Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 20 juin 2006, 05-87.415, Publié au bulletin
Cour de cassation - Chambre criminelle
- N° de pourvoi : 05-87.415
- Publié au bulletin
- Solution : Cassation
Audience publique du mardi 20 juin 2006
Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 2005-11-30, du 30 novembre 2005- Président
- M. Cotte
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt juin deux mille six, a rendu l'arrêt suivant : Sur le rapport de M. le conseiller référendaire VALAT, les observations de Me CAPRON, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général COMMARET ; Statuant sur le pourvoi formé par : - X... Jean-Claude, contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11e chambre, en date du 30 novembre 2005, qui, dans la procédure suivie contre lui du chef de diffamation publique envers un particulier, a prononcé sur les intérêts civils ; Vu le mémoire produit ; Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 10 à 13 de la loi des 16-24 août 1790, du décret du 16 fructidor an III, du principe de la séparation des pouvoirs, des articles 29, 32 et 48 de la loi du 29 juillet 1881 et des articles 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale ; "en ce que la cour d'appel de Paris s'est déclarée compétente pour statuer sur les demandes de l'association Bouge qui bouge, a déclaré recevable l'association Bouge qui bouge en sa plainte et en sa constitution de partie civile, a dit que Jean-Claude X... a commis une faute sur le fondement du délit de complicité de diffamation publique ouvrant droit à réparation pour l'association Bouge qui bouge et a condamné Jean-Claude X... à payer à cette association la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts ; "aux motifs qu' "à la suite de plusieurs troubles à l'ordre public, la ville de Dammarie-Les-Lys adressait à la presse, le 27 juin 2002, un communiqué de 43 lignes, visé et approuvé par le maire de la commune, Jean-Claude X... ; une copie du communiqué était adressée à l'association Bouge qui bouge ; cette association de quartier de Dammarie-Les-Lys s'estimait diffamée par le passage suivant : "comment accepter que ce même samedi la fête du quartier de la plaine du Lys organisée par le Logement français, le Raid aventure, des associations locales et la ville n'ait pu se dérouler normalement à cause de la pression des représentants du MIB et de l'association Bouge qui bouge dont des individus en ont profité pour dérober du matériel de sonorisation appartenant à la mairie ? " ; le 18 septembre 2002, l'association Bouge qui bouge déposait plainte avec constitution de partie civile pour diffamation publique envers particulier ; ( ) que Jean-Claude X... conteste la recevabilité de la constitution de partie civile au motif de l'absence de préjudice personnel et direct subi par l'association ; que les termes mêmes du communiqué litigieux "à cause de la pression des représentants du MIB et de l'association Bouge qui bouge dont des individus en ont profité pour dérober du matériel de sonorisation appartenant à la mairie ?" démontrent que l'association Bouge qui bouge était personnellement et directement mise en cause, ce qui lui permet d'invoquer un préjudice, en relation directe avec l'infraction poursuivie ; que la recevabilité de la constitution de partie civile de l'association sera donc confirmée ; que Jean-Claude X... n'a pas offert de rapporter la preuve des faits diffamatoires ; qu'il a reconnu devant le juge d'instruction avoir visé le communiqué après rédaction par ces services et avoir donné son autorisation pour qu'il soit diffusé à la presse ; que l'envoi de ce communiqué à différentes agences de presse caractérise la publicité ; que le communiqué dénonce clairement les pressions du MIB et de l'association Bouge qui bouge, affirmant par l'utilisation du terme "dont" que des individus, membres de celle-ci, ont dérobé du matériel de sonorisation appartenant à la mairie ; qu'il impute ainsi à l'association d'accueillir en son sein, sans faire preuve d'une vigilance suffisante, des individus commettant des délits, imputation renforcée par le fait que d'autres passages du communiqué laissent entendre que les représentants de l'association provoquent ses militants à commettre des actes répréhensibles ; que cette imputation porte bien atteinte à l'honneur et à la considération de la partie civile ; qu'il ne résulte pas des pièces de la procédure que Jean-Claude X... soit éditeur du communiqué litigieux, au sens de la loi du 29 juillet 1881 modifiée ; qu'en revanche, par son action personnelle qui a consisté, ainsi que rappelé supra, à viser le communiqué et à donner son autorisation pour qu'il soit transmis à l'extérieur, il s'est rendu complice d'une diffamation publique envers un particulier ; que Jean-Claude X... excipe de sa bonne foi en soutenant que les quatre conditions habituellement exigées, la légitimité du but poursuivi, l'absence d'animosité personnelle, le sérieux de l'enquête et la prudence dans l'expression, sont réunies ; que si la légitimité du but poursuivi, à savoir l'information des habitants de la commune sur des événements survenus dans la ville, et l'absence d'animosité personnelle ne sont pas contestables, Jean-Pierre X... ne produit aucune pièce permettant de démontrer le sérieux de l'enquête et de nature à justifier le caractère péremptoire de l'imputation de vol ; que la prudence dans l'expression fait donc défaut ; que, dès lors, le fait justificatif de bonne foi ne peut être retenu et que la décision des premiers juges sera donc réformée ; que la cour dispose des éléments d'appréciation pour fixer à la somme de 1 000 euros le montant des dommages-intérêts qui seront alloués à l'association Bouge qui bouge" (cf. arrêt attaqué, pages 3 à 6) ; "alors que, de première part, les tribunaux répressifs de l'ordre judiciaire sont incompétents pour statuer sur la responsabilité civile d'une administration ou d'un service public en raison d'un fait dommageable commis par l'un de leurs agents ; que l'agent d'un service public n'est personnellement responsable des conséquences dommageables de l'acte délictueux qu'il a commis que si celui-ci constitue une faute détachable de ses fonctions ; qu'en se reconnaissant, dès lors, compétente pour statuer sur la responsabilité civile de Jean-Claude X... à raison de faits accomplis dans l'exercice de ses fonctions de maire de la commune de Dammarie-Les-Lys, sans rechercher, comme elle y était tenue même d'office, si la faute reprochée à Jean-Claude X... présentait le caractère d'une faute personnelle détachable de sa fonction de maire, la cour d'appel a violé les textes susvisés et le principe rappelé ci-dessus ; "alors que, de deuxième part, l'action civile en réparation du dommage causé par une infraction pénale n'appartient qu'à ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par cette infraction, de sorte qu'une association n'est pas recevable à se constituer partie civile devant une juridiction répressive pour obtenir la réparation d'un préjudice causé, non à elle-même, mais à ses représentants ou à ses membres ; qu'en outre, seules les personnes visées personnellement par les allégations ou imputations diffamatoires sont recevables à se constituer parties civiles devant les juridictions répressives pour obtenir la réparation du préjudice causé par des faits de diffamation ou de complicité de diffamation ; qu'en déclarant, en conséquence, recevable la constitution de partie civile de l'association Bouge qui bouge en se fondant sur les termes prétendument diffamatoires du communiqué litigieux, quand le passage incriminé de ce communiqué ne visait que les "représentants" de cette association et des "individus" membres de cette même association, ce dont il résultait qu'à le supposer établi, le préjudice causé par les faits reprochés à Jean-Claude X... aurait été causé, non à l'association Bouge qui bouge elle-même, mais à chacun de ses représentants ou membres pris individuellement, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et violé les textes susvisés ; "alors que, de troisième part, en retenant que le passage incriminé du communiqué litigieux était diffamatoire à l'égard de l'association Bouge qui bouge, quand ce passage ne visait, non pas cette association elle-même, mais ses "représentants" et des "individus" membres de celle-ci, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; "alors qu'enfin, et en tout état de cause, la cour d'appel s'est méprise sur le sens et la portée du passage incriminé et en a dénaturé les termes clairs et précis, en considérant qu'il imputait à l'association Bouge qui bouge d'accueillir en son sein, sans faire preuve d'une vigilance suffisante, des individus commettant des délits dès lors que ni ce passage ni les autres termes du communiqué litigieux n'imputaient à l'association Bouge qui bouge de ne pas faire preuve d'une vigilance suffisante à l'égard de ses membres" ; Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches ; Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué et l'examen des pièces de la procédure mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs exempts d'insuffisance comme de contradiction, et répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a exactement apprécié le sens et la portée des propos incriminés et a, à bon droit, retenu qu'ils comportaient des imputations diffamatoires visant l'association "Bouge qui bouge" ; D'où il suit que les griefs ne sont pas encourus ; Mais sur le moyen, pris en sa première branche ; Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ; Attendu, d'une part, que les tribunaux répressifs de l'ordre judiciaire sont incompétents pour statuer sur la responsabilité d'une administration ou d'un service public en raison d'un fait dommageable commis par l'un de leurs agents ; que, d'autre part, l'agent d'un service public n'est personnellement responsable des conséquences dommageables de l'acte délictueux qu'il a commis que si celui-ci constitue une faute détachable de ses fonctions ; Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'à la suite de troubles ayant perturbé une fête de quartier, Jean-Claude X..., maire de la commune de Dammarie-Les-Lys, a autorisé l'envoi à des agences de presse d'un communiqué mettant en cause l'association "Bouge qui bouge" ; que celle-ci l'a poursuivi du chef de diffamation publique envers un particulier devant la juridiction correctionnelle qui l'a relaxé ; que, sur le seul appel de la partie civile, l'arrêt attaqué a dit que Jean-Claude X... avait commis une faute sur le fondement du délit de complicité de diffamation publique ouvrant droit à réparation et l'a condamné à verser des dommages-intérêts à l'association "Bouge qui bouge" ; Mais attendu qu'en se reconnaissant ainsi compétente pour statuer sur la responsabilité civile du prévenu, maire ayant agi dans l'exercice de ses fonctions, sans rechercher si la faute imputée à celui-ci présentait le caractère d'une faute personnelle détachable du service, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe rappelé ci-dessus ; Qu'il n'importe que Jean-Claude X... n'ait pas opposé devant les juges du fond l'exception dont il pouvait se prévaloir, l'incompétence des juridictions étant en pareil cas d'ordre public ; D'où il suit que la cassation est encourue ; Par ces motifs, CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 30 novembre 2005, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, sur les seuls intérêts civils, RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ; ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ; Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ; Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L. 131-6, alinéa 4, du code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Valat conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ; Greffier de chambre : Mme Daudé ; En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;