Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 21 mars 2006, 04-12.734, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu que par acte sous-seing privé du 14 décembre 1992, M. X... et Mme Y... ont acquis de Mme Z..., veuve A..., un fonds de commerce pour le prix de 600 000 francs avec faculté de substitution par une société commerciale ; que le prix était payé à concurrence de 150 000 francs au moyen d'un prêt consenti par le vendeur, remboursable en 60 mensualités, sauf pour les acquéreurs à se libérer par anticipation au moyen d'un prêt bancaire ; que les acquéreurs se portaient cautions envers le vendeur pour la garantie du paiement du solde du prix ; que cette vente a été ensuite constatée par acte authentique établi le 30 décembre 1992 par M. B..., notaire ; qu'aux termes de cet acte, il était prévu que la société Les Gémeaux, dont M. X... était le gérant statutaire, se substitueraient aux acquéreurs ;

que, par acte reçu le même jour, Mme A... a donné à bail à loyer à titre commercial à la société Les Gémeaux les locaux dans lesquels le fonds cédé était exploité, et ce pour un loyer annuel de 65 000 francs ; que M. X... et Mme Y... se sont portés cautions solidaires du paiement du loyer ; que la société Les Gémeaux ayant cessé de faire face à ses obligations, Mme A... a obtenu en référé sa condamnation à lui payer une provision à valoir sur le prix du fonds de commerce ; que la société Les Gémeaux a assigné Mme A... en nullité de la vente du fonds de commerce ; que, par jugement du 29 mars 1994, le tribunal de grande instance d'Annecy, a débouté la société Les Gémeaux et, faisant droit à la demande reconventionnelle de Mme A..., a prononcé la résolution de la vente intervenue le 30 décembre 1992 ; que la société Les Gémeaux et M. X... ont assigné Mme A... en paiement d'une somme à titre de dommages-intérêts et en restitution du prix de vente ; que, par jugement du 20 février 1996, le tribunal de grande instance a condamné Mme A... à la restitution du prix de vente diminué du montant des loyers impayés après compensation ; que M. X... a assigné M. B... et la société civile professionnelle B..., Deruaz, Veyrat-Durebex (la SCP) en paiement de dommages-intérêts pour manquement à son devoir de conseil ; que l'arrêt attaqué a rejeté cette demande ;

Sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches, tel qu'énoncé au mémoire en demande et reproduit en annexe :

Attendu que, par motifs propres et adoptés, l'arrêt qui relève que les établissements de bar-restaurant comparables, installés dans les stations de ski dont l'activité saisonnière dépendait exclusivement de la fréquentation, n'avaient que très peu de clientèle habituelle et que le droit au bail et la licence de débit de boissons étaient les principaux éléments constitutifs d'un fonds de commerce de bar restaurant, constate que M. X..., assisté de Mme Y..., spécialiste de l'exploitation des bars, avait eu tout loisirs d'apprécier la réalité des différents éléments dudit fonds et l'importance de la clientèle ; que l'arrêt relève encore par motifs adoptés, que M. X... avait eu l'occasion de vérifier le prix demandé en consultant les livres de comptes, en signant l'inventaire des effets mobiliers cédés et en accomplissant les démarches en vue de la cession de la licence de débit de boissons ; que, dès lors que le notaire n'était pas tenu d'une obligation de conseil concernant l'opportunité économique d'une opération sur laquelle il ne disposait pas d'éléments d'appréciation tels que le résultat d'exploitation et qu'il n'avait pas à procéder à des investigations sur de tels éléments, la cour d'appel a pu en déduire que sa responsabilité ne pouvait être retenue de ce chef ; qu'abstraction faite du motif surabondant critiqué par la deuxième branche, le moyen n'est pas fondé en sa première ;

Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche :

Vu l'article 1382 du Code civil ;

Attendu que pour rejeter la demande de M. X..., l'arrêt retient par motifs adoptés, que la pratique du cautionnement n'avait aucun caractère inhabituel dans le cadre d'une opération de ce type et qu'il convenait au contraire de dire que cette pratique était la règle dès lors qu'il n'était pas envisageable que le vendeur acceptât de faire crédit avec pour seule garantie l'engagement d'une société qui venait d'être constituée et que les conditions de la vente étaient particulièrement favorables à l'acquéreur, la pratique du "crédit-vendeur", autrefois fréquente, étant en voie d'abandon au regard des risques trop importants qu'elle présentait pour le vendeur et qu'en toute hypothèse on ne saurait reprocher au notaire de laisser l'acquéreur s'engager dans les conditions de la présente espèce dans la mesure où, d'une part, nul n'ignore les conséquences d'un cautionnement et où, d'autre part, l'acquéreur qui renonce à financer l'acquisition au moyen d'un prêt bancaire sait qu'il devra assurer le financement avec ses deniers personnels ;

Attendu, cependant, que les notaires sont tenus d'éclairer les parties et d'appeler leur attention sur les conséquences et les risques des actes auxquels ils sont requis de donner la forme authentique ; qu'en se prononçant comme elle l'a fait, sans constater que le notaire avait appelé l'attention de M. X... sur les risques de son engagement de caution personnelle et solidaire renonçant au bénéfice de discussion et de division et alors que l'acte authentique ne comportait plus la condition suspensive d'obtention d'un prêt bancaire telle qu'elle figurait initialement dans l'acte sous-seing privé du 14 décembre 1992, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 13 janvier 2004, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;

Condamne M. B... et la SCP B... Deruaz Veyrat-Durebex aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne M. B... et la SCP notariale à payer à M. X... la somme de 2 000 euros ; rejette la demande de M. B... et de la SCP notariale ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un mars deux mille six.

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