Cour de Cassation, Chambre commerciale, du 10 mai 2000, 97-17.277, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par la société Fabre Graines, société anonyme, dont le siège est ...,

en cassation d'un arrêt rendu le 26 mars 1997 par la cour d'appel de Nancy (2e Chambre civile), au profit de la société ZM Informatique, société à responsabilté limitée, dont le siège est ...,

défenderesse à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 14 mars 2000, où étaient présents : M. Grimaldi, conseiller doyen faisant fonctions de président, Mme Vigneron, conseiller rapporteur, M. Tricot, conseiller, M. Jobard, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Vigneron, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, avocat de la société Fabre Graines, de la SCP Parmentier et Didier, avocat de la société ZM Informatique, les conclusions de M. Jobard, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur les deux moyens, pris en leurs diverses branches réunis :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nancy, 26 mars 1997) et les productions, que par contrat du 16 juillet 1990, la société ZM informatique s'est engagée à fournir à la société Fabre graines (la société Fabre) un système informatique et à assurer sa maintenance ; que ce contrat, qui était conclu pour une année, était renouvelable par tacite reconduction, d'année en année ; que le 21 janvier 1992, la société Fabre a résilié le contrat sans restituer à la société ZM informatique les programmes sources du logiciel de ventes par correspondance qu'elle avait installé ;

que cette société a assigné la société Fabre en réparation de son préjudice résultant de cette absence de restitution et de la rupture anticipée des relations contractuelles ;

Attendu que la société Fabre reproche à l'arrêt d'avoir accueilli cette demande, alors, selon le pourvoi, de première part, que le groupe de sociétés n'étant pas un sujet de droit, les sociétés d'un même groupe sont juridiquement autonomes ; qu'en particulier cette autonomie s'impose en matière procédurale ; qu'il en résulte que la société mère est irrecevable à réclamer en justice ce qui est dû à une filiale, et inversement ; qu'en l'espèce, dans son courrier recommandé du 14 mai 1990, la société ZM informatique affirmait elle-même que les sources étaient la propriété exclusive de la société Logitel ; qu'il était constant que c'était la société Logitel qui avait mis au point et facturé le logiciel ; que la société Fabre contestait donc devant la cour d'appel la qualité à agir de la société ZM informatique en paiement d'une facture correspondant à des sources appartenant à une autre société, en l'occurrence la société Logitel ; qu'en se contentant d'affirmer que la société Logitel faisait partie du même groupe que la société ZM informatique et que son intervention était donc régulière dans la mise en place du système informatique, sans rechercher si la société ZM informatique pouvait agir en paiement d'une facture correspondant à des sources de a société Logitel, société juridiquement autonome, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 31 du nouveau Code de procédure civile, ensemble l'adage "nul ne plaide par procureur" ; alors, de deuxième part, que dans sa lettre recommandée avec accusé réception en date du 14 mars 1990 adressée à la société Fabre, la société ZM informatique affirmait clairement que les sources des programmes étaient la propriété exclusive de la société Logitel ; qu'en affirmant que la société ZM informatique avait dans ce courrier affirmé que les programmes sources restaient sa propriété, la cour d'appel a manifestement dénaturé le sens clair et précis de ce document soumis à son appréciation, et partant violé l'article 1134 du Code civil ; alors, de troisième part, que le logiciel spécifique mis au point spécialement pour un client et adapté à ses besoins se distingue d'un progiciel, programme standard ; que le contrat de service du 16 juillet 1990 prévoyait que les "logiciel" utilisés" restaient la propriété exclusive de la société ZM informatique ; qu'en considérant que cette clause concernait le "logiciel" VPC de la société Fabre, quand elle ne faisait référence expresse qu'à des logiciels, qui ne peuvent être confondus avec un logiciel, la cour d'appel a dénaturé le sens de cette clause, et violé l'article 1134 du Code civil ; alors, de quatrième part, que la fourniture d'un logiciel, programme unique adapté aux besoins personnels du client qui en finance la mise au point, emporte le droit de celui-ci d'avoir accès aux sources et de modifier le logiciel, notamment pour corriger des erreurs ou procéder aux adaptations du logiciel nécessaires à la poursuite de son activité ; que cette modification peut être effectuée par un tiers, sans pour autant constituer un"piratage illicite" ; qu'en effet le piratage n'est constitué qu'en cas de duplication avérée du logiciel par le tiers intervenant, ou au cas où l'utilisateur commercialise ou cède le

logiciel ; qu'en l'espèce, la société ZM informatique s'était engagée envers la société Fabre à fournir un logiciel spécialement adapté aux besoins de cette entreprise, et non un logiciel standard ; qu'il en résultait nécessairement le droit pour la société Fabre d'avoir accès aux sources et de modifier dans la limite de ses besoins le logiciel spécial, en ayant recours aux services d'un tiers, en l'espèce la société ALS, tant que cette société ne dupliquait pas le programme, et que la société Fabre ne les commercialisait pas ni ne les cédait à des tiers ; qu'en considérant que l'accès de la société Fabre aux sources et l'adaptation du logiciel à ses besoins constituait un piratage, quand ce n'était que l'usage d'un droit, sans constater l'existence d'une duplication illicite ou d'une transmission du logiciel à un tiers, seules constitutives du piratage, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 46 de la loi du 3 juillet 1985 ; alors, de cinquième part, que l'auteur du logiciel ne peut limiter le droit qu'à l'utilisateur d'adapter le logiciel que par la stipulation d'une clause contraire ; que cette clause doit être claire ; qu'à défaut, elle ne peut préjudicier à l'utilisateur qui a adhéré au contrat rédigé par le fournisseur informatique ; qu'en l'espèce, la société Fabre soutenait que la clause insérée par la société ZM informatique dans le contrat du 16 juillet 1990 prévoyant la nécessité de l'accord de cette société pour toute modification du "progiciel" était inopérante, visant un progiciel, programme standard, et non le logiciel spécifique fourni à la société Fabre ; qu'en considérant que l'adaptation du logiciel par la société Fabre constituait un piratage effectué en violation des droits de la société ZM informatique, sans à aucun moment s'expliquer sur la validité et les effets de la clause en question, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 46 de la loi du 3 juillet 1985 ; alors, de sixième part, que chaque partie doit prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention ;

qu'en l'espèce, si la société Fabre n'a pas contesté avoir légèrement modifié les sources pour corriger des erreurs dans le logiciel et procéder aux adaptations nécessaires à son activité, il n'a à aucun moment été démontré un "piratage" de ces sources constitué par leur duplication ou leur transmission à des tiers ; de même, à aucun moment n'a été démontré le vol des sources par le stagiaire de la société Fabre ; qu'en affirmant que les programmes sources avaient été volés par un stagiaire et piratés par d'autres utilisateurs, pour en déduire le "préjudice" de la société ZM informatique, sans jamais constater l'existence de la preuve de ce piratage, la cour d'appel a violé l'article 9 du nouveau Code de procédure civile ; alors, de septième part, que les juges du fond ne peuvent dénaturer les conclusions des parties ; qu'en l'espèce, la société Fabre contestait devant les premiers juges la qualité des prestations de la société ZM informatique ; qu'en particulier la société Fabre reprochait à la société ZM informatique l'absence de phase d'analyse, le dépassement flagrant des délais et les surcoûts important, en même temps que les nombreuses lacunes du système mis en place par la société ZM informatique ; qu'en considérant que la qualité des prestations de la société ZM informatique n'avait pas été véritablement contestée devant les premiers juges, la cour d'appel a dénaturé les conclusions de la société Fabre, et violé les articles 4 et 5 du nouveau Code de procédure civile ; alors, de huitième part, que les juges du fond doivent motiver leurs décisions ; qu'en l'espèce, la société Fabre graines contestait devant la cour d'appel l'exécution par la société ZM informatique de son obligation de conseil et de ses prestations ; qu'en se bornant à affirmer qu'à hauteur d'appel, les arguments de la société Fabre concernant l'absence des conseils de la société ZM Informatique ou la mauvaise qualité des services n'étaient pas fondés sur des documents établis au moment où les parties étaient en relation d'affaires, sans à aucun moment analyser si peu que ce soit les documents soumis à son appréciation par la société Fabre, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs, et violé les articles 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile ; alors, de neuvième part, qu'en tout état de cause, le silence gardé pendant un certain temps par le client d'un fournisseur informatique ne vaut pas renonciation à invoquer l'inexécution de ses obligations par le fournisseur informatique ; qu'en particulier la tardiveté de sa réclamation, ou l'absence de réserves émises pendant un certain temps après la réception des fournitures ne l'empêche pas de demander par la suite la rupture du contrat pour manquement du fournisseur à son obligation de conseil ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a cru pouvoir rejeter les prétentions de la société Fabre aux motifs que cette société n'avait pas véritablement contesté les prestations de la société ZM informatique devant les premiers juges, et qu'en cause d'appel ses arguments ne reposaient pas sur des documents établis au moment où les parties étaient en relation d'affaires, sans rechercher si la société ZM informatique avait effectivement manqué à son obligation de conseil, a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 et 1135 du Code civil ; et alors, enfin, que le rapport d'expertise qui n'a pas été établi contradictoirement peut néanmoins être retenu à titre de preuve quand la partie adverse

en a reçu communication et en a discuté la valeur et la portée dans le cadre du débat contradictoire ; qu'en l'espèce, il ressort clairement des écritures d'appel de la société ZM informatique que le rapport d'expertise diligenté par M. X... lui avait été communiqué, puisqu'elle en discutait la valeur et la portée dans ses conclusions ; qu'en ne tenant pas compte de l'expertise de M. X..., en retenant qu'elle ne présentait pas de caractère contradictoire, quand la société ZM informatique avait été à même d'en discuter contradictoirement, la cour d'appel a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel, par une interprétation que l'ambiguïté du contrat rendait nécessaire, a estimé que celui-ci prévoyait que les logiciels utilisés ou mis au point pas la société ZM informatique, dans le cadre du contrat, restaient sa propriété, faisant ainsi ressortir que cette société avait qualité pour solliciter la réparation de son préjudice résultant de l'absence de restitution des programmes sources du logiciel litigieux ;

Attendu, en second lieu, qu'après avoir relevé que la société Fabre a conservé les programmes sources du logiciel de vente par correspondance appartenant à la société ZM informatique, l'arrêt retient, par une décision motivée, que les prétentions de la société Fabre relatives à l'absence de conseils de la société ZM informatique ou la mauvaise qualité de ses sources ne sont pas fondées sur des documents établis au moment où les parties étaient en relation d'affaires et que l'expertise de M. X... n'apporte aucun élément probant ; qu'il retient encore que les difficultés inhérentes à l'installation du système informatique ne remettent pas en cause l'utilisation et l'utilité de ce système et que la société Fabre ne justifie pas d'une faute de la société ZM informatique dans l'exécution de ses obligations ; qu'en l'état de ces appréciations, et abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les deuxième, quatrième, cinquième, sixième et dixième branches, la cour d'appel qui a effectué les recherches prétendument omises, a légalement justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses dix branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Fabre Graines aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Fabre Graines à payer à la société ZM Informatique la somme de 15 000 francs ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. Tricot, conseiller le plus ancien, qui en a délibéré, en remplacement du président en son audience publique du dix mai deux mille.

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