Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 1er février 1994, 93-82.933, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

CASSATION sur le pourvoi formé par :

- le procureur général près la cour d'appel de Versailles,

contre l'arrêt de la chambre d'accusation de ladite cour d'appel, en date du 9 février 1993, qui, dans l'information suivie contre Khadija X... et Hanane Y... pour infractions à la législation sur les stupéfiants, a annulé l'ensemble de la procédure et ordonné la mise en liberté d'office des inculpées.

LA COUR,

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de l'article 78-2 du Code de procédure pénale, défaut de motif, manque de base légale :

" en ce que la chambre d'accusation a annulé le procès-verbal d'interpellation et toute la procédure subséquente ;

" aux motifs que la procédure de contrôle d'identité a " été détournée de son objet car, au moment de l'interpellation, les fonctionnaires de police n'ignoraient ni l'identité des deux femmes ni la circonstance qu'elles transportaient des produits stupéfiants " ;

" alors que, d'une part, en relevant que les fonctionnaires de police interviendraient dans le cadre d'une " livraison contrôlée " et savaient que les deux femmes convoyaient du haschich, la chambre d'accusation a constaté l'existence d'indices justifiant le contrôle d'identité opéré, à savoir que les deux femmes avaient commis ou tenté de commettre une infraction, ou se préparaient à commettre un délit ;

" et alors que, d'autre part, ayant énoncé que le procès-verbal établi " répond formellement aux exigences de l'article 78-2 du Code de procédure pénale, dans la mesure où ses rédacteurs ont bien fait état d'un comportement significatif des deux femmes à la vue d'un véhicule de police et constitue bien un indice, au sens de ce texte, la circonstance que la plus âgée des deux ait tenté de dissimuler à la vue des policiers le sac qu'elle portait ", la chambre d'accusation n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations " ;

Vu ledit article ;

Attendu que, selon l'article 78-2, alinéa 1er, du Code de procédure pénale, toute personne peut faire l'objet d'un contrôle d'identité dès lors qu'il existe à son égard un indice faisant présumer notamment qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction, ou qu'elle se prépare à commettre un crime ou un délit ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que des inspecteurs de police en service sur la voie publique ont interpellé Khadija X... et Hanane Y... en flagrant délit après avoir procédé à un contrôle de leur identité au cours duquel l'une d'elles avait laissé tomber de son sac une partie des produits stupéfiants qu'elle transportait ; que, dans le procès-verbal rapportant les conditions de l'arrestation des deux femmes, les enquêteurs ont justifié le contrôle d'identité par le comportement suspect de celles-ci à la vue d'un véhicule de police passant à proximité ;

Attendu que le juge d'instruction saisi de l'information ouverte contre les intéressées pour infractions à la législation sur les stupéfiants les a inculpées de ce chef et placées en détention provisoire ; qu'après avoir procédé à l'audition de plusieurs fonctionnaires de police appartenant au service à l'origine de la procédure, le magistrat a saisi la chambre d'accusation d'une requête en annulation du procès-verbal d'interpellation, en faisant valoir que le contrôle d'identité précédant celle-ci avait été effectué en méconnaissance des prescriptions de l'article 78-2, alinéa 1er, du Code de procédure pénale ;

Attendu que, pour prononcer l'annulation dudit procès-verbal ainsi que celle de tous les actes subséquents, et ordonner la mise en liberté d'office des inculpées, la chambre d'accusation retient d'abord que le document établi à l'occasion de l'intervention des policiers répond en la forme aux exigences de l'article précité, dès lors que ses rédacteurs ont bien fait état d'un comportement significatif des deux femmes à la vue d'un véhicule de police, et que constitue un indice, au sens de ce texte, le fait, relaté au procès-verbal, que l'une d'elles ait tenté de dissimuler à la vue des occupants du véhicule administratif le sac qu'elle portait ;

Que la juridiction du second degré relève ensuite que la décision de procéder au contrôle d'identité avait été prise en réalité bien avant les constatations effectuées par les auteurs de l'interpellation ; que ceux-ci ont révélé au juge d'instruction qu'ils avaient reçu de leur supérieur hiérarchique l'ordre de contrôler et, éventuellement, d'interpeller Khadija X... et Hanane Y..., soupçonnées de participer à un trafic de stupéfiants et placées de ce fait sous surveillance policière ; qu'elle ajoute que le responsable de l'opération a confirmé ces propos et indiqué que les deux femmes n'avaient pas véritablement fait l'objet d'un contrôle d'identité fondé sur une attitude laissant supposer la commission d'un délit, mais que les enquêteurs n'avaient pas voulu faire apparaître dans la procédure qu'ils tenaient leurs informations d'une tierce personne ;

Attendu que la chambre d'accusation déduit de ses constatations que la procédure prévue à l'article 78-2 du Code de procédure pénale a été détournée de son objet du fait qu'au moment de l'interpellation, les fonctionnaires de police connaissaient l'identité des personnes contrôlées et savaient qu'elles transportaient des stupéfiants ; que, dès lors, leur interpellation en flagrant délit, qui ne peut être dissociée du contrôle l'ayant précédée, est elle-même irrégulière ;

Mais attendu qu'en se déterminant de la sorte, alors qu'elle relevait un indice permettant à lui seul le contrôle d'identité effectué, et que l'existence de soupçons antérieurs à ce contrôle n'était pas de nature à y faire obstacle, la chambre d'accusation a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Versailles, en date du 9 février 1993, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi :

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris.

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