Cour de Cassation, Chambre commerciale, du 17 novembre 1998, 96-22.225, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par la société Iams France, société à responsabilité limitée, dont le siège est ...,

en cassation d'un arrêt rendu le 17 octobre 1996 par la cour d'appel de Versailles (12e chambre, 1re section), au profit de la société des Pet foods, société à responsabilité limitée, dont le siège est Beville-le-Comte, 28700 Auneau,

défenderesse à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 6 octobre 1998, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Léonnet, conseiller rapporteur, M. Nicot, conseiller, Mme Piniot, avocat général, Mme Moratille, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. Léonnet, conseiller, les observations de la SCP Coutard et Mayer, avocat de la société Iams France, de la SCP Nicolay et de Lanouvelle, avocat de la société Pet foods, les conclusions de Mme Piniot, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt infirmatif attaqué (Versailles, 17 octobre 1996 ) que la société de droit américain Iams a signé en 1989 avec la société des Pet Foods un contrat de distribution exclusive pour l'achat et la revente en France et dans les X... Tom d'aliments pour animaux domestiques notamment sous la marque Eukanuba ; que ce contrat a pris fin le 31 décembre 1992 ; que la société des Pet Foods a alors commercialisé des produits pour animaux sous l'appellation " techni-cal" ; que la société Iams, après avoir créé la société Iams France, a diffusé ses produits par l'intermédiaire de cette entreprise ; que la société des Pet Foods ayant eu connaissance que la société Iams France avait distribué " à ses commerciaux " un argumentaire de vente faisant état que les produits " techni-cal " étaient de mauvaise qualité, pour un prix plus élevé, que les aliments vendus par elle l'a assignée en 1993, devant le tribunal de commerce, en dommages et intérêts pour concurrence déloyale par dénigrement ;

Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que la société Iams France fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à 1 000 000 de francs de dommages et intérêts pour concurrence déloyale alors, selon le pourvoi, que, d'une part, la concurrence déloyale par dénigrement n'est constituée qu'autant qu'elle est portée à la connaissance de tiers à l'entreprise défenderesse ; qu'en se bornant à retenir que la note interne litigieuse, si elle était "adressée aux collaborateurs", "constituait essentiellement un argumentaire" que les collaborateurs étaient invités à répercuter auprès des clients", sans constater que cette répercussion constitutive du dénigrement avait eu lieu, et était imputable à la société Iams France, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; et alors, d'autre part, que si la cour d'appel retient que quelques personnes non salariées de la société Iams France auraient eu connaissance de la lettre interne, elle n'indique pas qu'une telle diffusion aurait été imputable à la société Iams France ; que l'arrêt attaqué manque de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que la cour d'appel après avoir analysé la note adressée par la société Iams France à ses collaborateurs a constaté que ce document n'était pas la manifestation d'une critique objective et mesurée mais constituait un dénigrement des produits concurrents tant au regard de l'examen de la qualité respective de ces produits que de la comparaison des prix pratiqués qui avait été établie avec légèreté ;

qu'ayant, en outre, relevé que le dirigeant de la société Iams France avait invité les destinataires de cette note à répercuter les informations qu'elle contenait auprès de la clientèle afin que "la stratégie à adopter (soit d'en) faire prendre conscience (aux) éleveurs "dans le cadre" d'une stratégie commerciale agressive" et, ayant constaté que cette consigne de diffusion auprès de la clientèle avait été respectée et qu'elle était attestée par les pièces versées aux débats, la cour d'appel n'encourt pas les griefs du moyen ;

Que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que la société Iams France fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à la société des Pet Foods la somme de 1 000 000 de francs à titre de dommages et intérêts, alors, selon le pourvoi, que, d'une part, si les faits de concurrence déloyale impliquent eux-mêmes l'existence d'un préjudice il appartient à la partie demanderesse de rapporter la preuve de son étendue ; que la compagnie des Pet Foods s'abstenait de toute preuve voire commencement de preuve à cet égard, se bornant à une affirmation non étayée ; qu'en y faisant droit, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; et alors, d'autre part, qu'il appartient aux parties d'énoncer leurs prétentions ; que la compagnie des Pet Foods ne prétendait pas que son préjudice aurait été moral et ne sollicitait aucune réparation à cet égard ; qu'en lui accordant une indemnité au titre d'un préjudice "au moins moral", la cour d'appel a violé l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt constate la gravité de la faute commise par la société Iams France en relevant que le dénigrement litigieux s'est exercé "dans le cadre d'une stratégie commerciale agressive" organisée par elle ; qu'à partir de cette constatation, c'est en justifiant légalement sa décision et sans modifier l'objet du litige que la cour d'appel a tenu pour établir le préjudice invoqué et en a souverainement apprécié le montant ;

Que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et sur le troisième moyen :

Attendu que la société Iams France fait grief à l'arrêt de lui avoir interdit de diffuser la note du 11 mars 1993 " sous peine d'une amende de 50 000 francs par document circulant sur le marché", alors, selon le pourvoi, que l'amende civile ne peut être prononcée que comme sanction d'une action dilatoire ou abusive ; qu'en punissant d'amende l'éventuelle poursuite de la diffusion de la lettre litigieuse par la société Iams France, la cour d'appel a commis un excès de pouvoir et violé l'article 32-1 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que si la cour d'appel a utilisé improprement le terme d'amende à la place de celui d'astreinte il ressort du dispositif de l'arrêt qu'il s'agissait d'une mesure assortissant à des fins dissuassives l'interdiction prononcée ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Iams France aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Iams France à payer à la société des Pet foods la somme de 12 000 francs ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept novembre mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.

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