Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 23 mai 1995, 94-81.141, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

REJET des pourvois formés par :

- X... Robert,

- Y... Jean-Michel,

contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, 9e chambre, du 27 janvier 1994, qui les a condamnés, le premier, pour violation de domicile, et le second, pour complicité de ce délit, à la peine de 4 000 francs d'amende chacun, a ordonné la restitution de l'ensemble des scellés et a prononcé sur les intérêts civils.

LA COUR,

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire produit commun aux demandeurs ;

Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 2, 4, 59, 60 et 184 de l'ancien Code pénal, des articles 111-4, 121-7 et 226-4 du nouveau Code pénal, de l'article 593 du Code de procédure pénale, 7 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré X... et Y... coupables respectivement de violation de domicile et de complicité de ce délit et, sur les intérêts civils, les a condamnés à verser à la société Citroën 1 franc à titre de dommages-intérêts ;

" aux motifs que la société Citroën dispose, sur le territoire de la commune de La Ferté-Vidame, d'un centre d'essais clos par un mur d'enceinte où circulent des véhicules divers et des prototypes à l'abri de toute publicité, destinés à la création de nouveaux modèles et à l'amélioration des modèles existants ; que la défense soutient que le vaste terrain boisé de plusieurs centaines d'hectares n'est pas un domicile au sens de l'article 184 du Code pénal ; que cependant, le domicile ne désigne pas seulement le lieu où une personne a son principal établissement, mais encore le lieu où, qu'elle y habite ou non, elle a le droit de se dire chez elle, quel que soit le titre juridique de son occupation et l'affectation donnée aux locaux ; qu'au cas d'espèce, il est établi que le centre d'essais de La Ferté-Vidame est clos d'un mur d'enceinte élevé ; que le domaine est gardé en permanence par un service de sécurité qui a d'ailleurs fait preuve de sa vigilance en interpellant Robert X... ; que la société Citroën, personne morale de droit français, utilise les pistes aménagées dans le domaine pour mettre au point ou améliorer les véhicules qu'elle fabrique ; qu'elle a donc parfaitement le droit de se dire chez elle et d'interdire l'accès de ce centre à toute personne non munie d'une autorisation ;

" 1° alors que les personnes morales n'ayant pas de domicile au sens de l'article 184 de l'ancien Code pénal, la cour d'appel qui a condamné les prévenus en se bornant à constater que l'un d'eux avait pénétré sans autorisation sur un terrain appartenant à la société Citroën a violé les dispositions susvisées ;

" 2° alors que l'article 184 de l'ancien Code pénal a pour objet de protéger la demeure et non la propriété ; qu'un terrain clos ne peut être protégé par ces textes qu'autant qu'il constitue les dépendances d'une demeure c'est-à-dire d'un local susceptible de constituer une habitation, pourvu des équipements les plus élémentaires propres à caractériser le domicile et que la cour d'appel qui n'a pas constaté la présence, à l'intérieur du terrain clos, de la société Citroën dans lequel a pénétré le demandeur, d'un tel local, dont le terrain litigieux ne serait qu'une dépendance, a privé sa décision de base légale ;

" 3° alors que la cour d'appel qui n'a relevé aucune circonstance établissant que le lieu dans lequel a pénétré X... était dans la dépendance étroite et immédiate de la demeure d'un citoyen au sens de l'article 184 de l'ancien Code pénal a derechef privé sa décision de base légale ;

" 4° alors que l'article 184 de l'ancien Code pénal applicable en l'espèce incrimine l'introduction à l'aide de manoeuvres, voies de fait ou contrainte dans le domicile d'un citoyen et qu'un terrain, même clos et protégé appartenant à une personne morale n'est pas assimilable au domicile d'un citoyen " ;

Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 2, 4, 59, 60 et 184 de l'ancien Code pénal, des articles 111-4, 121-7 et 226-4 du nouveau Code pénal, de l'article 593 du Code de procédure pénale, 7 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Y... coupable de complicité de violation de domicile ;

" aux motifs qu'il est établi que Y... avait accompagné X..., en connaissance de cause, lui avait fourni des talkis-walkis destinés à maintenir la liaison entre eux et a facilité tant la prise de vue que la fuite ou la récupération de leur auteur une fois l'opération achevée ;

" alors que la complicité suppose nécessairement la participation consciente à l'infraction ; que s'il appert des motifs de l'arrêt attaqué que Y... pouvait prévoir que X... prendrait des photographies il n'est pas constaté par la cour d'appel que Y... ait prévu ou pu prévoir que X... escaladerait le mur d'enceinte et qu'il ait apporté son aide ou ait fourni les moyens de cette action préalable et distincte de la prise de photographies, fait pour lequel il a été poursuivi du chef de contrefaçon ; qu'en cet état, l'arrêt n'a pas caractérisé à l'encontre du demandeur le délit de complicité de violation de domicile " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Robert X..., photographe, et Jean-Michel Y..., journaliste, se sont rendus en voiture près du centre d'essais de la société Citroën situé dans un domaine où circulent, à l'abri d'un mur d'enceinte, les modèles de véhicules que cette société met au point ; que les deux hommes étaient munis de postes émetteurs récepteurs ; que Robert X..., après avoir enfoncé, à l'aide d'une massette des pitons dans le mur, a escaladé celui-ci, s'est introduit dans les lieux et a photographié certains véhicules ; que Robert X... et Jean-Michel Y... sont poursuivis, le premier pour violation de domicile, le second pour complicité de ce délit ;

Attendu que, pour les déclarer coupables de ces faits, les juges du fond énoncent qu'est un domicile tout lieu où une personne, qu'elle y habite ou non, a le droit de se dire chez elle quels que soient le titre juridique de son occupation et l'affectation donnée aux locaux ; qu'ils observent que " le centre d'essais... est clos " et " le domaine... gardé en permanence par un service de sécurité " ; qu'ils retiennent que la société Citroën a le droit d'interdire l'accès du centre à toute personne non autorisée ; qu'ils en déduisent que le lieu où s'est introduit Robert X..., et où la société Citroën peut se dire chez elle, est un domicile au sens de l'article 184 de l'ancien Code pénal ;

Qu'ils relèvent par ailleurs que Jean-Michel Y... a, en connaissance de cause, accompagné près du centre d'essais Robert X... avec qui il restait en relation grâce aux deux postes émetteurs récepteurs, ce qui devait faciliter les agissements de son coprévenu ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs d'où il résulte que le terrain clos où circulaient des véhicules de la société Citroën dépendait d'un centre d'essais abritant en permanence les personnes chargées de le garder, la cour d'appel, qui a estimé, à bon droit, qu'une personne morale pouvait avoir un domicile, et qui a caractérisé en tous ses éléments tant matériels qu'intentionnel la complicité de violation de domicile reprochée à Jean-Michel Y..., a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

D'où il suit que les moyens ne sauraient être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois.

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