Cour de Cassation, Chambre commerciale, du 22 novembre 1994, 92-18.010, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par la Banque du Phénix, dont le siège est ... (8e), représentée par ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège se trouvant aux droits du Crédit chimique, dont le siège est ... (8e), lui-même venant aux droits de la Banque privée pour l'industrie et le commerce (BPIC), en cassation d'un arrêt rendu le 10 juin 1992 par la cour d'appel de Paris (3e chambre, section B), au profit :

1 / de M. X..., syndic judiciaire, demeurant ... (1er), agissant en qualité de syndic à la liquidation des biens des sociétés Superexo, Asia Center et Sicopa,

2 / de la société Crédit du Nord, société anonyme dont le siège est ... (Nord), et le siège central ... (9e),

3 / de la Banque populaire BICS, dont le siège est ... (Hauts-de-Seine),

4 / de la Banque Hervet, société anonyme dont le siège est ... (6e), prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège et dont le siège social est 1, place de la Préfecture, Bourges (Cher),

5 / de la Hongkong and Shangai banking corporation, dont le siège est 1, Quenn's road central Hong Kong, rfeprésentée par ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social ... (2e), et dans les locaux de la Midland bank, ... (16e),

6 / de la société Denis frères, dont le siège est ... (8e),

7 / de la société Loisel et compagnie, dont le siège est ... (Seine-Maritime),

8 / de la Compagnie générale de banque Citibank, dont le siège est 97, boulevard pereire, Paris (17e), défendeurs à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 4 octobre 1994, où étaient présents :

M. Bézard, président, M. Tricot, conseiller rapporteur, Mme Pasturel, conseiller, M. Raynaud, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. le conseiller Tricot, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la Banque du Phénix, de Me Spiniosi, avocat de M. X..., ès qualités, de la SCP Delaporte et Briard, avocat de la Hongkong and Shangai banking corporation, de Me Pradon, avocat de la Compagnie générale de banque Citibank, les conclusions de M. Raynaud, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l'arrêt déféré (Paris, 10 juin 1992), que les stocks de la société Superexo ayant été détruits lors d'un incendie, au début de septembre 1982, la compagnie d'assurance a pris l'engagement de régler, à la fin de décembre 1982, une indemnité de 10 424 401,24 francs ; que, le 1er octobre 1982, la société Superexo a consenti à la Banque privée pour l'industrie et le commerce, aux droits de laquelle se trouve actuellement la Banque du Phénix (la banque), une délégation portant sur la créance d'indemnité d'assurance ; que la banque a reçu et conservé, à ce titre, de la compagnie d'assurance, le 31 décembre 1982, la somme de 3 834 815,64 francs ; que, par jugement du 18 mai 1983, la société Superexo a été mise en règlement judiciaire, la date de cessation des paiements étant fixée au 25 avril 1983 ; qu'ultérieurement, le tribunal a converti le règlement judiciaire en liquidation des biens, fixé la date de cessation des paiements au 1er septembre 1982 et étendu la procédure aux sociétés Sicopa et Asia-Center ; que le syndic des trois sociétés a assigné la banque pour faire déclarer inopposable le paiement reçu le 31 décembre 1982 de la compagnie d'assurance et obtenir le remboursement de cette somme ; que la cour d'appel a accueilli ces demandes ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses trois branches :

Attendu que la banque reproche à l'arrêt de l'avoir condamnée à verser au syndic de la société Superexo la somme de 1 175 536,63 francs, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en période suspecte, la compensation conventionnelle est possible lorsque les dettes réciproques sont nées d'un même contrat ; qu'en l'espèce, la société Superexo a consenti une délégation de créance à la Banque privée pour l'industrie et le commerce en contrepartie du crédit accordé par cette dernière ; que pour les parties, l'opération réalisée constituait un ensemble unique ; qu'en analysant la délégation de créance séparément de l'opération de crédit et en la déclarant inopposable à la masse des créanciers, la cour d'appel a violé les articles 1134 du Code civil et 29 de la loi du 13 juillet 1967 ;

alors, d'autre part, qu'en tout état de cause, les effets de commerce acceptés à l'escompte ne sont payables qu'à leur échéance ;

qu'en considérant que des effets acceptés par la banque à l'escompte antérieurement à la date de cessation des paiements de la société Superexo constitueraient des dettes de cette société, échues antérieurement à la cessation des paiements, la cour d'appel a violé les articles 116 et suivants du Code de commerce ; et alors, enfin, qu'en déclarant que la délégation de créance du 1er octobre 1982 était inopposable à la masse des créanciers de la société Superexo sur le seul fondement erroné en fait qu'elle aurait permis le paiement des dettes échues antérieurement à la date de cessation des paiements de ladite société, la cour d'appel a violé l'article 29, alinéa 2, 4 , de la loi du 13 juillet 1967 ;

Mais attendu, en premier lieu, que selon l'article 1289 du Code civil, la compensation suppose que deux personnes se trouvent débitrices l'une envers l'autre ;

que tel n'est pas le cas en présence d'une créance de la banque envers la société Superexo et d'une dette d'un tiers ;

Attendu, en second lieu, que l'arrêt constate que la somme de 1 175 536,63 francs reçue par la banque le 31 décembre 1982 a permis de résorber le découvert de Superexo qui s'élevait au 1er septembre 1982 à 152 743,28 francs et de rembourser la banque d'effets revenus impayés qu'elle avait acceptés à l'escompte avant le 1er septembre 1982 pour un montant total de 1 023 793,35 francs ; qu'il en déduit exactement que la délégation de créance consentie par la société Superexo après la cessation des paiements est inopposable de plein droit à la masse des créanciers, en application de l'article 29, alinéa 2, 4 , de la loi du 13 juillet 1967, dès lors que le versement effectué le 31 décembre 1982, en vertu de cette délégation, a permis le paiement de dettes alors échues en raison du défaut de paiement à leur échéance des effets précédemment escomptés par la banque ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le troisième moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que la banque reproche encore à l'arrêt de l'avoir condamnée à verser au syndic de la société Superexo la somme de 2 659 279,01 francs à titre de dommages-intérêts, alors, selon le pourvoi, d'une part, que le fait pour une banque de consentir un crédit-relais en contrepartie de la délégation d'une créance certaine, liquide et exigible à bref délai, ne constitue pas une faute susceptible d'engager sa responsabilité, peu important qu'une partie des sommes reçues en exécution de la délégation ait permis de payer des dettes antérieures à la cessation des paiements ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; et alors, d'autre part, que l'octroi d'un crédit par une banque à une société commerciale en état de cessation des paiements n'est fautif que si le banquier connaissait ou aurait dû connaître le caractère irréversible de la situation du crédité ; qu'en n'expliquant pas comment en octroyant un crédit à la société Superexo garanti par la délégation d'une créance de cette dernière de 10 424 401,24 francs, la banque pouvait connaître la situation irrémédiablement compromise de cette société, peu important, au vu du montant de la créance déléguée, que ce crédit ait permis de couvrir des contre-passations d'effets impayés pour 1 105 831,59 francs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que l'arrêt constate que les crédits importants et hasardeux accordés par la banque dans des conditions ruineuses ont permis à la société Superexo de maintenir une activité qui était pourtant sans issue ; qu'il relève que la banque n'ignorait pas la situation définitivement compromise de la société Superexo, puisqu'elle a reconnu qu'une partie des fonds provenant de la délégation de créance avait servi à couvrir des contre-passations d'effets impayés pour un montant total de 1 105 831,59 francs ;

qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu décider que la banque avait commis des fautes engageant sa responsabilité ; d'ou il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur la quatrième moyen, pris en ses trois branches :

Attendu que la banque reproche enfin à l'arrêt de l'avoir condamnée à verser au syndic de la société Superexo les intérêts sur la somme de 1 175 536,63 francs à compter du 1er janvier 1983, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en cas d'inopposabilité d'un acte à la masse sur le fondement de l'article 29 de la loi du 13 juillet 1967, les intérêts dus éventuellement sur les sommes dont le rapport est ordonné à raison de cette inopposabilité, ne peuvent être calculés à compter de l'acte initial ; que l'arrêt a ainsi violé les articles 29 de la loi du 13 juillet 1967 et 1153 du Code civil ; alors, d'autre part, que la cour d'appel ne caractérise pas la prétendue connaissance par la banque de l'état de cessation des paiements au jour de l'acte critiqué, connaissance qui ne peut résulter de la seule affirmation que les paiements seraient opérés au préjudice d'une masse de créanciers n'existant pas encore à cette date ; que l'arrêt se trouve ainsi privé de base légale au regard des textes précités et alors, enfin, que dès lors que la banque est condamnée par ailleurs à une indemnité distincte pour prétendu concours abusif apporté à l'entreprise, elle ne pouvait, en sus, être condamnée à un supplément d'intérêts, sur le montant de la somme rapportée, supplément qui aboutit ainsi à une double réparation du même préjudice, en violation de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu, d'une part, qu'en vertu de l'article 1378 du Code civil, s'il y a eu mauvaise foi de la part de celui qui a reçu, il est tenu de restituer tant le capital que les intérêts ou les fruits, du jour du paiement ; qu'ayant relevé que la banque savait, au jour du paiement dont elle profitait, que celui-ci était opéré au préjudice de la masse des créanciers qui serait ultérieurement constituée, c'est à bon droit que la cour d'appel a ordonné que les sommes reçues en paiement de créances échues d'un montant de 1 175 356,63 francs seraient majorées des intérêts au taux légal à compter du 1er janvier 1983, lendemain du jour du paiement ;

Attendu, d'autre part, que l'arrêt retient qu'en acceptant d'intervenir dans le financement de Superexo, et en lui accordant des facilités dans l'attente du versement de l'indemnité d'assurance normalement destinée au paiement des créances existant à l'époque, la banque a abusivement fourni un crédit relais qui a maintenu en activité une entreprise en cessation des paiements ; qu'ayant ainsi caractérisé la faute de la banque lors de la délégation de créance, la cour d'appel a fait ressortir que la banque était de mauvaise foi lorsqu'elle a reçu ultérieurement le paiement ;

Attendu, enfin, que la cour d'appel a condamné la banque à rembourser la totalité de la somme reçue en vertu de la délégation de créance en distinguant, d'un côté, la fraction ayant servi au paiement des dettes échues et, d'un autre côté, celle utilisée en contrepartie du soutien abusivement consenti à la société Superexo ;

D'où il suit que le moyen, qui manque en fait en sa troisième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier moyen auquel la Banque du Phénix a déclaré renoncer :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la Banque du Phénix à payer à M. X..., ès qualités, la somme de dix-mille francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

La condamne également, envers les défendeurs, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du vingt-deux novembre mil neuf cent quatre-vingt-quatorze.

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