Cour de Cassation, Chambre sociale, du 5 octobre 1995, 94-40.180, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par la société anonyme Martel Catala, ayant son siège social BP. 88 à Sélestat (Bas-Rhin), en cassation d'un arrêt rendu le 4 novembre 1993 par la cour d'appel de Colmar (chambre sociale), au profit de M. X... Robert, demeurant ... (Bas-Rhin), défendeur à la cassation ;

LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 14 juin 1995, où étaient présents : M. Lecante, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président, M. Boubli, conseiller rapporteur, MM. Carmet, Brissier, conseillers, Mme Girard-Thuilier, conseiller référendaire, M. Terrail, avocat général, Mme Ferré, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. le conseiller Boubli, les observations de Me Cossa, avocat de la société Martel Catala, de la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, avocat de M. X..., les conclusions de M. Terrail, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu selon l'arrêt attaqué (Colmar, 4 novembre 1993) que M. X... au service de la société Martel Catala depuis le 1er juillet 1960, a été licencié pour "raisons économiques" par lettre du 25 janvier 1991 remise en mains propres ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Martel Catala fait grief à l'arrêt d'avoir dit que la rupture du contrat de travail de M. X... s'analysait en un licenciement pour motif économique et non en une résiliation amiable et de l'avoir condamnée à lui verser un complément d'indemnité de licenciement et un complément d'indemnité compensatrice de non-concurrence, alors, selon le moyen, de première part que, en retenant l'existence d'un licenciement pour cause économique, sans caractériser en rien en quoi aurait consisté cette cause économique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 321-1 du Code du travail ;

alors de deuxième part que, dans la mesure où elle a déduit l'existence d'un licenciement pour cause économique des termes de la lettre de "licenciement" du 25 janvier 1991, bien que celle-ci ne précisât aucunement quel était le motif économique du soi-disant "licenciement", la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 122-14-1 et L. 321-1 du Code du travail ; alors de troisième part que, en déduisant de façon inopérante l'existence d'un licenciement pour cause économique de ce que le salarié n'avait pas adhéré au plan de préretraites mis en place par l'employeur, la cour d'appel a une nouvelle fois privé sa décision de base légale au regard des articles L. 122-4 et L. 321-1 du Code du travail ;

alors de quatrième part qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que le salarié a accepté que le préavis, qui devait contractuellement être de six mois, soit réduit à deux mois afin que le contrat de travail ait cessé avant la survenance de l'âge légal de la retraite, ce qui constituait bien de sa part la renonciation à un droit ;

que, dès lors, en considérant qu'il n'y avait pas eu de résiliation amiable du contrat de travail résultant d'une transaction, au motif que celle-ci aurait supposé une concession du salarié, la cour d'appel n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences qui s'en évinçaient nécessairement au regard des articles 2044 et suivants du Code civil qu'elle a ainsi violés ;

alors de cinquième part que, en affirmant que, par la lettre du 25 janvier 1991, l'employeur avait "dispensé" le salarié d'effectuer dans sa totalité le préavis de six mois auquel il avait droit, ce qui aurait d'ailleurs supposé le versement d'une indemnité compensatrice pour la période de préavis non effectuée, la cour d'appel a, en violation de l'article 1134 du Code civil, dénaturé les termes clairs et précis de ce document qui énoncent : "il a été convenu par accord mutuel entre nous que votre préavis se terminera le 31 mars 1991, date à laquelle cessera votre contrat de travail avec notre société" ; alors de sixième part que, et en toute hypothèse, l'employeur et le salarié pouvant valablement conclure une convention à l'effet d'organiser la rupture de leurs relations contractuelles, laquelle convention n'est pas régie par les règles instituées par les articles 2044 et suivants du Code civil, la cour d'appel a violé ces textes par fausse application en retenant qu'il ne pouvait y avoir de transaction en l'espèce, faute de concessions réciproques dans le cadre d'un contrat ;

alors de septième part, qu'en présence des éléments concordants de nature à établir que le licenciement litigieux était bien de pure complaisance - circonstances dans lesquelles M. X... avait renoncé à bénéficier d'un régime de préretraite, réduction de la durée du préavis sans indemnité compensatrice, contresignature par le salarié de la lettre de licenciement - la cour d'appel devait rechercher si "le licenciement" ne devait pas être assimilé à une résiliation amiable ;

qu'en s'en abstenant, elle a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ;

Mais attendu en premier lieu que la cour d'appel qui a relevé que la lettre du 25 janvier 1991 faisait état d'un licenciement pour motif économique, n'avait pas à faire d'autres constatations dès lors que le salarié ne contestait pas l'exactitude de ce motif ;

Attendu en second lieu, qu'après avoir relevé que M. X... avait refusé d'adhérer au plan de préretraite établi par l'employeur, la cour d'appel a constaté que le salarié s'en était tenu aux termes de la lettre de licenciement, et qu'il n'avait jamais manifesté son intention d'accepter une rupture conventionnelle du contrat de travail ou de conclure une transaction, qu'aucun acte ne matérialisait ; qu'hors toute dénaturation, elle a légalement justifié sa décision ;

Et sur le second moyen :

Attendu qu'il est encore fait grief à l'arrêt d'avoir alloué à M. X... une indemnité au titre de la clause de non-concurrence, alors selon le moyen, d'une part que le contrat de travail liant M. X... à la société Martel Catala stipulant que la clause de non-concurrence est facultative dans le cas de départ volontaire, le chef de l'arrêt allouant à l'intéressé une indemnité au titre de cette clause doit être cassé par voie de conséquence de la cassation à intervenir sur le premier moyen, sur le fondement duquel l'arrêt attaqué sera censuré pour avoir considéré que M. X... avait fait l'objet d'un véritable licenciement et n'avait pas quitté l'entreprise dans le cadre d'une résiliation amiable de son contrat de travail ;

alors d'autre part que, subsidiairement, l'article 28 de la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie ne prévoit pas, comme l'énonce l'arrêt, que la clause de non-concurrence stipulée dans le contrat de travail ne puisse excéder deux ans, mais que "l'interdiction ne peut excéder une durée de 1 an, renouvelable une fois" ;

que la société Martel Catala faisait valoir dans ses conclusions d'appel que la clause de non-concurrence insérée dans le contrat de travail de M. X... était entachée de nullité comme stipulant directement que la durée d'interdiction était de deux ans, et ne pouvait donc produire aucun effet ; qu'en laissant sans réponse ce moyen péremptoire, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

alors enfin que, du même coup, en s'abstenant de rechercher si, au regard des dispositions de la convention collective applicable, la clause contractuelle de non-concurrence ne devait pas être limitée à un an, ainsi que le faisait valoir à titre subsidiaire la société Martel Catala dans ses conclusions, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ;

Mais attendu d'abord qu'en sa première branche le moyen est inopérant ;

Attendu ensuite que le salarié ne s'étant pas prévalu de la nullité éventuelle de la clause de non-concurrence instituée à son seul profit, l'employeur n'était pas recevable à le faire dans le but d'échapper aux conséquences pécuniaires de l'interdiction imposée par lui au salarié ;

que le moyen ne peut être accueilli ;

Et sur la demande présentée par M. X... sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :

Attendu qu'il y a lieu de faire droit partiellement à cette demande ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Martel Catala à verser à M. X... la somme de dix mille francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

La condamne également, envers M. X..., aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par M. le président en son audience publique du cinq octobre mil neuf cent quatre-vingt-quinze.

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