Cour de cassation, Chambre criminelle, du 20 décembre 1990, 89-85.763, Inédit
Cour de cassation - Chambre criminelle
- N° de pourvoi : 89-85.763
- Non publié au bulletin
- Solution : Rejet
- Président
- Président : M. Le GUNEHEC
Texte intégral
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt décembre mil neuf cent quatre vingt dix, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire RACT-MADOUX, les observations de Me CHOUCROY, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général PERFETTI ; Statuant sur le pourvoi formé par :
X... Eric,
LA SOCIETE COMPAGNIE DES AMERIQUES,
civilement responsable,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 13ème chambre, du 19 septembre 1989 qui a condamné le premier à 6 mois d'emprisonnement avec sursis et 20 000 francs d'amende pour contrefaçon de marque, a ordonné la publication de la décision ainsi que des mesures de confiscation, a déclaré ladite société civilement responsable et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et du jugement qu'ayant régulièrement déposé, en 1984, une marque composée d"une tête d'aigle de profil à l'intérieur d'un cercle", associée à la dénomination "Compagnie de Californie", inscrite en lettres capitales à l'extérieur de ce dernier, la société "Compagnie de Californie" a fait constater par huissier, le 16 décembre 1987, que dans les locaux de la société "compagnie des Amériques", dont Eric X... était le gérant, se trouvaient exposés en vitrine ou stockés en vue de la vente des blousons comportant un logo qui est apparu aux responsables de la première de ces entreprises comme constitutif d'une contrefaçon de la marque précitée ; que sur plainte de ladite société Eric X... a été poursuivi du chef de cette infraction ;
En cet état :
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 3, 4, 24 et 25 de la loi n° 64-1360 du 31 décembre 1964, 422, 1° du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré recevable la constitution de partie civile des sociétés "Compagnie de Californie" et "Topanga" ;
"aux motifs que, par acte du 10 mai 1989, la société "Compagnie de Californie" a cédé à la société "Topanga" la marque internationale et la marque française "Compagnie de Californie", telles que déposées respectivement les 9 août 1985 et 25 mai 1984 à l'INPI ; que cet acte stipule que le cessionnaire est, à la date d'effet du "présent acte", subrogé de plein droit au cédant dans tous les droits et obligations relatifs auxdites marques, notamment pour poursuivre en justice toutes atteintes portées à ces marques, "y compris celles qui se seraient produites antérieurement à la signature du présent contrat" ; qu'ainsi la société Topanga est recevable à poursuivre la défense de ses intérêts dans la présente instance, le numéro d'immatriculation qui correspond à celui d'une société "Calisport" constituant, ainsi que l'explique le conseil de la partie civile, une simple erreur matérielle ; qu'en outre, effectivement, il est mentionné dans l'acte de cession que le cessionnaire est lui-même propriétaire d'une marque identique "Compagnie de Californie", déposée à l'INPI le 28 octobre 1982 ; que, s'il est exact qu'aux termes des dispositions de l'article 4 de la loi n° 64-1360 du 31 décembre 1964 sur les marques, la propriété de la marque s'acquiert par le premier dépôt valablement effectué, il n'en reste pas moins vrai que l'annulation d'une marque susceptible de créer la confusion doit être réclamée, dans un délai de 5 ans à compter de la date du dépôt par le titulaire de la marque (al. 2 du même article) devant le tribunal de grande instance (art. 24 de la loi), ce qui n'a pas été fait ; qu'ainsi la société "Compagnie de Californie" a bien valablement cédé à la société "Topanga" la marque qu'elle avait déposée à l'INPI ; "alors que seul le propriétaire de la marque, dont le nom figure au registre national, peut agir en contrefaçon ; qu'en l'espèce les demandeurs soulignaient, dans un chef péremptoire de leurs conclusions d'appel laissées sans réponse, que la société "Compagnie de Californie", qui prétendait être propriétaire de la marque "Compagnie de Californie", immatriculée au registre du commerce sous le numéro B 330 656 547, n'existait pas sous cette dénomination et à cette adresse ; qu'il s'agissait, en réalité, de la société Calisport, qui a déposé son bilan le 22 novembre 1988 ; qu'en raison de la confusion il était impossible de déterminer la véritable propriétaire de la marque revendiquée ; qu'ainsi le dépôt prétendument cédé apparaissait équivoque quant au titulaire, qui serait la société Calisport, laquelle était totalement étrangère à la présente procédure et n'existait plus aujourd'hui, ayant été rachetée par la société Topanga ; que, par suite, toutes ces irrégularités dont sont entachés tant les actes de procédure que les différents actes passés auprès de l'INPI rendaient irrecevable, en l'état, toute constitution de partie civile" ;
Attendu que, pour déclarer recevable la constitution de partie civile de la société Topanga, devenue cessionnaire des droits de la compagnie de Californie depuis le jugement déféré, la juridiction du second degré se prononce par les motifs reproduits au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs la cour d'appel, répondant pour les écarter aux conclusions du prévenu, qu'elle avait analysées en détail, a apprécié la valeur des éléments de preuve contradictoirement débattus et, interprétant comme il le lui appartenait, les dispositions de la convention soumise à son examen, a estimé à bon droit que, sans qu'existe la confusion alléguée ni que soit à retenir la simple erreur matérielle relevée par les juges, ce document établissait la régularité de la cession intervenue, cette dernière donnant dès lors à la partie civile qualité pour agir en justice, en tant que cessionnaire de la marque litigieuse, afin de voir réprimer la contrefaçon de celle-ci ;
D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 422, 1° du Code pénal, 3 et 4 de la loi du 31 décembre 1964, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, défaut de réponse à conclusions, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le demandeur coupable du délit de contrefaçon de marque, pour avoir reproduit ou apposé sur des vêtements une marque constituée d'une tête d'aigle vue de profil, inscrite dans un anneau, dont la Compagnie de Californie est propriétaire ;
"aux motifs qu'un nom de lieu peut valablement être adopté, s'il ne constitue ni une appellation d'origine, ni une indication de provenance ; qu'en l'état de la mode actuelle qui favorise une floraison d'inscriptions diverses, surtout en langue étrangère, sans qu'elles représentent une indication d'origine du produit, l'appellation "Compagnie de Californie" en langue française, ne saurait à elle seule constituer une indication sur la provenance du produit ; que, s'agissant du logo constitué par une tête d'aigle de profil inscrite dans un cercle, il convient d'observer que l'utilisation de l'aigle dans des emblêmes ou armoiries est courante ; qu'en l'espèce il importe de constater que le logo déposé par la partie civile, avec dans le cercle une position particulière de la tête, le bec ouvert et une faible partie du col de l'animal, ce qui ne constitue pas une violation de l'article 6 ter de la Convention de Paris du 20 mars 1883, se retrouve de façon servile dans la marque utilisée par le prévenu, la seule différence étant constituée par la présentation de l'autre profil de la tête de l'aigle ; que, de plus, l'élément dénominatif de la marque contrefaisante rappelle, elle-même, l'utilisation du terme "Compagnie" qui, à lui seul, ne saurait constituer le délit poursuivi la marque de référence ;
"alors, d'une part, que la contrefaçon suppose l'existence d'une marque valable présentant certaines caractéristiques d'originalité ; qu'une marque visant le nom d'une région américaine, enregistrée pour désigner des vêtements, n'est pas valable comme étant trompeuse ; que la validité d'une marque doit être appréciée telle qu'elle est déposée, et non en fonction de la manière dont elle est utilisée ;
qu'en l'espèce la marque litigieuse, sur laquelle figure le logo représentant un aigle et la marque dénominative "Compagnie de Californie", qui, en raison du rapprochement de ces termes, est de nature à faire croire à ses consommateurs que les articles couverts par la marque sont produits par une société américaine, est en conséquence, susceptible de les tromper sur l'origine de la fabrication ; qu'ainsi la marque est nulle ;
"alors, d'autre part, que l'article 6 ter de la Convention internationale d'union interdit de faire figurer dans une marque les armoiries nationales ; qu'en l'espèce, dans leurs conclusions d'appel laissées sans réponse, les demandeurs soulignaient que le logo utilisé par la société Compagnie de Californie avait été déposé en fraude des dispositions de l'article 6 ter de la Convention d'union de Paris ; que la société Compagnie de Californie s'est frauduleusement approprié le logo déposé par l'Etat du Mississipi auprès de l'INPI ; que, par suite, cette société ne pouvait s'approprier ce logo ;
"alors, en outre, que l'apposition frauduleuse de la marque d'autrui consiste à utiliser la marque d'autrui, afin de les apposer sur ses propres produits ; qu'en l'espèce il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que la société Compagnie des Amériques a apposé sur ses blousons un dessin d'aigle entouré d'un cercle à l'intérieur duquel figure la marque Compagnie des Amériques ; qu'ainsi la société demanderesse n'a pas reproduit la marque appartenant à la société Compagnie de Californie, mais un de ses éléments qui, détaché de la marque dénominative, a perdu toute individualité ; que, par suite, la Cour n'a pas caractérisé l'élément matériel de l'infraction ;
"alors, enfin, que le délit incriminé suppose l'intention frauduleuse ; que le seul fait d'être un professionnel de l'habillement n'implique pas la connaissance de l'intégralité des marques concurrentes ; qu'en l'espèce, pour éviter tout risque de confusion entre sa marque et une marque similaire, le demandeur a toujours commercialisé les articles en prenant soin d'associer un logo banal avec sa dénomination Compagnie des Amériques ; que la société Compagnie de Californie, protégée au titre d'une marque complexe, n'utilise, en réalité, qu'une partie non protégeable de façon individuelle, son logo ; que, par suite, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'élément intentionnel" ;
Attendu que, retenant la culpabilité d'Eric X..., la juridiction du second degré se prononce par les motifs reproduits au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs la cour d'appel, répondant aux conclusions prétendument délaissées et appréciant la valeur des preuves régulièrement soumises au débat contradictoire, a souverainement décidé que la marque litigieuse présentait une originalité la rendant juridiquement protégeable et que le logo apposé sur les vêtements commercialisés par le prévenu constituait une copie servile de celle-ci ; qu'elle a ainsi caractérisé, à la charge du demandeur, l'élément matériel du délit reproché, l'intention coupable de l'auteur de celui-ci découlant, sauf preuve contraire non apportée en l'espèce, de la réalisation même de la contrefaçon constatée par les juges ;
Qu'en conséquence le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les demandeurs aux dépens ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents :
M. Le Gunehec président, Mme Ract-Madoux conseiller rapporteur, MM. de Bouillane de Lacoste, Jean Simon, Blin, Carlioz conseillers de la chambre, MM. Louise, Maron, Nivôse conseillers référendaires, M. Perfetti avocat général, Mme Mazard greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;