Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 5 octobre 2004, 02-86.522, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le cinq octobre deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller Le CORROLLER, les observations de la société civile professionnelle THOUIN-PALAT et URTIN-PETIT, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général COMMARET ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Joseph,

- Y... Mireille, partie civile,

contre l'arrêt de la cour d'appel de VERSAILLES, 9ème chambre, en date du 4 septembre 2002, qui, pour abus de faiblesse, falsification de chèques, escroquerie, banqueroute par détournement d'actif, complicité de fraudes aux prestations sociales, et exercice illégal de la médecine, a condamné le premier à 3 ans d'emprisonnement dont 1 an avec sursis et mise à l'épreuve, aux interdictions d'exercice de la médecine et de gérer pendant 5 ans, a ordonné une mesure de publication et a prononcé sur les intérêts civils ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Sur le pourvoi de Mireille Y... :

Attendu qu'aucun moyen n'est produit ;

Sur le pourvoi de Joseph X... :

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 223-15-2 du Code pénal, 2, 3, 6 à 8, 427, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a écarté le moyen tiré de la prescription de l'action publique concernant les faits d'abus de faiblesse au préjudice de Pierre Z... et d'Arlette A... ;

"aux motifs propres que la prescription n'est acquise que lorsque les faits d'abus sont consommés et apparaissent, permettant l'exercice de l'action publique ; en l'espèce, l'abus n'a pas été consommé à la date de remise des fonds, le 20 février 1995 ; il ne pouvait apparaître comme étant consommé qu'à la date où Arlette A... saurait qu'elle ne pouvait pas être remboursée c'est à dire lors de l'encaissement du chèque de garantie postérieurement au 20 février 1995 ; l'abus de faiblesse a été consommé après qu'ait été caractérisé l'abus qui en l'espèce a été matérialisé par l'ensemble indissociable des actes de remise des fonds, établissement des garanties, chèque, assurance-vie, reconnaissances de dettes successives, disparition d'une garantie par le seul fait du garant, et disparition de la provision au moment de la mise en recouvrement du chèque post-daté et une faiblesse qui a perduré pendant la durée des faits (arrêt, pages 22 et 23) ;

"et aux motifs, adoptés des premiers juges, qu'Arlette A... a effectivement remis la somme de 450 000 francs par chèque à Joseph X... le 20 février 1995 ; la reconnaissance de dette rédigée par Arlette A... et signée par Joseph X... date également du 20 février 1995 ; cependant, Joseph X... a émis ce jour- là un chèque dit de garantie de 450 000 francs qu'il a postdaté au 20 février 1998 ; le prêt devait en effet être remboursé le 15 février 1998 ; ce chèque a été remis en banque en février 1998 et a été rejeté le 18 mars 1998 ; si le délit d'abus de faiblesse est un délit instantané qui a été consommé en l'espèce dès la remise de la somme de 450 000 francs le 20 février 1995, le point de départ de la prescription se situe au moment où le délit a été découvert ; or, le délit n'a pu être découvert qu'au terme du prêt, lorsque le chèque de 450 000 francs émis par Joseph X... a été rejeté le 18 mars 1998 pour défaut de provision et clôture du compte ; Arlette A... a déposé plainte quelques jours plus tard, après le rejet du chèque ; la prescription n'est donc pas acquise, la plainte ayant été déposée moins de trois ans après la découverte du délit (jugement, pages 32 et 33) ;

"alors que le délit d'abus de faiblesse constituant une infraction voisine de l'escroquerie, le point de départ de la prescription de l'action publique est fixé à la date à laquelle la victime, convaincue par les agissements du prévenu, a commis l'acte préjudiciable ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que le seul acte dont l'accomplissement aurait été déterminé par les agissements reprochés au demandeur est la remise d'une somme d'argent, le 20 février 1995, à titre de prêt ;

qu'en estimant au contraire, que l'abus ne pouvait être consommé qu'à la date à laquelle Arlette A... avait compris qu'elle ne pourrait pas être remboursée et qu'ainsi ce prétendu prêt lui était préjudiciable, pour en déduire que la prescription de l'action publique n'était pas acquise au 1er avril 1998, date du dépôt de la plainte de ladite partie civile, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;

Attendu qu'il résulte du jugement et de l'arrêt attaqué qu'Arlette A... et Pierre Z..., vivant en couple, ont fait l'avance de diverses sommes à leur médecin neurologue Joseph X..., sur la demande de celui-ci, dont celle de 450 000 francs remise par chèque d'Arlette A... le 20 février 1995, celle de 50 000 francs remise par chèque de Pierre Z... le 24 janvier 1996 puis celle de 30 000 francs par chèque tiré sur le compte d'Arlette A... et daté du 5 février 1996 et enfin celle de 5 000 francs remise en espèces par Arlette A... courant 1996 ; que Joseph X... a signé une reconnaissance de dette initiale de 450 000 francs à la date du 20 février 1995 et a émis un chèque de garantie du même montant, qu'il a postdaté au 20 février 1998 ; que la somme de 450 000 francs n'ayant pas été remboursée à cette échéance, le chèque, présenté à l'encaissement en février 1998, a été rejeté, le 18 mars, pour défaut de provision ; qu'à la suite de la plainte portée par Arlette A..., le 1er avril 1998, Joseph X... a été renvoyé devant le tribunal correctionnel du chef, notamment, d'abus de faiblesse ;

Attendu que, pour rejeter l'exception de prescription de l'action publique soulevée par le demandeur et s'appliquant au versement initial de 450 000 francs, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu'en cet état, si c'est à tort que la cour d'appel a fixé le point de départ du délai de prescription au jour où Arlette A... a été en mesure de savoir qu'elle ne pourrait pas être remboursée, l'arrêt n'encourt pas la censure dès lors que les faits procèdent d'un mode opératoire unique et que, les infractions ayant été réalisées à la suite d'une succession de versements effectués de 1995 à 1996, dont l'ensemble a gravement préjudicié à cette victime, la prescription court, pour chacune d'elles, à compter du dernier de ces versements, intervenu moins de trois ans avant le premier acte de poursuite ;

D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 223-15-2 du Code pénal, 2, 3, 6 à 8, 427, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Joseph X... coupable d'abus de faiblesse au préjudice de Pierre Z... et d'Arlette A... ;

"aux motifs qu'à la suite de son licenciement pour motif économique et du décès de son père, courant 1993, Arlette A... a fait une dépression nerveuse ; soignée par le docteur X... jusqu'en novembre 1998, des relations amicales s'étaient nouées entre les couples X... et A... / Z... ; Pierre Z... dut également avoir recours aux soins du docteur X... de septembre 1994 à février 1999 ;

Joseph X... avait acquis dans le parc de Maisons Laffitte un terrain sur lequel il faisait construire ;

les banques n'avaient pas voulu lui prêter l'ensemble des sommes qui lui étaient nécessaires ; il a d'abord emprunté 450 000 francs à Arlette A..., le 20 février 1995, convaincue par M. et Mme X..., somme remise par chèque; en garantie Arlette A... a fait signer au couple une reconnaissance de dette avec Pierre Z... assistant comme témoin et Joseph X... a remis, également en garantie, un chèque, sur la BNP, post-daté au 20/2/98 ; la reconnaissance de dette dont Joseph X... avait un exemplaire précisait que le chèque serait à remettre en banque en février 1998 ;

cette reconnaissance de dette était substituée à une précédente, établie par Joseph X... le 16/2/95 qu'Arlette A... avait estimée peu sûre ; outre la reconnaissance de dette, Joseph X... a souscrit un contrat d'assurance-vie le 23/2/95 au bénéfice d'Arlette A... à hauteur des 450 000 francs empruntés ; fin 1997, Joseph X... lui ayant fait état de son surendettement, et de non-paiement des échéances du contrat d'assurance-vie résilié depuis le 4/6/97, Arlette A... craignait de ne pas être remboursée à l'échéance ; elle s'est rendue avec son concubin chez le couple X... le 20/1l98 ; sur les conseils de son notaire, elle avait établi une reconnaissance de dettes pour le total des sommes prêtées, soit 535 000 francs ;

Joseph X... a refusé de la signer prétendant en avoir assez avec ces signatures ; Mme X... a accepté de signer le document ; le 17/3/98, Arlette A... a présenté à l'encaissement le chèque de 450 000 francs établi le 20/2/95 post-daté au 20/2/98 et un chèque BNP de 30 000 francs émis par le docteur X... le 1/02/98 ; ces deux chèques ont été rejetés le 18/3/98 pour défaut de provision et ne furent jamais honorés ;

Arlette A... a déposé plainte le 1/04/98 ; Joseph X... a affirmé qu'il n'y avait pas abus de faiblesse ; qu'il avait commencé à rembourser 10 000 francs par mois à compter du 25/01/98, ce qui était exact, mais n'a été effectif que jusqu'à juillet 1998 ; la Cour observe que ce premier remboursement suit de quelques jours la signature par Mme X... de la reconnaissance de dette et de son complément, mais de près de 7 mois la résiliation du contrat d'assurance-vie et donc la disparition d'une garantie de remboursement ; Joseph X... n'est nullement crédible dans ses moyens de défense : il aurait versé en espèces ou par chèque 5 700 francs par mois, et sans reçu, mais Joseph X... ne prouve pas ses affirmations contraires aux preuves recueillies puisque les quatre exemplaires successifs des reconnaissances de dettes n'ont jamais prévu d'intérêts, et ce de façon explicite pour trois d'entre elles ; un homme si attaché à ses intérêts financiers n'aurait pas manqué de mentionner ou de faire mentionner l'existence d'intérêts, de même qu'il n'en aurait pas versé sans exiger un reçu en contrepartie des remises ; les trois chèques de 5 700 francs retrouvés, émis en 1997 sur le compte de Joseph X... à l'ordre d'Arlette A... le furent pour la dépanner financièrement, thèse crédible puisque Joseph X... avait réussi à se faire remettre la totalité des rentrées financières exceptionnelles d'Arlette A... ;

quant aux autres chèques de 5 700 francs, il a été établi qu'ils avaient été émis en 1995 au profit de la maîtresse de Joseph X... ; les reconnaissances de dettes et les chèques auraient été falsifiés par le couple A... Z... pour faciliter le remboursement ; cependant les expertises graphologiques concluaient que Joseph X... était l'auteur probable de sa signature et des surcharges dénoncées ; sur la faiblesse, l'expertise médico-psychologique d'Arlette A... a mis en évidence une personnalité dépendante, vulnérable, suggestible et immature, fragilisée par une dépression nerveuse chronique, ce que le médecin traitant n'ignorait pas, pour la recevoir deux à trois fois par semaine ; elle a fait un transfert massif sur le docteur X... ; celui-ci, s'il l'a correctement traitée, n'en est pas moins sorti de son rôle de thérapeute en proposant l'amitié, l'attachement à la famille par une qualité de marraine du fils dernier né, par les demandes de prêts ; cette transgression de son rôle de thérapeute ne pouvait qu'avoir un but utilitaire ; les experts ont donc valablement conclu que ceci a contribué à renforcer le transfert massif et la relation de dépendance chez Arlette A... qui était, à ce moment là particulièrement vulnérable,- s'agissant de Pierre Z..., que le docteur X... traitait pour des migraines, les experts ont relevé sa naïveté, sa crédulité ; sa fascination pour le médecin qui l'honorait de son amitié, ne pouvait qu'inciter cet homme, depuis plus de vingt ans attaché au bien être de sa compagne devenue dépressive chronique, à ne pas résister aux sollicitations du médecin traitant, d'autant que celui-ci a endormi toute éventuelle méfiance du couple en demandant un premier prêt qu'il a remboursé dans les semaines suivantes ; selon les experts, cet homme simple a également fait un transfert massif sur le docteur X..., que celui-ci n'ignorait pas (arrêt, pages 19 à 22) ;

"alors 1 ) qu'en matière d'abus de faiblesse, il appartient aux juges du fond de déterminer la nature et la teneur de l'acte gravement préjudiciable à la partie civile ; que, dès lors, en déclarant le demandeur coupable de ce délit, sans indiquer précisément en quoi aurait consisté l'acte préjudiciable au couple A... Z..., ni en quoi cet acte aurait été provoqué par des agissements imputables audit prévenu, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des textes susvisés ;

"alors 2 ) que l'abus frauduleux suppose un mensonge de nature à conduire la personne vulnérable à accomplir un acte qui lui soit gravement préjudiciable ; qu'en se bornant à énoncer que Joseph X... avait connaissance de l'état de faiblesse des parties civiles, sans préciser en quoi, pour inciter les parties civiles à accomplir certains actes préjudiciables, il leur aurait menti, la cour d'appel a derechef privé sa décision de toute base légale au regard des textes susvisés" ;

Attendu que, pour déclarer Joseph X... coupable d'abus frauduleux de la situation de faiblesse d'Ariette A... et de Pierre Z..., l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que le couple formé par ces deux victimes avait opéré sur ce médecin un "transfert massif" en relation avec un état de santé ayant nécessité plusieurs années de soins, et que le praticien, qui connaissait la vulnérabilité de ses patients, a admis avoir obtenu d'eux, en endormant leur méfiance et en leur dissimulant sa situation d'insolvabilité, le prêt de diverses sommes, dont celle de 450 000 francs, par Arlette A..., sans intérêts, qui provenaient d'une indemnité de licenciement et d'un héritage dont lui-même avait appris l'existence lors d'une consultation ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, qui font apparaître la situation de dépendance des victimes, dont le prévenu a profité pour obtenir le prêt de sommes, qui n'ont été que partiellement remboursées, la cour d'appel a caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit prévu par l'article 313-4, devenu l'article 223-15-2 du Code pénal ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 67, 67-2 et 68 du décret-loi du 30 octobre 1935 modifié, 441-1 du Code pénal ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Joseph X... coupable de falsification de chèques tirés sur le compte du restaurant l'Etrier et usage pour les seuls chèques de salaires ;

"aux motifs qu'au cours de l'exploitation du restaurant l'Etrier, entre septembre 1997 et novembre 1998, Joseph X..., quoique non titulaire de la signature sur le compte bancaire de la société, qui revenait à la seule gérante, Melle B..., ou à Melle C... qui bénéficiait d'une procuration, a signé des chèques aux lieu et place de ces deux personnes, notamment des chèques de paiement de salaires ; à partir du 26/8/98, Mme X... a eu une procuration sur le compte BPROP ; ainsi, Melle D..., salariée sans contrat de travail, a été payée de juillet à octobre 1998 par des chèques tirés sur la BPROP faussement signés B... par Joseph X..., dont le chèque du 25/8/98 d'un montant de 6 000 francs ;

Joseph X... n'a pas contesté la réalité de cette pratique et a prétendu qu'elle avait été adoptée en accord avec sa belle-fille ; celle-ci avait déclaré avoir eu des soupçons sur cette pratique ; ne constitue pas un élément constructif du délit le fait qu'il y ait ou non une opposition pour vol ou signature non conforme ; il est nécessaire qu'il y ait eu un préjudice qui existe en son principe dès lors qu'il suffisait que la banque détecte les fausses signatures pour ne pas payer les chèques émis par Joseph X... ;

en outre, l'émission par Joseph X... de chèques par commodité ne s'explique pas puisque la secrétaire et maîtresse du médecin était disponible pour assumer cette obligation ; Joseph X..., en apposant une signature de la responsable ou de la bénéficiaire d'une procuration, a commis le délit reproché, en toute connaissance de cause (arrêt, page 28) ;

"alors que l'apposition d'une fausse signature sur un acte, lorsqu'elle est commise avec l'autorisation, même tacite, de la personne dont on a imité la signature n'emporte aucun préjudice et, dès lors, n'est pas punissable ; qu'en estimant au contraire que l'opposition pour vol ou signature non conforme ne figurait pas au nombre des éléments constitutifs de l'infraction de faux et que le préjudice résultait en l'espèce de la possibilité qu'avait la banque, détectant les fausses signatures apposées sur les chèques litigieux, d'en refuser le paiement, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;

Attendu que, contrairement à ce qui est allégué, l'arrêt n'énonce pas que l'apposition de la fausse signature sur le chèque litigieux serait intervenue avec l'autorisation de la personne dont la signature a été imitée ;

D'où il suit que le moyen manque en fait ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, M. Le Corroller conseiller rapporteur, MM. Farge, Blondet, Palisse, Castagnède, Mme Guirimand conseillers de la chambre, Mmes Agostini, Gailly, M. Chaumont, Mmes Guihal, Degorce conseillers référendaires ;

Avocat général : Mme Commaret ;

Greffier de chambre : Mme Krawiec ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

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