Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 13 décembre 1995, 93-85.256, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

REJET des pourvois formés par :

- X... Colette,

- Y... Roger,

- Z... Hubert,

contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 13e chambre, du 3 novembre 1993, qui, pour contrefaçon, les a chacun condamnés à 30 000 francs d'amende et a statué sur les intérêts civils.

LA COUR,

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits ;

Sur le premier moyen de cassation proposé pour Colette X..., pris de la violation des articles L. 121-1, L. 121-2, L. 121-3, L. 335-7 du Code de la propriété intellectuelle, 1382 du Code civil, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt partiellement infirmatif attaqué a déclaré Colette X... coupable, en même temps que plusieurs autres, du chef de la diffusion d'oeuvres graphiques au mépris des droits de l'auteur, la condamnant au paiement d'une peine d'amende de 30 000 francs, et sur l'action civile, condamné celle-ci solidairement avec Roger Y... et Hubert Z... au paiement d'une somme de 1 franc à titre de dommages-intérêts au profit de M. A..., outre la publication de la décision et la confiscation des tableaux saisis ;

" aux motifs adoptés que la divulgation, qui a pour effet d'arracher au secret et de livrer au public l'oeuvre d'un auteur, ne peut être décidée que par celui-ci ou, après son décès, par ses héritiers ou les personnes désignées par lui ; que la violation de ce droit moral de diffusion reconnu à l'auteur caractérise l'infraction assimilée à la contrefaçon d'ouvrages ; qu'en l'espèce, l'abandon de ces toiles dans une cave par le peintre qui les avait découpées et roulées, est révélateur de son intention de ne pas les commercialiser, intention constamment réaffirmée en 1982 et ensuite, estimant qu'il s'agissait d'oeuvres inachevées, imparfaites, et au surplus retouchées et repiquées par des tiers ;

" et, aux motifs propres, que Colette X... ne peut faire plaider valablement sa bonne foi et l'absence de tout élément intentionnel dans la mesure où elle a volontairement négocié des toiles, après avoir été informée par le syndic de l'immeuble, puis par Roger Y..., puis par le peintre lui-même de son refus de voir vendre ses toiles ;

" alors, d'une part, que le droit de divulgation consiste dans le fait de publier l'oeuvre, c'est-à-dire de la communiquer au public sous une forme déterminée ; que, dès lors, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'existence d'une publication faite sans le consentement de l'auteur en se bornant à relever à l'encontre de Colette X... de simples faits de cession des oeuvres acquises de bonne foi en l'absence de tout élément déterminant d'une communication quelconque auprès du public ;

" alors, d'autre part, que l'arrêt attaqué, constatant que M. A..., auteur des tableaux litigieux, s'était lui-même livré, selon les énonciations de l'ordonnance de renvoi, à un abandon volontaire de ses toiles, n'a pu retenir à son profit une intention ferme du refus de toute commercialisation ou cession ; que l'abandon ainsi constaté des oeuvres impliquait au moins la levée du secret sur celles-ci en faveur de l'inventeur, et donc l'accomplissement par le peintre d'un acte de divulgation, dans les termes de la définition posée par l'arrêt attaqué, de sorte que la cour d'appel ne pouvait à la fois condamner la demanderesse pour atteinte au droit moral de divulgation de l'auteur et s'abstenir de tout examen du chef péremptoire des conclusions de celle-ci invoquant les conditions d'exercice par le peintre de son droit de repentir " ;

Sur le premier moyen de cassation proposé pour Roger Y..., pris de la violation des articles 425 et 426 du Code pénal, 1, 2, 6, 7 et 19 de la loi du 11 mars 1957, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Roger Y... coupable de contrefaçon, pour avoir diffusé des oeuvres graphiques au mépris de la volonté de l'auteur, et l'a condamné à des sanctions pénales et civiles ;

" aux motifs notamment que Roger Y... n'a pas relevé appel des dispositions civiles du jugement signifiant ainsi son adhésion à la condamnation prononcée ;

" alors que Roger Y... avait formé un appel général, sans exclure les dispositions civiles du jugement et qu'en se fondant sur l'absence d'appel contre les dispositions civiles, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des textes susvisés " ;

Sur le second moyen de cassation proposé pour Roger Y..., pris de la violation des articles 425 et 426 du Code pénal, 1, 2, 6, 7 et 19 de la loi du 11 mars 1957, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Roger Y... coupable de contrefaçon, pour avoir diffusé des oeuvres graphiques au mépris de la volonté de l'auteur, et l'a condamné à des sanctions pénales et civiles ;

" aux motifs que l'abandon volontaire des oeuvres par le peintre démontrait à lui seul son intention de ne pas les commercialiser, intention affirmée par la suite à Roger Y... qui en fit part à Colette X... et que celle-ci a admis ; qu'en réalité, il est établi que lors d'une transaction avec le peintre, courant 1982, au cours de laquelle il lui restituait au moins 5 oeuvres, Roger Y... était informé par M. A... qu'il s'opposait à la divulgation des toiles abandonnées dans la cave de Neuilly ; que d'ailleurs à l'audience des premiers juges, Roger Y... a reconnu que " M. A..., à l'issue de cette transaction, l'avait autorisé à vendre un seul tableau authentifié par lui, lui interdisant d'en vendre d'autres " ; que cependant, malgré cette interdiction, il commercialisa des toiles en les revendant ; que dès lors, Roger Y..., en commercialisant ces oeuvres, a participé à leur divulgation malgré le refus de leur auteur, et au mépris des droits d'auteur de celui-ci ;

" alors que, premièrement, la violation du droit d'auteur n'est pénalement réprimée, comme constitutive d'un délit assimilé à la contrefaçon, que si elle prend la forme d'une reproduction, d'une représentation ou d'une diffusion de l'oeuvre : que la diffusion suppose une action visant à répandre l'oeuvre dans le public pour le lui faire connaître ; qu'à défaut de circonstances caractérisant une telle action, le seul fait de vendre une oeuvre à un tiers ne saurait caractériser la diffusion ; d'où il suit que l'arrêt attaqué est privé de base légale au regard des textes susvisés ;

" et alors que, deuxièmement, si la vente d'oeuvres contrefaites est réprimée, il n'a pas été constaté, au cas d'espèce, que les oeuvres en cause aient donné lieu à une contrefaçon, de sorte que le dispositif de l'arrêt attaqué en saurait être légalement justifié comme fondé sur l'existence d'une vente d'oeuvres contrefaites " ;

Et sur le premier moyen de cassation proposé pour Hubert Z..., pris de la violation pris de la violation des articles 425, 426 anciens du Code pénal, L. 111-1, L. 121-2, L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle, 27, 32 de la loi du 11 mars 1957, 485, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale, défaut de réponse à conclusions :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Hubert Z... coupable du délit de contrefaçon par diffusion d'oeuvres graphiques au mépris des droits de l'auteur qui s'y était opposé en mettant en vente deux toiles chez Me B... ;

" aux motifs que la Cour qui adopte l'ensemble des motifs pertinents des premiers juges constate qu'il ressort des éléments de la cause, de l'information et des débats que, contrairement à ce qui est soutenu par le prévenu, M. A... n'a jamais donné à un tiers, et en l'espèce surtout pas au prévenu, la maîtrise de la divulgation de son oeuvre ; qu'en outre, le tribunal a parfaitement analysé l'attitude de Hubert Z... vis-à-vis des toiles litigieuses ainsi que ses différents entretiens tant avec M. A... qu'avec son conseil ; qu'il résulte de l'ensemble des tractations que Hubert Z... qui a reconnu devant la Cour avoir agi en " marchand " a refusé les offres de la partie civile de l'ordre de 500 000 francs qu'il jugeait particulièrement insuffisantes voir même " dérisoires " (cote 78) ; qu'il a alors fait à l'avocat de M. A... des propositions de transaction qui sont consignées au dos des photocopies des tableaux et annexées au procès-verbal du 28 août 1990 ; qu'en réalité, il envisageait d'en tirer un bien plus important profit puisque déjà le contrat passé avec Colette X... prévoyait un prix de vente de 550 000 francs étant entendu que cette somme devait être augmentée ou diminuée en fonction du prix des ventes ; qu'en fait il a concédé qu'il avait pensé en retirer 1 million, que c'est dans cette intention qu'il décida, ainsi qu'il l'a précisé devant le juge d'instruction de choisir 4 toiles afin de les mettre en vente ; qu'il est constant que Hubert Z... n'a agi que dans un seul esprit de lucre ainsi qu'il ressort du catalogue de Me B... ; qu'en effet l'estimation des commissaires-priseurs relative à la seule toile " Elégante aux Courses " se situe entre 400 000 et 600 000 francs ; qu'il a mis en vente cette toile et ce malgré la volonté très ferme de M. A... qui, à plusieurs reprises, lui avait interdit toute transaction et alors que le conseil de la partie civile le 28 septembre 1990 lui faisait savoir que M. A... refusait toute négociation ; que Hubert Z... a d'ailleurs reconnu devant les premiers juges " qu'il s'était montré imprudent en vendant une toile " ; qu'il convient de confirmer le jugement déféré sur la culpabilité ; qu'en revanche, en ce qui concerne la sanction, la Cour estime qu'elle doit être aggravée, ainsi que précisé au dispositif, dans la mesure où Hubert Z... est un professionnel qui connaît parfaitement les textes relatifs à la diffusion d'oeuvres graphiques au mépris des droits de l'auteur et qui cependant a, en toute connaissance de cause, volontairement enfreint toutes les interdictions de la partie civile et de son conseil et qui étaient parfaitement connues de lui ;

" alors, d'une part, que ne saurait être assimilé à une diffusion au sens de l'article L. 335-3 du Code de la propriété intellectuelle (ancien article 426 du Code pénal) le fait de mettre en vente une oeuvre d'art dont l'auteur s'est volontairement dépossédé ; qu'il en allait d'autant ainsi, en l'espèce, que Hubert Z... a été relaxé du délit de reproduction d'une oeuvre graphique ; que dès lors, en statuant comme elle l'a fait par des motifs erronés fondés sur un prétendu esprit de lucre du prévenu, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;

" alors d'autre part, que la cour d'appel ne pouvait considérer le délit constitué et entrer en voie de condamnation à l'égard du prévenu, sans rechercher, comme elle y était invitée par les conclusions délaissées de Hubert Z... si, en se dépossédant volontairement de ses oeuvres, M. A... n'avait pas permis qu'un tiers en dispose, lui abandonnant ainsi la maîtrise de leur divulgation ; qu'ainsi, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

" alors enfin que la cour d'appel ne pouvait estimer le délit caractérisé sans répondre aux conclusions de Hubert Z... faisant expressément valoir qu'à partir du moment ou M. A... lui avait proposé de reprendre les oeuvres litigieuses pour la somme de 500 000 francs, ce qui n'était pas contesté par ce dernier, il y avait eu exercice du droit de repentir impliquant que l'oeuvre avait été divulguée " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué qu'en 1973, Jean-Pierre A..., artiste peintre, a quitté le logement qu'il occupait en laissant des toiles peintes par lui entreposées dans la cave de l'appartement, ôtées de leur châssis et roulées ; que Colette X..., qui lui a succédé dans les lieux, en a conservé une partie ; que quelques années plus tard, elle a remis à titre d'échange plusieurs de ces toiles à Roger Y..., antiquaire, qui les a revendues après restauration ; qu'en 1990, elle a de nouveau cédé deux toiles à un particulier, puis en a confié douze autres à Hubert Z..., antiquaire, en vue de leur commercialisation ; que ce dernier a remis deux des toiles à un commissaire-priseur pour être vendues aux enchères ;

Attendu que, sur plainte de l'artiste, Colette X..., Roger Y... et Hubert Z... sont poursuivis sur le fondement de l'article 426 du Code pénal, devenu l'article L. 335-3 du Code de la propriété intellectuelle, pour avoir procédé à la diffusion d'oeuvres artistiques au mépris des droits de l'auteur ;

Attendu que, pour les déclarer coupables de contrefaçon, l'arrêt attaqué énonce que chacun des trois prévenus a volontairement mis en vente les toiles de Jean-Pierre A... en sachant que celui-ci s'opposait à leur divulgation, les tenant pour des oeuvres de jeunesse, inachevées, imparfaites et au surplus retouchées et repiquées par des tiers ;

Attendu qu'en se prononçant ainsi, abstraction faite du motif justement critiqué par Roger Y... sur l'étendue de son appel, mais surabondant, l'arrêt attaqué n'encourt aucun des griefs allégués ;

Qu'en effet, caractérise la contrefaçon par diffusion, prévue par l'article L. 335-3 du Code de la propriété intellectuelle, la mise sur le marché de l'art d'une oeuvre originale, même abandonnée par son auteur, lorsqu'elle est faite en violation du droit moral de divulgation qu'il détient sur celle-ci en vertu de l'article L. 121-2 de ce Code ;

Que les moyens doivent, dès lors, être écartés ;

Sur le second moyen de cassation proposé pour Colette X..., pris de la violation des articles L. 335-2, L. 335-3, L. 335-6 du Code de la propriété intellectuelle, 1382 du Code civil, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué, ayant déclaré que Colette X... était, en même temps que plusieurs autres, coupable du chef de la diffusion d'oeuvres graphiques au mépris des droits de l'auteur, a ordonné la confiscation des tableaux saisis ;

" alors que la déclaration de culpabilité susvisée n'autorisait pas que fût prononcée la confiscation des tableaux litigieux, constituant des originaux confectionnés par le peintre lui-même, dès lors que la loi n'a prévu l'application d'une telle mesure que pour tout ou partie des recettes procurées par l'infraction, ainsi que celle de tous les phonogrammes, vidéogrammes, objets et exemplaires contrefaisants ou reproduits illicitement " ;

Attendu qu'en prononçant la confiscation des tableaux, objets mêmes du délit de contrefaçon, la cour d'appel n'a pas encouru le grief allégué ;

Qu'en effet, constitue un objet contrefaisant pouvant donner lieu à confiscation, au sens de l'article L. 335-6 du Code de la propriété intellectuelle, toute oeuvre de l'esprit, fût-elle authentique, dont la diffusion, faite en violation des droits de l'auteur, entre dans les prévisions de l'article L. 335-3 du même Code réprimant le délit de contrefaçon ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen de cassation proposé pour Hubert Z... pris de la violation des articles 1382 du Code civil, 2, 3, 485, 593 du Code de procédure pénale, L. 335-7 du Code de propriété intellectuelle, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a ordonné la confiscation des tableaux saisis au domicile de Hubert Z... et faisant l'objet des scellés 1 à 10, en vue de leur remise à M. A... ;

" alors que Hubert Z... ayant été poursuivi pour avoir procédé à la diffusion d'oeuvres graphiques au mépris des droits de l'auteur qui s'y était opposé en mettant en vente deux toiles chez un commissaire-priseur, ces 2 toiles constituaient le fondement et la limite de l'infraction reprochée et en excluait les autres tableaux saisis au domicile de Hubert Z... ; que dès lors, en ordonnant la confiscation des scellés 1 à 10 en vue de leur remise à M. A..., la cour d'appel a dépassé les limites de sa saisine et violé les textes visés au moyen " ;

Attendu qu'Hubert Z..., appelant des seules dispositions pénales du jugement, n'est pas recevable à contester la remise à Jean-Pierre A... de l'ensemble des tableaux saisis, préalablement confisqués en application de l'article 335-6 du Code de la propriété intellectuelle, dès lors que cette remise, devenue définitive à son égard, a été prononcée par les premiers juges à titre de réparation civile en vertu de l'article L. 335-7 de ce Code ;

Que le moyen ne saurait, dès lors, être accueilli ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.

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