Cour de Cassation, Chambre commerciale, du 3 octobre 1995, 93-16.217, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

I - Sur le pourvoi n Y/93-16.217 formé par la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Alpes Provence, venant aux droits de la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel des Bouches-du-Rhône, dont le siège social est explanade des Lices à Arles (Bouches-du-Rhône),

II - Sur le pourvoi n X/93-18.700 formé par le Crédit lyonnais, société anonyme, dont le siège social est ..., et le siège central ... (2e), en cassation d'un arrêt rendu le 14 décembre 1992 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (1re chambre civile, section A), au profit :

1 / de M. X..., demeurant ... (Bouches-du-Rhône), ès qualités de syndic de la liquidation des biens commune de la société Cheville aixoise, dont le siège social est ... (Bouches-du-Rhône) et de M. Maurice Y..., demeurant à la même adresse,

2 / du ministère public, représenté par M. le procureur général près la cour d'appel d'Aix-en-Provence, domicilié à la cour d'appel d'Aix-en-Provence, place de Verdun à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) , défendeurs à la cassation ;

La demanderesse au pourvoi n Y/93-16.217 invoque, à l'appui de son recours, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Le demandeur au pourvoi n X/93-18.700 invoque, à l'appui de son recours, les cinq moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

LA COUR, en l'audience publique du 6 juin 1995, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Dumas, conseiller rapporteur, MM. Nicot, Vigneron, Leclercq, Gomez, Léonnet, Poullain, Canivet, conseillers, M. Lacan, Mme Geerssen, M. Huglo, conseillers référendaires, M. de Gouttes, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. le conseiller Dumas, les observations de la SCP Defrenois et Levis, avocat de la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Alpes-Provence, de la SCP Vier et Barthélémy, avocat du Crédit lyonnais, de Me Blondel, avocat de M. X..., ès qualités, les conclusions de M. de Gouttes, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu leur connexité, joint les pourvois n Y/93-16.217 et n X/93-18.700, qui attaquent le même arrêt ;

Attendu, selon l'arrêt critiqué (Aix-en-Provence, 14 décembre 1992), que la Caisse régionale de crédit agricole mutuel des Bouches-du-Rhône, aux droits de laquelle se trouve la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Alpes-Provence (le Crédit agricole) finançait l'activité d'éleveur de bétail de M. Maurice Y... ; qu'en concours avec d'autres banques, le Crédit lyonnais consentait des crédits à la société Cheville aixoise, dont M. Y... était le gérant, et qui achetait des bêtes à des éleveurs, en assurait l'abattage et commercialisait la viande de boucherie ; que cette société avait également un compte dans les livres du Crédit agricole ;

que, le 12 décembre 1977, elle a été déclarée en liquidation des biens, celle-ci étant étendue, le 19 décembre suivant à M. Y..., et M. X... étant nommé syndic de l'ensemble ;

que celui-ci a assigné les deux établissements de crédit en responsabilité civile, en leur reprochant d'avoir, par le maintien fautif de leur soutien financier et par la tolérance d'opérations de complaisance, contribué à l'aggravation du passif de la société Cheville aixoise et de M. Y... ;

qu'après avoir ordonné une expertise, la cour d'appel a relevé que la situation de la société Cheville aixoise et celle de M. Y... étaient irrémédiablement compromises à la fin de l'année 1973, et que les deux banques avaient eu connaissance de cette situation irréversible, au plus tard le 30 juin 1975, date à laquelle elles avaient pu achever l'examen du bilan de la société pour l'exercice 1974 ;

qu'elle a, en outre, retenu que le Crédit lyonnais avait commis une faute en continuant néanmoins, après cette date, à accorder son concours à la société Cheville aixoise, qu'il en avait été de même pour le Crédit agricole à l'égard de M. Y..., qu'après cette même date, les deux banques avaient de plus, apporté un soutien indirect à la société, le Crédit lyonnais en escomptant des effets de complaisance tirés par celle-ci sur des éleveurs, et le Crédit agricole en escomptant des lettres de change, à échéances de 60 à 90 jours, tirées par des éleveurs sur la société, mode de paiement qui se substituait à l'émission de chèques au profit de ces éleveurs quinze jours après les livraisons ;

qu'elle a décidé, enfin, que ces fautes étaient en relation de cause à effet avec l'aggravation du passif entre le 30 juin 1975 et les dates des liquidations de biens, qu'aucune faute du syndic n'était de nature à limiter la responsabilité des banques et qu'en conséquence, celles-ci devaient supporter la totalité de l'aggravation du passif entre les dates concernées, outre le paiement d'intérêts de droit à titre compensatoire, entre la date d'assignation et celle de l'arrêt ;

Sur les premiers moyens des pourvois, pris en leurs premières branches, et réunis :

Attendu que le Crédit agricole et le Crédit lyonnais reprochent à l'arrêt de les avoir condamnés "in solidum" à payer à M. X..., pris en sa qualité de syndic de la liquidation des biens commune de la société Cheville aixoise et de M. Maurice Y..., la somme de 11 307 322,07 francs avec intérêts de droit courant de l'assignation originale, alors, selon le Crédit agricole, qu'un établissement de crédit engage sa responsabilité pour avoir consenti des crédits en connaissance de l'état de cessation des paiements, état caractérisé par le fait que l'entreprise se trouve dans une situation irrémédiablement compromise et non par le fait que l'actif disponible est inférieur au passif exigible, condition d'ouverture de la procédure collective ;

que la cour d'appel a considéré que la société Cheville aixoise se trouvait dans une situation financière obérée de façon irréversible dès la fin de 1973, l'expert ayant montré que cette société se trouvait en cessation des paiements au 31 décembre 1973 en faisant figurer à son stock des bêtes devant figurer dans ses immobilisations dès lors qu'en vendant ces bêtes pour payer ses dettes à court terme, elle doit renoncer à son activité de producteur et que si elle ne le fait pas, elle ne peut les compter dans son stock, son fonds de roulement présentant alors une valeur inférieure aux exigibilités à court terme ce qui caractérise la cessation des paiements ;

qu'en déduisant l'état de cessation des paiements de ce que l'actif était inférieur au passif, sans que la situation de la société soit irrémédiablement compromise, la cour d'appel a donc violé l'article 1382 du Code civil ;

et alors, selon le Crédit lyonnais, que la responsabilité du banquier dispensateur de crédits ne peut être recherchée que si, par les concours accordés, il prolonge l'activité d'une entreprise dont il connaît la situation irrémédiablement et définitivement compromise ;

que l'état de cessation des paiements de l'entreprise dont l'actif disponible est inférieur au passif exigible, ce qui n'est qu'une condition d'ouverture de la procédure collective, ne caractérise pas à lui seul cette situation irrémédiablement compromise de l'entreprise ;

qu'en affirmant que la société Cheville aixoise se trouvait dans une situation financière obérée de façon irréversible dès la fin de l'année 1973, au seul vu du rapport de l'expert judiciaire constatant l'état de cessation des paiements de l'entreprise du fait que son actif était intérieur au passif, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que la cour d'appel a fondé sa décision, non sur l'état de cessation de paiements de la société Cheville aixoise, mais sur la situation irrémédiablement compromise de cette société, qu'elle a constatée après avoir analysé les divers éléments de fait soumis à son appréciation, notamment le rapport d'expertise ;

que les griefs ne peuvent être accueillis ;

Sur les premiers moyens des pourvois, pris en leurs deuxième et troisième branches, et réunis :

Attendu que le Crédit agricole et le Crédit lyonnais reprochent encore à l'arrêt d'avoir statué comme il a fait, alors, selon les pourvois, d'une part, que la cour d'appel, pour répondre à une critique du rapport d'expertise formulée par eux, a estimé que l'analyse qu'ils proposaient ne faisait que changer la nature de la fausse présentation du bilan sans influer sur les conclusions expertales relatives à l'état de cessation des paiements, et ce, en raison de ce que, si M. Y... était propriétaire personnel des animaux reproducteurs constituant une partie de la valeur des stocks de la société, le bilan devenait faux en ce qu'il omettait de porter au passif, dans les dettes exigibles à court terme, le montant du compte courant d'associé de M. Y... devenu créditeur de la valeur des bêtes apportées par lui, que le stock devenait correct mais les dettes incorrectes, leur montant devant être augmenté d'autant, et dépassant alors la valeur du fonds de roulement, ce qui caractériserait à nouveau la cessation des paiements ;

qu'en statuant ainsi sans constater que le Crédit agricole, qui n'était pas la banque de la société Cheville aixoise, et le Crédit lyonnais, avaient connaissance de ce que les bêtes figurant à l'actif de la société étaient la propriété de M. Y..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

et alors, qu'en toute hypothèse, l'établissement de crédit engage sa responsabilité par octroi de crédit que s'il consent celui-ci en connaissance de la situation irrémédiablement compromise de l'entreprise créditée ;

qu'à supposer même qu'après redressement des bilans inexacts, il fût apparu que la société Cheville aixoise se trouvait en situation irrémédiablement compromise, encore aurait-il fallu, pour retenir, la responsabilité du Crédit agricole et du Crédit lyonnais, que ceux-ci aient connaissance de l'inexactitude des bilans présentés ; que faute d'avoir caractérisé cette connaissance, l'arrêt n'est pas légalement justifié au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui avait à rechercher si les deux banques avaient eu connaissance, non pas du bilan de la société débitrice, mais de la situation irrémédiablement compromise de celle-ci, a retenu, en ce qui concerne le Crédit agricole, que la réalité de cette connaissance, par plusieurs responsables de cet établissement de crédit, était démontrée par la production de documents internes et par des dépositions de témoins dans une enquête pénale ;

qu'à l'égard du Crédit lyonnais, l'arrêt relève que la faute de cette banque étant surtout établie par la preuve que les documents dont elle disposait lui révélaient nécessairement la situation réelle de sa cliente, dès l'examen du bilan de 1974, la cour d'appel entend faire siennes les constatations techniques très détaillées par lesquelles l'expert judiciaire démontre cette révélation, telles qu'elles figurent aux pages 139 à 174 de son rapport pour la façon dont elle a été acquis et aux pages 175 à 180 pour la date à laquelle elle a pu être obtenue ;

que l'arrêt retient encore que la cour d'appel ne saurait admettre les arguments de détail par lesquels le banquier entend contester sa connaissance exacte de la situation après le 30 juin 1975, telle que l'absence d'incidents de paiement récents, face à la démonstration de l'expert, qui l'accable ;

qu'il constate, enfin, que les éléments tirés de l'analyse du compte de la société Cheville aixoise au Crédit lyonnais, notamment un virement émanant d'une société contrôlée par M. Y..., provenant de la vente d'un immeuble familial et destiné à réduire le découvert croissant, loin de montrer une amélioration, soulignaient pour le banquier l'appauvrissement irréversible du groupe Y..., qui liquidait ainsi ses actifs immobiliers ;

qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que les griefs ne sont pas fondés ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses quatre branches, du pourvoi n Y/93-16.217 :

Attendu que le Crédit agricole reproche en outre à l'arrêt d'avoir statué comme il a fait, alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'escompte fournisseur par lequel un établissement de crédit escompte du papier tiré sur son client à la demande de celui-ci et au profit d'un de ses fournisseurs, tireur de la traite, constitue un procédé licite et normal de financement ;

qu'en décidant du contraire, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;

alors, d'autre part, qu'aucune disposition légale n'impose une corrélation entre la date à laquelle un effet de commerce vient à échéance et la date à laquelle la marchandise achetée, qui justifie la création de l'effet, est revendue par l'acheteur ;

qu'en déduisant de l'absence de corrélation entre ces deux dates le caractère irrégulier de l'escompte fournisseur, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil et l'article 110 du Code de commerce ;

alors, en outre, qu'en ne précisant pas s'il avait eu connaissance de tirages de chèques croisés et d'effets de complaisance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1131 du Code civil ;

alors, enfin, qu'à supposer que la cour d'appel ait entendu adopter les conclusions de l'expert, selon lequel sa connaissance de l'existence d'effets de complaisanse résulterait de quatre chèques tirés par un M. Z... en octobre 1975, pour un montant de 120 000 francs, il appartenait à la cour d'appel de préciser si M. Z..., dont l'expert estime, qu'en sa qualité de salarié il ne pouvait présenter à l'escompte les traites, lui avait fait connaître son changement de statut puisqu'il était jusqu'au début de l'année 1975 chevillard pouvant recourir à l'escompte, et s'il était en mesure de faire le rapprochement entre les chèques émis au profit de M. Y... et les effets émis au profit de M. Z... par la société ainsi que de contrôler des comptes distincts des différents clients ;

qu'à défaut de ces constatations, l'arrêt n'est pas légalement justifié au regard de l'article 1131 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, que, si la cour d'appel a dénoncé les opérations d'escompte litigieuses, c'est parce qu'elles constituaient un financement indirect à une époque où le Crédit agricole savait que la situation de la société Cheville aixoise était sans issue et qu'il ne fallait donc plus lui apporter son concours, fût-ce de façon détournée ; qu'ainsi, abstraction faite des motifs critiqués dans les deux premières branches, qui sont surabondants, l'arrêt se trouve légalement justifié ;

Attendu, en second lieu, qu'il résulte des énonciations de l'arrêt que la cour d'appel, d'une part a reproché au Crédit lyonnais, et non au Crédit agricole, d'avoir eu connaissance d'effets de complaisance et de chèques croisés, et d'autre part n'a pas repris à son compte les constatations de l'expert relatives à l'existence de chèques tirés par M. Y... en contrepartie de lettres de change tirées par M. Z... ;

que le moyen manque, en ses deux dernière branches, par les faits qui lui servent de fondement ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi n X/93-18.700 :

Attendu que le Crédit lyonnais fait grief à l'arrêt d'avoir statué comme il a fait aux motifs "que la société Cheville aixoise, pour masquer son déficit croissant et retarder le dépôt de bilan, a recouru à des tirages de chèques croisés et d'effets de complaisance ;

que le Crédit lyonnais ne peut prouver l'absence d'effets de complaisance dans ses comptes au seul motif qu'il a été réglé par les éleveurs tirés lors de la déconfiture de la "Cheville aixoise" et qu'il a été jugé porteur de bonne foi vis-à -vis des rares qui ont résisté, chacun sachant qu'un tiré de complaisance ne résiste pas au paiement, risquant, à défaut de cause, une condamnation pour complicité d'escroquerie, et qu'il le fait d'autant moins que, peu avant sa déconfiture, le tireur qu'il a aidé, lui a livré des bêtes qui vont l'indemniser du prix qu'il doit supporter en réglant le banquier, ainsi qu'il ressort encore de l'expertise et des pièces de procédure pénale versées aux débats", alors, selon le pourvoi, qu'en retenant ainsi, par des motifs, d'ordre général et non par une appréciation concrète qu'il avait pu avoir connaissance de ces prétendus effets de complaisance, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du Code civil, ensemble des articles 1134 et 1131 du même Code ;

Mais attendu que la cour d'appel a jugé insuffisant un élément de preuve avancé par le Crédit lyonnais à l'appui de sa prétention relative à l'absence d'effets de complaisance dans ses comptes, qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision ;

que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen, pris en ses deux branches du pourvoi n X/93-18.700 :

Attendu que le Crédit lyonnais reproche encore à l'arrêt d'avoir statué comme il a fait, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'il faisait observer dans ses conclusions d'appel que les livres journaux d'achats et de vente de la société Cheville aixoise révélaient qu'au 1er novembre 1977, à la veille du dépôt de bilan, de nombreuses bêtes faisaient encore l'objet de transactions ;

qu'en refusant de tenir compte de cet élément déterminant, qualifié à tort d'argument de détail, la cour d'appel a privé sa décision de motif et n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

et alors, d'autre part, qu'examinant les bilans des exercices 1974, 1975 et 1976, l'expert judiciaire n'avait pu que relever à la page 163 de son rapport, que le "Crédit lyonnais a été dupé" ;

qu'en se bornant à faire référence aux pages 139 à 180 dudit rapport d'expertise, dont les constatations demeuraient ambiguës, pour fixer à la date du 30 juin 1975 la connaissance acquise par lui de la situation exacte de la société Cheville aixoise, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre le Crédit lyonnais dans le détail d'une argumentation qui ne constituait pas un moyen, a justifié légalement sa décision en ne retenant, dans les éléments de fait recueillis par l'expert, que ceux qu'elle jugeait suffisamment probants eu égard à la faute imputée au Crédit lyonnais ;

que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le troisième du pourvoi n Y/93-16.217, et sur le quatrième moyen du pourvoi n X/93-18.700, pris en leur unique branche, et réunis :

Attendu que le Crédit agricole et le Crédit lyonnais reprochent en outre à l'arrêt d'avoir statué comme il a fait, alors, selon les pourvois, qu'il appartient aux juges du fond de caractériser l'existence du lien de causalité entre la faute de l'établissement de crédit et le préjudice éprouvé par la masse ;

qu'en se bornant à dire que s'ils avaient cessé leurs concours, les entreprises du groupe Y... auraient déposé leur bilan, sans préciser le montant des crédits octroyés par eux au regard de l'accroissement du passif, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que, dès lors qu'elle avait constaté que la situation de la société Cheville aixoise était irrémédiablement compromise, et relevé que les deux banques connaissaient cette situation, la cour d'appel a justifié sa décision, en retenant que le seul maintien des concours bancaires avait contribué à causer le dommage, sans avoir à préciser le montant de ces concours ;

que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le quatrième moyen du pourvoi n Y/93-16.217, ainsi que sur le cinquième moyen du pourvoi n X/93-18.700, pris en leurs deux branches, et réunis :

Attendu que le Crédit agricole et le Crédit lyonnais reprochent enfin à l'arrêt d'avoir rejeté leurs prétentions tendant à ce que soit prononcé un partage de responsabilité en raison des fautes commises par le syndic, alors, selon les pourvois, d'une part, que l'appauvrissement de l'actif résultant de ce que la société Cheville aixoise, prise comme tireur d'effets de complaisance, a fourni à l'échéance aux éleveurs tirés les sommes correspondant aux effets de commerce sans cause entraîne un préjudice pour la masse des créanciers dont le syndic peut obtenir réparation par la voie civile ;

qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;

et alors, d'autre part, qu'il appartient au syndic de poursuivre le retour à la masse de tous les éléments qui auraient pu en être détournés en sorte que son inaction est fautive ;

qu'en statuant comme elle l'a fait, après avoir relevé que des détournements de troupeaux avaient eu lieu, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que, pour ne pas réduire le montant de l'indemnité mise à la charge des banques, l'arrêt retient que, ni la remise des bêtes aux acheteurs, ni l'émission et l'escompte d'effets de complaisance, n'ont eu pour conséquence d'accroître le montant des productions au passif de la liquidation de biens et donc d'aggraver celui-ci ;

qu'ainsi la cour d'appel a pu statuer comme elle l'a fait ;

d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois ;

Condamne le Crédit agricole et le Crédit lyonnais aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;

REJETTE la demande du Crédit agricole présentée sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du trois octobre mil neuf cent quatre-vingt-quinze.

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