Cour de Cassation, Chambre sociale, du 3 avril 2001, 99-40.944, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par la Société études générales de l'aménagement du territoire dite "SEGAT", dont le siège est 6 bis, rue Jean Bonnefoix, 94200 Ivry-sur-Seine,

en cassation d'un arrêt rendu le 11 décembre 1998 par la cour d'appel de Paris (18e Chambre sociale), au profit de M. Y...,

défendeur à la cassation ;

LA COUR, en l'audience publique du 13 février 2001, où étaient présents : M. Gélineau-Larrivet, président, Mme Trassoudaine-Verger, conseiller référendaire rapporteur, M. Chagny, conseiller, Mme Lebée, conseiller référendaire, M. Kehrig, avocat général, Mme Molle-de Hédouville, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Trassoudaine-Verger, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, avocat de la Société études générales de l'aménagement du territoire (SEGAT), les conclusions de M. Kehrig, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu que M. Y... a été engagé par la Société études générales de l'aménagement du territoire dite SEGAT le 12 juin 1974, en qualité d'agent de terrain, et en dernier lieu de négociateur documentaliste ; que le 12 septembre 1989, il a été victime d'un accident du travail occasionnant un arrêt de travail jusqu'au 24 octobre 1990, puis a été en arrêt de travail pour maladie du 25 octobre 1990 jusqu'au 24 octobre 1993 ; que le 30 mai 1993, la SEGAT l'a informé de ce qu'elle considérait le contrat de travail comme rompu du fait de son salarié, par suite de son incarcération depuis mai 1993 ; que le salarié a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la SEGAT fait grief à l'arrêt attaqué (Paris, 11 décembre 1998) d'avoir constaté la présence du greffier lors du délibéré, alors que le délibéré est secret, le greffier ne pouvant assister qu'aux débats et au prononcé public de la décision ; qu'en énonçant sous la mention "composition de la cour" celle de "greffier : madame Béthery" d'où il ressort que le greffier a assisté au délibéré, la cour d'appel a violé les articles 447, 448 et 458 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'il ne résulte pas des énonciations de l'arrêt, que le greffier, qui fait partie de la juridiction de jugement à laquelle il est affecté, ait participé au délibéré ; que le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que la SEGAT fait encore grief à l'arrêt d'avoir jugé que l'instance n'était pas périmée, alors, selon le moyen, que la SEGAT versait aux débats le bulletin de convocation devant la juridiction de jugement le 3 mai 1993 qui sommait le demandeur de communiquer ses pièces avant le 3 mars 1993 et le défendeur avant le 3 avril ; qu'en estimant cependant qu'aucune diligence n'avait été mise à la charge des parties par la juridiction pour décider que l'instance n'était pas périmée, la cour d'appel a violé les articles 386 du nouveau Code de procédure civile et R. 516-20 du Code du travail ;

Mais attendu que les diligences prescrites dans le bulletin de convocation de M. Y... devant le bureau de jugement, remis par le greffier en application de l'article R. 516-20, alinéa 1er, du Code du travail, n'émanant pas de la juridiction, la cour d'appel a exactement décidé que l'instance n'était pas périmée ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que la SEGAT fait enfin grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à M. Y... une somme à titre d'indemnité de licenciement et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse , alors, selon le moyen :

1 / que l'extériorité du fait invoqué à titre de force majeure ayant pour effet de rompre le contrat de travail sans qu'aucune indemnité ne soit due au salarié, s'apprécie par rapport à la personne du débiteur qui l'invoque pour s'exonérer de ses obligations ; qu'ainsi, l'incarcération d'un salarié constitue un cas de force majeure pour l'employeur qui n'est pas tenu de verser une indemnité de rupture ; qu'en l'espèce l'incarcération du salarié invoquée" par l'employeur constituait un fait extérieur à la SEGAT dont elle n'était nullement à l'origine ; qu'en décidant cependant que l'incarcération du salarié n'était pas constitutive d'un cas de force majeure, la cour d'appel a violé l'article 1148 du Code civil ; alors,

2 / que seul le motif de licenciement fondé sur l'état de santé d'un salarié qui se trouve en arrêt de maladie à la date de la rupture est illicite ; qu'en l'espèce par courrier du 30 mai 1994, la SEGAT avait pris acte de la rupture du contrat de travail du seul fait de l'incarcération de M. Y... ; qu'en décidant que la rupture était constitutive d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse après avoir uniquement relevé que l'employeur avait pris acte de la rupture avant toute visite médicale de reprise, sans nullement constater que le véritable motif de la rupture constatée par l'employeur était l'état de santé du salarié, la cour d'appel a violé les articles L. 122-14-2 et L. 122-45 du Code du travail ; alors,

3 / que le juge doit en toute circonstance faire observer et observer lui-même le principe du contradictoire ; qu'il ne peut fonder sa décision sur les moyens qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations

; qu'en l'espèce, pour décider que le licenciement était abusif, la cour d'appel s'est notamment fondée sur une décision de condamnation du salarié par le tribunal correctionnel de Meaux du 13 janvier 1994 lorsque pourtant cette décision n'était invoquée par aucune des parties dans leurs conclusions ; qu'en se fondant ainsi sur une pièce non invoquée par les parties, sans préciser son origine et sans inviter les parties à faire valoir leurs observations sur cette décision, la cour d'appel a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ; alors,

4 / qu'en relevant que M. Y... ayant été condamné par une décision prononcée le 13 janvier 1994 par le tribunal correctionnel de Meaux, le motif invoqué dans la lettre de rupture pris d'une incarcération "d'une durée imprévisible" n'était ni réel ni sérieux, sans rechercher comme elle y était pourtant invitée si l'employeur était informé à la date de la lettre de l'existence et de l'étendue de la condamnation prononcée à l'encontre de M. Y... et si la durée de celle-ci n'était pas en tout état de cause constitutive d'un motif réel et sérieux de rupture, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 122-14-3 du Code du travail ;

Mais attendu que, sans violer le principe du contradictoire, la cour d'appel, après avoir exactement énoncé que la situation résultant de l'incarcération du salarié ne constituait pas un cas de force majeure, a décidé à bon droit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par l'employeur du fait du salarié en raison de sa mise en détention s'analysait en un licenciement dépourvu de cause ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la SEGAT aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la SEGAT ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trois avril deux mille un.

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