Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 29 mai 1989, 87-82.073, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par

- X...,

- Y...,

contre l'arrêt de la cour d'appel d'Agen, chambre correctionnelle, en date du 19 mars 1987 qui, pour complicité d'escroquerie, les a condamnés, chacun, à 20 000 francs d'amende, et qui a prononcé sur les réparations civiles.

LA COUR,

Vu les mémoires produits tant en demande qu'en défense ;

Sur le premier moyen de cassation commun aux deux demandeurs et pris de la violation des articles 382 du Code de procédure pénale, 2, 384, 394 du Code de procédure civile, 485, 593 du Code de procédure pénale :

" en ce que, saisie d'une exception d'incompétence du tribunal correctionnel d'Auch (dont résultait, du reste, la prescription de l'instance), exception d'incompétence tirée de ce que les faits reprochés aux demandeurs ne s'étaient pas déroulés dans le ressort du tribunal d'Auch, mais seulement à Agen, puisqu'il leur était reproché d'avoir été complices d'une escroquerie consistant à obtenir un arrêt d'appel au préjudice de la dame Z..., la cour d'appel a rejeté cette exception ;

" aux motifs que si, du point de vue de la procédure civile, une instance d'appel peut être considérée comme distincte de l'instance devant la première juridiction, cette considération est sans conséquence en l'espèce ; que, dans la prévention, il est précisé que les faits avaient eu lieu notamment à Agen, mais, en tout cas, sur le territoire français ; que, même si les faits d'escroquerie reprochés à X... et à Y... se situent à une période postérieure au jugement d'Auch, il n'empêche qu'ils sont la suite nécessaire de faits commis à Auch, et font partie d'un ensemble qui englobe le procès devant la juridiction auscitaine, dont il n'est pas possible de les extraire, l'auteur principal, A..., étant prévenu de faits incontestablement commis à Auch ; que le tribunal correctionnel d'Auch était donc compétent à l'égard de l'auteur principal et de ses complices ;

" alors, d'une part, qu'un tribunal correctionnel, lorsqu'il n'est pas celui du lieu de la résidence du prévenu ou celui du lieu de l'arrestation, n'est compétent que pour connaître des infractions commises dans son ressort ; que sa compétence s'étend aux délits qui forment avec l'infraction déférée au Tribunal un ensemble indivisible, et aux délits connexes ; qu'en l'espèce actuelle, les demandeurs avaient été renvoyés devant le tribunal correctionnel du chef de complicité d'escroquerie pour avoir organisé " une mise en scène consistant à simuler une opposition d'intérêts entre plaideurs, puis une attitude d'aveu judiciaire du défendeur, et ce pour persuader de l'existence d'une fausse entreprise, d'un pouvoir ou d'un crédit imaginaire, en l'espèce, une créance inexistante de Mme A... contre M. B... ", et ainsi " aidé ou assisté avec connaissance dans les faits qui ont préparé, facilité ou consommé le délit d'escroquerie par eux commis et qui a abouti à la délivrance d'un arrêt de la cour d'appel du 16 octobre 1974 contenant obligation " ; que, la cour d'appel, qui reconnaît que les faits ainsi qualifiés se sont passés exclusivement hors du ressort de la cour d'appel d'Agen, ne pouvait refuser d'accueillir l'exception d'incompétence par le motif que Mme A..., l'auteur principal, aurait été prévenue de faits incontestablement commis à Auch, sans préciser quels faits, dès lors que les faits dont les demandeurs étaient prévenus consistaient très exactement en une complicité des faits principaux reprochés à la dame A... ;

" alors, d'autre part, que la dame A... était prévenue exclusivement de faits d'escroquerie consistant à avoir obtenu la délivrance d'un arrêt de la cour d'appel d'Agen, du 16 octobre 1974, contenant obligation ; que, par définition même, les faits constitutifs de cette escroquerie ne pouvaient avoir été commis qu'à Agen, à l'occasion de la procédure, qu'en effet, la procédure devant le tribunal de grande instance, et la procédure devant la Cour constituent deux instances séparées ; que, dès lors, la décision précitée ne pouvait affirmer la compétence du tribunal d'Auch sans s'expliquer de façon détaillée sur les faits commis dans le ressort de celui-ci ;

" alors, enfin, que, contrairement à ce qu'a décidé la cour d'appel, le fait que les deux instances, devant le Tribunal et devant la Cour, soient distinctes avait une incidence sur le plan des qualifications pénales ; qu'en effet, dès lors qu'il résulte des constatations des juges du fond que la procédure devant le Tribunal n'avait pas abouti, il n'avait pu être commis dans le ressort du tribunal d'Auch aucun délit d'escroquerie, mais seulement, le cas échéant, une tentative d'escroquerie, distincte du délit d'escroquerie, et qui n'était pas englobée dans la prévention " ;

Attendu que pour rejeter l'exception d'incompétence territoriale soulevée par X... et Y..., l'un et l'autre renvoyés devant le tribunal correctionnel d'Auch comme complices de l'escroquerie reprochée à A..., les juges du fond relèvent que cette dernière a produit devant le tribunal de grande instance d'Auch, à l'appui de deux assignations délivrées l'une à B..., l'autre à Z..., épouse de ce dernier, une reconnaissance de dette fictive ; que l'action ainsi engagée s'est continuée devant la cour d'appel d'Agen où d'autres documents confortant ladite reconnaissance, ont été versés aux débats par X... et Y..., conseils de A... ; que les juges énoncent que, si, en matière civile, l'instance d'appel et l'instance suivie devant les juges du premier degré sont distinctes, cette considération est insuffisante en matière pénale et que les faits imputés aux deux prévenus sont la suite d'un ensemble d'actes reprochés à l'auteur de l'escroquerie, parmi lesquels ceux commis à Auch ;

Attendu qu'en l'état de ces constatations et énonciations, dont il résulte que les juges du fond n'étaient saisis que d'un seul fait d'escroquerie dont des actes caractérisant certains de ses éléments constitutifs avaient été accomplis par leur auteur dans le ressort du tribunal correctionnel d'Auch, la cour d'appel a, sans encourir les griefs du moyen, justifié sa décision au regard des articles 52, 382 et 383 du Code de procédure pénale ; qu'en effet, par application du dernier de ces articles, la compétence à l'égard d'un prévenu s'étend à tous coauteurs et complices ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen de cassation commun aux deux demandeurs et pris de la violation de l'article 378 du Code pénal, violation de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, des articles 485 et 593 du Code de procédure pénale :

" en ce que la décision attaquée refuse de considérer que des correspondances échangées entre des avocats et leurs clients ne peuvent être retenues comme mode de preuve ;

" au motif que la Cour constate que toutes les correspondances d'avocats figurant au dossier ont été remises spontanément par B... ou par son mandataire ; qu'il ne saurait, en conséquence, être valablement soutenu que ce fait est susceptible de constituer une violation du secret professionnel qui s'impose à l'avocat, mais non au client de celui-ci ;

" alors, d'une part, que le secret professionnel est absolu, prescrit dans un intérêt social, qu'il n'appartient pas au client d'un avocat de le relever du secret professionnel ; que, dès lors, les correspondances entre un avocat et son client étant, par nature, couvertes par le secret professionnel, elles ne peuvent être versées, à titre de preuve, au dossier d'une instruction, fût-ce par le client destinataire, celui-ci n'ayant pas le pouvoir de relever son avocat du secret professionnel ;

" alors, d'autre part, que tout justiciable a droit à un traitement équitable ; qu'autoriser le client d'un avocat à verser dans un dossier pénal certaines lettres que lui a adressées son avocat, cependant que ce dernier, qui continue à être lié par le secret professionnel, ne pourrait ni se prévaloir de certains éléments du dossier de nature à expliquer lesdites lettres, ni verser au dossier des éléments du dossier ou d'autres lettres de nature à préciser le sens et la portée des lettres versées aux débats par son ancien client, aboutirait à infliger à l'avocat, qu'il soit partie à un procès l'opposant à son ancien client, ou partie au procès aux côtés de son ancien client (avec un risque d'opposition d'intérêts), un désavantage à sa défense, en le privant ainsi de l'égalité dont doivent jouir tous les justiciables, rendant ainsi le procès inéquitable " ;

Sur la première branche du moyen ;

Attendu que pour refuser d'écarter des débats des lettres que B..., défendeur à une instance civile, avait reçues de X... et de Y..., avocats, l'arrêt attaqué relève que toutes les lettres figurant au dossier de la procédure pénale suivie contre eux ont été remises spontanément par B... au juge d'instruction ; que les juges énoncent que le secret professionnel de l'avocat ne s'impose pas au client ;

Attendu qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel n'a pas encouru les griefs allégués ;

Mais sur la seconde branche du moyen ;

Vu les articles précités ;

Attendu que les juges sont tenus de répondre aux demandes et chefs péremptoires des conclusions dont ils sont régulièrement saisis ;

Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que X... et Y... ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel pour complicité d'escroquerie ;

Attendu que dans leurs conclusions tendant à leur relaxe les prévenus ont fait valoir que les lettres versées aux débats par B..., leur ancien client, ne pouvaient servir de preuve qu'à la condition expresse que fût révélée la totalité de la correspondance qu'ils avaient échangée avec lui, ce que leur interdisait " un secret professionnel intransgressible " ;

Attendu que pour écarter ces conclusions et déclarer les prévenus coupables des faits qui leur étaient reprochés, après avoir déclaré régulièrement produites les pièces ci-dessus, l'arrêt attaqué se borne à exposer les faits et à analyser ces pièces ;

Mais attendu qu'en ne s'expliquant pas sur l'argumentation péremptoire dont elle était saisie, et alors que l'obligation au secret professionnel d'un avocat ne saurait lui interdire, pour se justifier de l'accusation dont il est l'objet et résultait de la divulgation par un client d'une correspondance échangée entre eux, de produire d'autres pièces de cette même correspondance utiles à ses intérêts, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure d'exercer son contrôle au regard du respect des droits de la défense ;

Que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens proposés :

CASSE ET ANNULE l'arrêt en date du 19 mars 1987 de la cour d'appel d'Agen, mais seulement en celles de ses dispositions tant pénales que civiles concernant les demandeurs, et pour être jugé à nouveau conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée :

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Bordeaux.

Retourner en haut de la page