronées qu'il fournit ne caractérisent pas une réticence ou fausse déclaration de sa part, sans qu'il soit nécessaire qu'il y ait eu collusion frauduleuse entre lui et son mandant ; qu'en exigeant l'existence d'une telle collusion, la cour d'appel a violé à nouveau l'article L 113-8 du Code des assurances ; "alors, de troisième part, que la compagnie d'assurance faisait valoir dans ses conclusions d'appel qu'à l'audience du tribunal correctionnel, Y... avait expressément reconnu, d'une part, qu'il était présent lors de la signature du contrat, d'autre part, que son épouse connaissait ses différentes condamnations ; ayant constaté que Mme Y... avait rempli le questionnaire pour la rubrique "assurance au titre des trois dernières années", dans laquelle figuraient les réponses mensongères relatives à l'absence de suspension du permis de conduire et à l'absence de délit de fuite, la cour d'appel ne pouvait dire que ces renseignements erronés n'étaient pas opposables à Y... sans prendre en considération les déclarations faites par celui-ci à l'audience du tribunal correctionnel ; que dès lors, en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L 113-8 du Code des assurances ; "alors, de quatrième part, que, du même coup, en laissant sans réponse les conclusions de la compagnie d'assurance invoquant les déclarations faites par Y... devant le tribunal correctionnel, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs en violation de l'article 593 du Code de procédure pénale ;

"alors, de cinquième part, que l'assureur qui attrait devant la juridiction répressive en application d des articles 388-1 et suivants du Code de procédure pénale peut non seulement invoquer la nullité du contrat sur le fondement de l'article L 113-8 du Code des assurances, mais encore demander une réduction d'indemnité fondée sur l'article L 113-9 du même Code ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé ce texte" ; Attendu que la compagnie La Guardian, assureur du véhicule conduit par Michel Y..., prévenu d'homicides et blessures involontaires, avait, avant toute défense au fond, dénié son obligation de garantie en invoquant, sur le fondement de l'article L 113-8 du Code des assurances, la nullité du contrat d'assurance ; qu'elle avait sollicité, subsidiairement, une réduction d'indemnité par application de l'article L 113-9 dudit Code ; Sur les quatre premières branches :

Attendu que, pour rejeter l'exception de nullité, la juridiction du second degré, par motifs propres et adoptés, retient que le questionnaire de la proposition d'assurance a été établi, non par Y..., mais par son épouse, laquelle a précisé qu'elle n'avait rempli le document que pour la rubrique "assurance au titre des trois dernières années", le surplus relatif notamment aux antécédents du conducteur- ayant été complété par l'agent d'assurance et qu'en conséquence, le prévenu "ne pouvait se voir opposer l'existence de renseignements erronés figurant sur le questionnaire" ; Attendu qu'en cet état, abstraction faite de motifs justement critiqués par la première branche du moyen mais inopérants, les juges ont, par des motifs exempts d'insuffisance et répondant aux conclusions prétendument délaissées, apprécié souverainement la valeur des preuves contradictoirement débattues d'où ils ont déduit que la mauvaise foi du prévenu n'était pas établie ; qu'il s'ensuit que le moyen, au demeurant nouveau et mélangé de fait en sa deuxième branche, ne peut être accueilli en ses quatre premières branches ; Sur la cinquième branche :

Attendu que la cour d'appel s'est à bon droit déclarée incompétente pour statuer sur l'application de l'article L 113-9 du Code des assurances ; Qu'en effet, aux termes de l'article 385-1 du Code de procédure pénale, l'assureur n'est recevable à d invoquer devant les juges répressifs une exception fondée sur une clause du contrat d'assurance et tendant à sa mise hors de cause que si cette exception est de nature à l'exonérer totalement de son obligation de garantie à l'égard des tiers ; D'où il suit que le moyen en sa cinquième branche n'est pas fondé ;

Sur le second moyen de cassation proposé pour la compagnie d'assurances La Guardian et pris de la violation des articles 1382 et 1384 du Code civil, R. 4 du Code de la route, 388-3, 509, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs et manque de base légale ; "en ce que l'arrêt attaqué a dit la compagnie d'assurances La Guardian tenue de garantir son assuré Y... des dommages causés par sa faute et condamné celui-ci et celle-là à payer diverses indemnités aux parties civiles ; "aux motifs que, sur l'action pénale, la culpabilité de Michel Y... qui n'est d'ailleurs plus contestée dans son existence résulte, d'une part, des constatations des gendarmes-enquêteurs qui ont situé les points de chocs successifs sur la partie gauche de la chaussée par rapport à la direction suivie par l'intéressé et, d'autre part, des déclarations de M. X... qui a précisé que Michel Y... circulait très près de l'axe médian de la chaussée... ce que confirment les traces de frottement latéral relevées sur les deux véhicules ; "alors, d'une part, que le procès-verbal de gendarmerie mentionnant, de façon contradictoire, d'une part, que "les deux points de choc se situent dans le couloir de la circulation droit dans le sens Gisors-Bouchevilliers", d'autre part, que "les débris et autres traces étant trop importants pour nous permettre de déterminer avec exactitude l'emplacement des points de collision", et le témoignage de M. X... établissant qu'Y... roulait près de l'axe médian, mais nullement qu'il l'avait franchi, la cour d'appel ne pouvait, sans priver sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil, se fonder sur ce procès-verbal et sur ce témoignage, pour affirmer qu'Y... roulait dans le couloir de circulation de M. X... ; "alors, d'autre part, que le témoignage de d M. X..., selon lequel Y... circulait très près de l'axe médian de la chaussée et les traces de frottement latéral relevées sur les deux véhicules impliquaient nécessairement que M. X... roulait lui-même très près de l'axe médian, s'il ne l'a pas dépassé ; que, dès lors, en retenant l'entière responsabilité d'Y... dans cette collision et dans celle qui l'a suivie avec le véhicule de M. B..., après que le véhicule d'Y... eut été déséquilibré, la cour d'appel n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences qui s'en évinçaient nécessairement au regard de l'article 1382 du Code civil qu'elle a ainsi violé" ; Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme qu'une collision s'est produite entre une automobile pilotée par Michel Y... et deux véhicules venant en sens inverse conduits par Alain Ariès et Claude D... ; que celui-ci et deux de ses passagères ont été tués, tandis qu'Alain X... et deux autres passagers des deux derniers véhicules ont été blessés ; que Michel Y... a été poursuivi pour homicides et blessures

involontaires commis par conducteur sous l'empire d'un état alcoolique et circulation sur la partie gauche de la chaussée ; Attendu que, pour retenir de ces chefs la culpabilité du prévenu et le déclarer entièrement responsable, la juridiction du second degré, par motifs propres et adoptés, relève qu'Y..., qui présentait un taux d'alcoolémie de 2 grammes pour 1 000 et circulait "très près de l'axe médian avant l'accident", a dévié de sa trajectoire et franchi ledit axe pour venir heurter le véhicule d'X... puis celui de Maison ; que les juges retiennent encore que "les enquêteurs ont localisé sur le plan de la façon la plus expresse les deux points de choc successifs sur la partie gauche de la chaussée par rapport à la direction suivie par le prévenu" et que la culpabilité de Michel Y... "n'est d'ailleurs plus contestée" ; Attendu qu'en l'état de ces énonciations, exemptes d'insuffisance ou de contradiction et répondant aux conclusions prétendument délaissées, d'où il résulte que les juges ont caractérisé les infractions retenues à la charge du prévenu et que la preuve n'est pas rapportée qu'Alain X... eût commis une faute en relation avec l'accident, la cour d'appel a justifié sa décision ; que le moyen, qui ne tend qu'à remettre en discussion devant la Cour de Cassation la valeur des éléments de preuve contradictoirement débattus, souverainement appréciée par les juges du fond, ne d saurait être accueilli ; Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ; REJETTE le pourvoi ; Condamne la demanderesse aux dépens ; Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ; Où étaient présents :

M. Le Gunehec président, M. Blin conseiller rapporteur, MM. Jean E..., Carlioz, Jorda conseillers de la chambre, MM. C..., Maron, Mmes Batut, Ferrari conseillers référendaires, Mme Pradain avocat général, Mme Ely greffier de chambre ;

Retourner en haut de la page