Cour de Cassation, Chambre commerciale, du 17 décembre 2002, 00-11.566, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué, que le Crédit national a consenti des concours à divers organismes, dont la SCI Valrose prolongée, "dans la mouvance" de la Fondation communautaire pour l'enseignement et l'éducation (FCEE)) ; qu'à la suite de l'inexécution ou de l'exécution partielle des obligations mises à la charge des organismes bénéficiaires des prêts, le Crédit national a engagé des procédures contre la FCEE dont le président avait signé des lettres d'intention en garantie des concours apportés, en soutenant qu'elle avait souscrit des engagements qui comportaient l'obligation de se substituer, en tant que de besoin, à l'organisme défaillant ; que la FCEE a contesté la portée de ces lettres ; que le tribunal a fait droit, en son principe, à la demande ; que la société Natexis banque, aux droits de laquelle est aujourd'hui la société Natexis banques populaires, déclarant venir aux droits du Crédit national, est intervenue volontairement à la procédure ;

Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que la FCEE et la SCI Valrose prolongée font grief à l'arrêt d'avoir déclaré que la société Natexis banque venait aux droits du Crédit national et avait qualité pour agir, et d'avoir, en conséquence, déclaré la société Natexis banque recevable en son intervention, alors, selon le moyen :

1 / qu'il appartenait à la société Natexis banque de justifier de ce qu'elle viendrait aux droits du Crédit national ; qu'en énonçant "qu'aucune clause du traité ou actes postérieurs n'établissent le contraire", la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, en violation de l'article 1315 du Code civil ;

2 / qu'en se bornant à affirmer "qu'il résulte suffisamment du traité d'apport partiel produit aux débats par Natexis banque que celle-ci vient aux droits du Crédit national pour les prêts objet du litige", sans procéder à aucune analyse de ce document qui stipule pourtant que n'est apportée que "l'intégralité des éléments d'actif constituant la branche complète et autonome d'activité de "Banque commerciale" de la société apporteuse", à l'exception de certains éléments d'actif "dont le détail figure en annexe 2", laquelle vise notamment en termes généraux, "d'autres actifs" pour un montant de "252 millions de francs", la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 31, 32 et 122 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que, sans inverser la charge de la preuve, l'arrêt relève qu'il résulte des termes clairs du traité d'apport partiel d'actif produit aux débats par la société Natexis banque que celle-ci vient aux droits du Crédit national pour les prêts objet du litige, qui font partie intégrante de la "branche commerciale" qui a été cédée ; qu'en l'état de cette constatation, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que la FCEE et la SCI Valrose prolongée font grief à l'arrêt d'avoir confirmé le jugement en ce qu'il a dit que les lettres d'intention qui ont été émises à l'occasion des prêts concernés par la présente procédure, consentis par le Crédit national à différentes sociétés ou associations filiales de la première, comportent pour elle une obligation de résultat équivalente à celle d'un véritable cautionnement, alors, selon le moyen :

1 / que les lettres d'intention litigieuses en date des 13 avril 1989, 14 décembre 1989, 26 mars 1990, 9 octobre 1990 et 7 février 1991, stipulent, comme le relève l'arrêt, que la Fondation ferait le nécessaire pour que l'emprunteur dispose d'une trésorerie suffisante lui permettant de remplir effectivement ses obligations envers le Crédit national, et ceci, pendant toute la durée du prêt ; qu'il en résulte que la Fondation n'avait pris aucun engagement de se substituer purement et simplement à ceux des emprunteurs mais avait souscrit une simple obligation de moyens ; qu'en décidant que ces lettres d'intention comportaient une obligation de résultat, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1147 du Code civil ;

2 / qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a méconnu les termes clairs et précis des lettres d'intention susvisées, en violation de l'article 1134 du Code civil ;

Mais attendu qu'ayant relevé que les lettres litigieuses contenaient toutes l'engagement de la Fondation de faire le nécessaire pour que le garanti dispose d'une trésorerie suffisante lui permettant de remplir effectivement ses obligations envers le Crédit national pendant toute la durée du prêt et qu'il était précisé qu'en cas de cession de sa participation avec le garanti elle agirait de telle manière que celui-ci soit en mesure de faire face au remboursement du prêt, la cour d'appel, qui n'a pas méconnu les termes clairs et précis des lettres d'intention, a pu décider que le souscripteur de celles-ci s'était obligé à l'obtention d'un résultat, consistant en un apport de trésorerie pouvant aller jusqu'à la totalité du prêt et son remboursement intégral ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le troisième moyen, pris en ses quatre branches :

Attendu que la FCEE et la SCI Valrose prolongée font le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :

1 / qu'en se déterminant par la considération que le signataire des lettres d'intention avait connaissance de "la situation financière du garanti dont il rappelait les liens qui les unissaient et étaient sa holding pour le premier prêt, une identité de dirigeant pour le second, une filiale pour les troisième, quatrième et cinquième", la cour d'appel a statué par des motifs inopérants à justifier que le signataire avait connaissance de la portée et de la nature des engagements qu'il avait souscrits et dont la Fondation faisait valoir qu'ils avaient précédé la signature des contrats de prêts litigieux, et que le commencement de preuve par écrit avait été valablement complété ; qu'elle n'a ainsi pas donné de fondement légal à sa décision au regard des articles 1326 et 1347 du Code civil ;

2 / que la constatation suivant laquelle le premier emprunteur était la holding de la Fondation est impropre à compléter valablement le commencement de preuve par écrit ; que la cour d'appel a, par suite, privé sa décision de base légale au regard des articles 1326 et 1347 du Code civil ;

3 / qu'il en est de même de la constatation selon laquelle la Fondation et le second emprunteur avaient des dirigeants communs ;

qu'en statuant comme elle a fait sans préciser que le signataire des lettres d'intention était lui-même dirigeant de la société emprunteuse considérée, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard des articles que la qualité de filiale de la Fondation qu'avaient certaines des sociétés emprunteuses n'est pas davantage propre à compléter valablement le commencement de preuve par écrit ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 1326 et 1347 du Code civil ;

4 / que la qualité de filiale de la Fondation qu'avaient certaines des sociétés emprunteuses n'est pas davantage propre à compléter valablement le commencement de preuve par écrit ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 1326 et 1347 du Code civil ;

Mais attendu que la cour d'appel n'a pas qualifié l'engagement de cautionnement, mais d'obligation de résultat consistant en un apport en trésorerie ; qu'une telle obligation n'est pas soumise, pour sa preuve, à l'exigence d'une mention manuscrite exprimant la connaissance de la nature et de l'étendue de l'engagement ; que ce motif de pur droit, substitué à ceux de la cour d'appel, rend inopérants les griefs invoqués ; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

Sur le quatrième moyen, pris en ses deux premières branches :

Attendu que la FCEE et la SCI Valrose prolongée font grief à l'arrêt d'avoir rejeté la demande de la Fondation tendant à voir déclarer les lettres d'intention litigieuses nulles ou inopposables à elle et d'avoir jugé que les lettres d'intention comportaient pour elle une obligation de résultat équivalente à celle d'un véritable cautionnement et d'avoir confirmé le jugement en ce qu'il a dit n'y avoir lieu de remettre en cause les obligations mises à sa charge, alors, selon le moyen :

1 / que dans leurs conclusions récapitulatives déposées le 9 novembre 1999 elles faisaient valoir à titre subsidiaire "les décisions les plus graves doivent donner lieu à autorisation de l'autorité de tutelle. Les statuts de la FCEE, bien entendu, exprimaient ces règles, puisque cette fondation avait été reconnue d'utilité publique. L'article 13 des statuts prévoyait : "les décisions de la FCEE relatives aux aliénations de biens mobiliers et immobiliers dépendant de la dotation, à la constitution de l'hypothèque et aux emprunts ne sont valables qu'après approbation administrative". Cette disposition était conforme à l'article 5 du décret du 13 juin 1966 relatif à la tutelle administrative des associations ou fondations (décret du 17 mars 1970), qui, pour les fondations reconnues d'utilité publique, soumet à l'autorisation

administrative les opérations portant notamment sur les emprunts (...). De ces dispositions à la fois statutaires et légales, qui tenaient à l'ordre public en raison de la reconnaissance d'utilité publique, il résultait qu'une décision de garantie illimitée des dettes présentes et à venir des tiers (société ou association) impliquait à la fois décision du conseil d'administration (articles 8 et 2 des statuts) et approbation de l'autorité administrative de tutelle (article 13 des statuts et article 5 du décret du 13 juin 1966) (...) l'engagement souscrit pouvait manifestement aboutir à mettre à la charge de la Fondation un emprunt, ce qui nécessitait un arrêté préfectoral" ; qu'en affirmant qu'il n'était pas invoqué "que la signature d'une lettre d'intention nécessitait une autorisation administrative préalable", la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis des conclusions susvisées, en violation de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;

2 / qu'en s'abstenant de rechercher si le défaut d'autorisation administrative ne rendait pas les lettres d'intention litigieuses nulles, ou, à tout le moins, inopposables à la Fondation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 5 du décret n° 66-388 du 13 juin 1966 ;

Mais attendu qu'en retenant qu'il n'était pas invoqué que la signature d'une lettre d'intention nécessitait une autorisation administrative préalable, la cour d'appel a répondu, sans les dénaturer, aux conclusions invoquées ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le cinquième moyen :

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté la demande de la FCEE tendant à voir dire que le Crédit national, aux droits duquel viendrait la société Natexis banque, a commis une faute en octroyant les crédits litigieux et doit être condamné au paiement d'une somme de 60 millions de francs à titre de dommages-intérêts, venant en compensation avec celle qui pourrait être due par la fondation, ainsi que d'avoir dit qu'il n'y avait pas lieu de remettre en cause les obligations mises à la charge de la fondation, alors, selon le moyen, qu'est fautif le banquier qui consent à un emprunteur, en connaissance de cause, un prêt dont la charge excède les facultés de remboursement de celui-ci ;

qu'en décidant du contraire, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que, dans son dispositif, l'arrêt ne comporte aucun chef relatif à la responsabilité du Crédit national lors de l'octroi des crédits ; que dès lors, le moyen qui critique seulement un de ses motifs, n'est pas recevable ;

Et sur le sixième moyen, pris en ses trois branches :

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté la demande de la FCEE tendant à ce qu'il soit sursis à statuer dans l'attente de la réalisation de l'actif des débiteurs principaux et le résultat des opérations de distribution ou, à tout le moins, dans l'attente que la banque rapporte la preuve de ce que l'exécution des autres garanties, accordées pour les prêts en litige, n'a pas suffi à la désintéresser, d'avoir confirmé le jugement en ce qu'il a dit que les lettres d'intention litigieuses comportaient une obligation de résultat équivalente à celle d'un véritable cautionnement et qu'il n'y avait pas lieu de remettre en cause les obligations mises à la charge de la FCEE et d'avoir donné injonction à la Fondation de justifier de la trésorerie de la société Grandes Villas méditerranéennes, alors, selon le moyen :

1 / que la cour d'appel, qui ne constate pas que la Fondation se serait engagée solidairement avec les emprunteurs ou aurait renoncé au bénéfice de discussion, n'a pu affirmer que "l'engagement de la fondation n'est pas un engagement de caution subsidiaire à l'engagement du débiteur principal" sans priver sa décision de toute base légale au regard des articles 1134, 1197, 1202 et 2021 du Code civil ;

2 / qu'en toute hypothèse, la cour d'appel a relevé, d'une part, que l'engagement de la Fondation n'est pas un engagement de caution subsidiaire à l'engagement du débiteur principal, et d'autre part, que la Fondation devra démontrer que la société Grandes villas méditerranéennes est toujours in bonis et a la trésorerie suffisante pour faire face à ses obligations à l'égard de Natexis banque ; qu'elle a ainsi entaché sa décision d'une contradiction, en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

3 / qu'au surplus, en mettant à la charge de la Fondation la preuve que la société Grandes Villas méditerranéennes est toujours in bonis et a la trésorerie suffisante pour faire face à ses obligations à l'égard de Natexis banque, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel n'a pas qualifié l'engagement souscrit par la Fondation d'engagement de cautionnement, mais a dit que la Fondation s'était engagée à fournir aux garantis la trésorerie leur permettant de rembourser les prêts octroyés et qu'il n'existe aucune contradiction entre l'obligation de résultat ainsi mise en évidence et le fait d'avoir retenu que la Fondation devra démontrer que la société Grandes villas méditerranéennes est toujours in bonis et a la trésorerie suffisante pour faire face à ses obligations ;

Attendu, en second lieu, que la troisième branche du moyen est dirigée contre le chef du dispositif de l'arrêt qui a ordonné une mesure d'instruction ;

D'où il suit qu'irrecevable en sa dernière branche, par application de l'article 150 du nouveau Code de procédure civile, le moyen n'est pas fondé pour le surplus ;

Mais sur le quatrième moyen, pris en sa troisième branche :

Vu l'article 1985 du Code civil ;

Attendu que pour rejeter les prétentions de la Fondation qui faisait valoir qu'en l'absence de décision du conseil d'administration deux des engagements souscrits lui étaient inopposables, l'arrêt retient que si l'on peut admettre que la signature d'une lettre d'intention nécessitait une approbation a posteriori du conseil d'administration, l'absence d'une telle formalité n'entraîne pas pour autant la nullité des actes à l'égard de la banque, dès lors qu'il incombait au seul signataire de procéder à ces formalités ;

Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs, sans rechercher si l'établissement de crédit pouvait légitimement croire que le président de la Fondation avait le pouvoir, en l'absence d'approbation du conseil d'administration, d'engager la Fondation, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit opposables à la Fondation les engagements contenus dans les deux dernières lettres d'intention souscrites par son président, l'arrêt rendu le 14 décembre 1999, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;

Condamne le Crédit national et la société Natexis banque aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Natexis banque ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept décembre deux mille deux.

Retourner en haut de la page