Cour de Cassation, Chambre sociale, du 16 décembre 1998, 96-43.932, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par M. Jean-Michel X..., demeurant ...,

en cassation d'un arrêt rendu le 16 avril 1996 par la cour d'appel de Versailles (15e chambre), au profit de la société Voss Production, société anonyme, dont le siège est ...,

défenderesse à la cassation ;

LA COUR, en l'audience publique du 4 novembre 1998, où étaient présents : M. Carmet, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président, M. Bouret, conseiller rapporteur, M. Ranssac, conseiller, M. Frouin, conseiller référendaire, M. Lyon-Caen, avocat général, Mlle Lambert, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. Bouret, conseiller, les observations de la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, avocat de M. X..., de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Voss Production, les conclusions de M. Lyon-Caen, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La société Voss Production a formé un pourvoi incident ;

Attendu que M. X..., employé de la société Voss Production depuis juillet 1964, a été licencié pour motif économique par lettre du 3 mai 1993 dans le cadre d'un licenciement économique de moins de 10 personnes ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident de l'employeur :

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt attaqué (Versailles, 16 avril 1996) de l'avoir condamné à payer des dommages-intérêts au salarié en réparation du préjudice résultant des circonstances de la rupture du contrat de travail, que l'employeur ne peut être tenu de payer à un salarié licencié des dommages-intérêts que s'il a commis une faute dans l'exercice de son droit de le licencier ; que la cour d'appel qui a décidé, pour débouter le salarié de ses demandes d'indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour irrégularité de la procédure, que le motif économique invoqué par l'employeur était réel et sérieux et que la procédure suivie avait été régulière, admettant par là même que l'employeur n'a commis aucune faute dans l'exercice de son droit de licencier, ne pouvait le condamner à payer à l'intéressé des dommages-intérêts en réparation d'un préjudice moral subi du fait de son licenciement ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; alors, d'autre part, que, sauf intention de nuire, l'employeur ne commet aucune faute en dispensant les salariés de travailler pendant le déroulement de la procédure de licenciement ; qu'en l'espèce la cour d'appel a relevé que la société Voss Production avait dispensé tous les salariés compris dans le licenciement collectif de travailler pendant la procédure de licenciement ;

qu'en s'abstenant de préciser en quoi la société Voss Production aurait cherché à nuire à M. X... en ne l'excluant pas de cette mesure, la cour d'appel, a privé sa décision de toute base légale au regard du même texte ; alors, enfin, qu'en tout état de cause, le non-respect de la procédure de licenciement ne peut être sanctionné que par le paiement d'une indemnité qui ne peut excéder un mois de salaire ; qu'il résulte du jugement (page 2 dernier paragraphe) que le salaire mensuel de M. X... s'élevait en dernier lieu à 18 000 francs, qu'en condamnant la société Voss Production à payer à ce dernier la somme de 40 000 francs en réparation du préjudice qui résulterait du non-respect de la procédure de licenciement, la cour d'appel a violé l'article L. 122-14-4 du Code du travail ;

Mais attendu qu'en retenant par un motif non critiqué par le moyen que l'employeur avait mis fin brutalement au contrat de travail d'un salarié ayant 29 ans de présence dans l'entreprise avec une légèreté blâmable la cour d'appel, qui a caractérisé un comportement fautif de l'employeur ayant entraîné un préjudice distinct de celui résultant du licenciement, dont elle a souverainement apprécié le montant, a ainsi légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur la deuxième branche du premier moyen de cassation du pourvoi du salarié :

Vu les articles L. 122-14.3 et L. 321-1 du Code du travail ;

Attendu que pour débouter le salarié de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel énonce qu'il est constant que M. X... a adhéré à la convention de conversion qui lui a été proposée, que la société Voss Production établit par les pièces produites, attestations et documents comptables, la réalité de la baisse des commandes alléguée et celle de la suppression du poste de responsable de fabrication maintenance occupé depuis mai 1992 par M. X..., ce que ce dernier ne conteste pas ; que pour contester la légitimité de son licenciement, M. X... se contente d'affirmer que son ancien subordonné, M. Y..., l'a remplacé dans le poste de responsable maintenance qu'il occupait avant "son éphémère et perfide promotion", et d'arguer que l'employeur devait le reclasser dans son ancien poste ; que cependant, une telle argumentation revient à contester l'ordre des licenciements, ce que M. X..., qui a adhéré à une convention de conversion, n'est pas recevable à faire en application de l'article L. 321-6 du Code du travail ; que M. X... n'établit par la production d'aucune pièce et ne soutient pas explicitement que la restructuration intervenue en 1992 ait été opérée par l'employeur dans le but de parvenir à son éviction l'année suivante ; qu'il en résulte que le licenciement de M. X... est bien intervenu pour le motif économique allégué, cause réelle et sérieuse de licenciement ; qu'il convient en conséquence, infirmant le jugement entrepris, de débouter l'intéressé de sa demande d'indemnité de ce chef ;

Qu'en statuant ainsi alors que le licenciement économique d'un salarié ne peut intervenir qui si son reclassement dans l'entreprise n'est pas possible, la cour d'appel qui s'est prononcée par un motif inopérant, sans rechercher comme elle y était tenue si l'employeur avait satisfait à l'obligation de reclassement, n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Et sur le second moyen du pourvoi du salarié :

Vu les articles L. 122-14.4, alinéa 3, L. 321-2 et L. 321-3 du Code du travail ;

Attendu que pour débouter le salarié de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement la cour d'appel énonce que le seul fait que la lettre de convocation à l'entretien préalable ait été expédiée le jour-même où le comité d'entreprise était consulté sur le projet de licenciement de sept salariés n'est pas de nature à vicier la régularité de la procédure ; que M. X... ne justifie au surplus d'aucun préjudice de ce chef ; qu'il sera en conséquence débouté de sa demande en paiement de dommages et intérêts ;

Qu'en statuant ainsi, après avoir relevé que le licenciement pour motif économique du salarié était décidé dès le 15 avril 1993, date à laquelle il avait dû quitter l'entreprise, ce qui rendait sans objet, et par conséquent irrégulière au regard des articles L. 321-2 et L. 321-3 du Code du travail la consultation du comité d'entreprise sur le projet de licenciement collectif pour motif économique qui devait avoir lieu le lendemain 16 avril, et alors que le non-respect de la procédure de licenciement collectif pour motif économique constitue une irrégularité de forme ayant nécessairement causé un préjudice au salarié qu'il convenait d'indemniser, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a ainsi violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté M. X... de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de sa demande de dommages-intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement, l'arrêt rendu le 16 avril 1996, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Laisse à chaque partie la charge de ses dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Voss Production à payer à M. X... la somme de 12 000 francs ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Voss Production ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du seize décembre mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit

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