Cour de Cassation, Chambre sociale, du 12 mars 2002, 99-46.034, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par la société La Perle, société anonyme, dont le siège est ...,

en cassation d'un arrêt rendu le 8 novembre 1999 par la cour d'appel de Colmar (chambre sociale, section B), au profit de M. Denis Y..., demeurant résidence La Forêt, bâtiment P, rue de Markstein, 68720 Wittenheim,

défendeur à la cassation ;

Vu la communication faite au Procureur général ;

LA COUR, en l'audience publique du 29 janvier 2002, où étaient présents : M. Merlin, conseiller doyen faisant fonctions de président, Mme Nicoletis, conseiller référendaire rapporteur, M. Brissier, conseiller, M. Besson, conseiller référendaire, M. Lyon-Caen, avocat général, Mme Molle-de Hédouville, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Nicoletis, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boré, Xavier et Boré, avocat de la société La Perle, de la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, avocat de M. Y..., et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen unique :

Attendu que M. Y..., engagé, le 1er juin 1977 en qualité d'horloger, par la société La Perle, a été licencié le 8 janvier 1996 pour avoir refusé de modifier ses horaires de travail ; qu'estimant son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, il a saisi la juridiction prud'homale ;

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt attaqué (Colmar, 8 novembre 1999) de le condamner à payer à son salarié une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse alors, selon le moyen :

1 / que l'employeur, lorsqu'il procède à un changement des conditions de travail d'un salarié, ne fait qu'exercer son pouvoir de direction, et il appartient au salarié qui invoque un détournement de ce pouvoir d'en apporter la preuve ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que les modifications dans l'horaire de travail de M. Y... avaient été décidées par l'employeur dans l'usage de son pouvoir de direction ; qu'en déclarant, cependant, cette modification abusive aux motifs que l'employeur ne démontrait pas qu'elle procédait de considérations d'équité, la cour d'appel, qui a renversé la charge de la preuve, a violé l'article 1315 du Code civil ;

2 / que lorsqu'une partie a la charge de la preuve, celle-ci ne se déduit pas de ses seules allégations, fussent-elles non contestées par son adversaire ; qu'en déduisant le caractère abusif de la modification opérée de ce que l'employeur ne contestait pas la présence d'un autre horloger dans l'entreprise, ni ne précisait pourquoi il ne l'avait pas "mis à contribution" les mercredi et lundi soirs ou même sollicité en ce sens, la cour d'appel, qui s'est fondée sur les seules allégations du salarié, a violé derechef l'article 1315 du Code civil ;

3 / qu'en énonçant que la modification, dont elle ne contestait pas qu'elle avait été opérée dans l'intérêt d'une autre salariée de l'entreprise, elle-même mère de jeunes enfants, et pour laquelle l'employeur avait proposé des délais de mise en oeuvre, procédait de l'intention de l'employeur de nuire à M. Y... dans l'organisation de sa vie privée au seul motif qu'elle n'aurait pas été proposée à un autre salarié, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé le détournement de pouvoirs retenu, a violé l'article 1134 du Code civil ;

4 / qu'en retenant que l'absence ou la présence de Mme X... le mercredi serait sans influence sur la bonne marche de l'entreprise dès lors que l'employeur disposait d'un autre horloger qualifié, la cour d'appel, qui s'est substituée à la demanderesse dans l'exercice de son pouvoir de direction et d'organisation, a violé l'article L. 122-14-3 du Code du travail ;

5 / qu'en soulevant d'office, sans rouvrir les débats, le moyen pris de ce que le véritable motif du licenciement serait l'insuffisance professionnelle de M. Y..., la cour d'appel a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que la cour d'appel, appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, a constaté, d'une part, que les motifs invoqués par l'employeur pour justifier le changement d'horaire du salarié et consistant à lui accorder son jour de congé un mercredi sur deux au lieu de tous les mercredis, n'étaient pas réels et, d'autre part, que la décision de l'employeur avait été prise dans le but de nuire au salarié qui, étant divorcé, avait la garde de ses deux enfants et souhaitait préserver son jour de repos chaque mercredi ;

qu'elle a pu décider que l'employeur a abusé de son pouvoir de direction et a, par ce seul motif, justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société La Perle aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société La Perle à payer à M. Y... la somme de 1 825 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze mars deux mille deux.

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