Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 12 octobre 1976, 75-90.239, Publié au bulletin
Cour de cassation - Chambre criminelle
- N° de pourvoi : 75-90.239
- Publié au bulletin
- Solution : Cassation partielle Cassation
- Président
- M. Chapar CDFF
Texte intégral
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
CASSATION PARTIELLE SUR LE POURVOI DE X... , PARTIE CIVILE, CONTRE UN ARRET DE LA COUR D'APPEL DE DOUAI (4EME CHAMBRE), DU 7 JANVIER 1975, QUI DANS UNE POURSUITE POUR DIFFAMATION PUBLIQUE ENVERS UN PARTICULIER, ET APRES AVOIR RELAXE LE PREVENU, A DEBOUTE LA PARTIE CIVILE DE SA DEMANDE.
LA COUR, VU LES MEMOIRES PRODUITS EN DEMANDE ET EN DEFENSE ;
SUR LE MOYEN UNIQUE DE CASSATION PRIS DE LA VIOLATION DES ARTICLES 29, 32, 42, 58 DE LA LOI DU 29 JUILLET 1881, 485, 512, 593 DU CODE DE PROCEDURE PENALE, CONTRADICTION ET DEFAUT DE MOTIFS, MANQUE DE BASE LEGALE, " EN CE QUE L'ARRET ATTAQUE, APRES AVOIR RECONNU QUE SI LES ALLEGATIONS DIFFUSEES DANS LE TRACT INCRIMINE VISAIENT DES FAITS SUFFISAMMENT PRECIS ET REVELAIENT UNE INTENTION DE NUIRE, ELLES N'ETAIENT PAS DE NATURE A PORTER ATTEINTE A L'HONNEUR OU A LA CONSIDERATION DES DIRIGEANTS DE LA CLINIQUE ;
" AUX MOTIFS, D'UNE PART, QUE LES LECTEURS SONT SUBMERGES PAR UNE LITTERATURE DE CE GENRE ET ONT APPRIS A DISCERNER LA PART DES REALITES ECONOMIQUES ET LA PART DES PASSIONS DOGMATIQUES ET QUE SI LES CRAINTES EXPOSEES AU SOUTIEN DE LA PLAINTE PAR LES CHIRURGIENS ACTIONNAIRES DE LA CLINIQUE DU PARC SONT EXCESSIVES QUANT A LA REPERCUSSION QUE POURRAIT AVOIR SUR LEUR REPUTATION UN LIBELLE LES TAXANT DE DEPENDANCE FINANCIERE ;
" AUX MOTIFS, D'AUTRE PART, QUE LES ATTAQUES VAGUES ET QUELQUE PEU STEREOTYPEES CONTRE DES COLLECTIVITES QUI NE DENONCENT PAS INDIVIDUELLEMENT LES RESPONSABLES DES ABUS PRETENDUS, QUELQUE POLEMIQUE QU'EN SOIT LE TON, NE PEUVENT CONSTITUER UN DELIT DE DIFFAMATION ;
" ALORS QUE, D'UNE PART, LE CARACTERE DIFFAMATOIRE D'UN ECRIT N'EST AUCUNEMENT FONCTION DE L'INTELLIGENCE DU LECTEUR, MAIS BIEN DE L'ESPRIT DANS LEQUEL CET ECRIT A ETE DIFFUSE ET NOTAMMENT DE L'INTENTION DE NUIRE QUI RESULTE DU TEXTE LUI-MEME ;
" ALORS QUE, D'AUTRE PART, IL IMPORTE PEU QUE LES CRAINTES EXPOSEES PAR LES CHIRURGIENS ET SPECIALISTES ACTIONNAIRES DE LA CLINIQUE DU PARC SOIENT EXCESSIVES QUANT A LA REPERCUSSION QUE POURRAIT AVOIR SUR LEUR REPUTATION UN LIBELLE LES TAXANT DE DEPENDANCE FINANCIERE, SEULE IMPORTE L'EXISTENCE DE CRAINTES QUE LA COUR RECONNAIT, LA DIFFAMATION N'ETANT PAS SUBORDONNEE A LA GRAVITE DES ALLEGATIONS REVELANT UNE INTENTION DE NUIRE QUI N'EST PAS DISCUTEE EN L'ESPECE ;
" ALORS QU'AU SURPLUS, IL EST INEXACT DE DIRE QUE LES ATTAQUES VAGUES ET QUELQUE PEU STEREOTYPEES CONTRE DES COLLECTIVITES ET QUI NE DENONCENT PAS INDIVIDUELLEMENT LES RESPONSABLES DES ABUS PRETENDUS NE PEUVENT CONSTITUER LE DELIT DE DIFFAMATION CAR, D'UNE PART, IL N'EST PAS NECESSAIRE QUE L'ECRIT INCRIMINE DESIGNE NOMMEMENT LES PERSONNES VISEES ET QU'IL SUFFIT QU'ELLES PUISSENT ETRE IDENTIFIEES D'UNE FACON CERTAINE ;
QUE, D'AUTRE PART, CE NE SONT PAS LES MEDECINS OU SPECIALISTES ASSOCIES QUI ONT DEPOSE LA PLAINTE, MAIS LA SOCIETE ELLE-MEME QUI AYANT LA PERSONNALITE CIVILE HABILITEE A SE PLAINDRE DES DIFFAMATIONS QUI POUVAIENT L'ATTEINDRE EN SA QUALITE D'ETRE MORAL, EN CONSEQUENCE, IL IMPORTE PEU QUE LES RESPONSABLES DES ABUS PRETENDUS N'AIENT PAS ETE INDIVIDUELLEMENT DESIGNES CAR LA SOCIETE SEULE ETAIT EN CAUSE ET NON SES ASSOCIES ;
" ALORS QU'ENFIN, LES IMPUTATIONS CONTENUES DANS LE TRACT AYANT POUR OBJET DE PROPAGER PARMI LES SALARIES L'IDEE QUE TOUS LES RESPONSABLES DES SOCIETES VISEES DANS LE TRACT EXPLOITAIENT LES TRAVAILLEURS TANT SUR LA QUESTION DES SALAIRES QUE SUR LES CONDITIONS DE TRAVAIL ET FAISAIENT NOTAMMENT ETAT DE CE QUE TOUTES CES SOCIETES RECHERCHAIENT LES METHODES POUR ACCELERER SANS CESSE LES CADENCES OBLIGEANT LES OUVRIERS A PRODUIRE TOUJOURS PLUS AVEC DES BAS SALAIRES DANS UN EMPLOI DONT ILS N'AVAIENT PAS LA SECURITE ET CECI AU PRIX D'UNE REPRESSION ;
QU'UNE TELLE CONCLUSION EST BIEN DE NATURE A PORTER ATTEINTE A L'HONNEUR OU A LA CONSIDERATION DE LA SOCIETE PLAIGNANTE " ;
VU LESDITS ARTICLES ;
ATTENDU QUE LE DROIT DE CONTROLE DE LA COUR DE CASSATION S'ETEND, EN CE QUI TOUCHE LES INFRACTIONS PREVUES PAR LA LOI DU 29 JUILLET 1881, A LA PORTEE ET A L'INTERPRETATION DES ECRITS INCRIMINES ;
QU'IL EN RESULTE QUE, S'IL APPARTIENT, EN GENERAL, AUX JUGES DU FOND, DE DECLARER, D'APRES LES CIRCONSTANCES DE LA CAUSE, QUELLE EST LA PERSONNE DIFFAMEE, CETTE APPRECIATION N'EST SOUVERAINE QUE DANS LA MESURE OU ELLE SE FONDE SUR DES ELEMENTS DE FAIT EXTRINSEQUES A L'ECRIT INCRIMINE;
QUE, D'AUTRE PART, L'ARTICLE 29 DE LADITE LOI QUI DEFINIT, NOTAMMENT, LA DIFFAMATION ENVERS LA PERSONNE, S'APPLIQUE AUSSI BIEN AUX PERSONNES MORALES QU'AUX PERSONNES PHYSIQUES, ATTENDU QUE LA SOCIETE ANONYME CLINIQUE DU PARC A PORTE PLAINTE EN SE CONSTITUANT PARTIE CIVILE DEVANT LE JUGE D'INSTRUCTION, POUR DIFFAMATION PUBLIQUE ENVERS UN PARTICULIER, A RAISON DE LA DISTRIBUTION D'UN TRACT OU IL ETAIT AFFIRME QUE LADITE SOCIETE APPARTENAIT A UN GROUPE, DONT LE NOM ETAIT INDIQUE, ET QUE LA PROSPERITE DE CE GROUPE SE FAISAIT " SUR LE DOS " DES TRAVAILLEURS QU'IL EMPLOYAIT ;
QUE D'APRES LA PLAINTE, LE CARACTERE DIFFAMATOIRE DU TRACT ENVERS LA SOCIETE ANONYME CLINIQUE DU PARC RESULTAIT DE LA COMBINAISON DE CES AFFIRMATIONS ET DES PASSAGES SUIVANTS QUE CONTENAIT CET ECRIT :
" CETTE SITUATION SCANDALEUSE OU LES PATRONS ET DIRECTEURS EXPLOITENT LES TRAVAILLEURS POUR AMASSER LE PLUS POSSIBLE DE PROFITS ET SE PAYER EUX-MEMES DE GROS SALAIRES ", " LA REPRESSION SEVIT ", " FACE A L'EXPLOITATION SCANDALEUSE DONT TU ES VICTIME " ;
QUE Y..., EDITEUR DU TRACT INCRIMINE, A ETE RENVOYE DEVANT LA JURIDICTION CORRECTIONNELLE, SOUS LA PREVENTION SUSVISEE ;
QUE POUR RELAXER LE PREVENU ET, PAR SUITE, DEBOUTER LA PARTIE CIVILE DE SON ACTION, L'ARRET ATTAQUE ENONCE, PRINCIPALEMENT, D'UNE PART, QUE " SI L'ON PEUT ADMETTRE QUE LES ALLEGATIONS DIFFUSEES VISENT DES FAITS SUFFISAMMENT PRECIS ET REVELENT UNE INTENTION DE NUIRE ", ELLES NE SONT PAS, CEPENDANT, " DE NATURE A PORTER ATTEINTE A L'HONNEUR ET A LA CONSIDERATION DES DIRIGEANTS DE LA CLINIQUE ", ET, D'AUTRE PART, " QUE DES ATTAQUES VAGUES ET QUELQUE PEU STEREOTYPEES CONTRE DES COLLECTIVITES, DES ASSOCIATIONS ET DES GROUPEMENTS - ET QUI NE DENONCENT PAS, INDIVIDUELLEMENT, LES RESPONSABLES DES ABUS PRETENDUS - QUELQUE POLEMIQUE QU'EN SOIT LE TON, NE PEUVENT CONSTITUER LE DELIT DE DIFFAMATION " ;
MAIS ATTENDU QUE NI L'UN NI L'AUTRE DE CES MOTIFS, RESPECTIVEMENT ENTACHES D'INSUFFISANCE ET D'ERREURS DE DROIT, NE SAURAIENT JUSTIFIER LA DECISION ATTAQUEE ;
QUE LA PLAINTE AVAIT ETE PORTEE EXCLUSIVEMENT AU NOM DE LA SOCIETE CLINIQUE DU PARC ET QU'IL N'Y AVAIT PAS LIEU, DES LORS, DE RECHERCHER SI LES DIRIGEANTS DE L'ENTREPRISE AVAIENT PU ETRE PERSONNELLEMENT ATTEINTS DANS LEUR HONNEUR OU LEUR CONSIDERATION ;
QUE S'IL APPARAISSAIT, CEPENDANT, A LA COUR D'APPEL QUE LES IMPUTATIONS SUSVISEES ETAIENT DIRIGEES SEULEMENT CONTRE CES DIRIGEANTS ET NON CONTRE LA SOCIETE ANONYME ELLE-MEME, PRISE COMME PERSONNE MORALE, L'ARRET NE POUVAIT DECIDER COMME IL L'A FAIT SANS EXPOSER LES CIRCONSTANCES RESULTANT SOIT DU CONTEXTE DU TRACT, SOIT D'ELEMENTS EXTRINSEQUES A CET ECRIT, ET SUR LESQUELLES AURAIT ETE FONDEE CETTE APPRECIATION ;
QUE FAUTE DE S'ETRE EXPLIQUEE SUR CE POINT, LA COUR D'APPEL N'A PAS MIS LA COUR DE CASSATION EN MESURE D'EXERCER SON CONTROLE A CET EGARD ;
ATTENDU D'AUTRE PART QUE S'IL EST VRAI QUE DES ATTAQUES VAGUES ET GENERALES, DIRIGEES CONTRE UNE COLLECTIVITE INDETERMINEE, NE SAURAIENT CONSTITUER LE DELIT DE DIFFAMATION, TEL N'EST PAS LE CAS EN L'ESPECE ;
QUE LA PLAIGNANTE EST, EN EFFET, D'APRES LES CONSTATATIONS DE L'ARRET, UNE SOCIETE ANONYME ;
QU'ELLE EST, AINSI, UNE PERSONNE MORALE SUSCEPTIBLE D'ETRE DECLAREE ATTEINTE DANS SON HONNEUR OU DANS SA CONSIDERATION PAR DES IMPUTATIONS DIFFAMATOIRES DIRIGEES CONTRE ELLE QUE, DES LORS, LA COUR D'APPEL NE POUVAIT S'ABSTENIR, COMME ELLE L'A FAIT, DE RECHERCHER SI CETTE PERSONNE MORALE, NOMMEMENT DESIGNEE DANS LE TEXTE DU TRACT INCRIMINE, AVAIT ETE OU NON VISEE, EN TANT QUE TELLE, PAR LEDIT TRACT, ET, DANS L'AFFIRMATIVE, SI ELLE N'AVAIT PAS ETE VICTIME D'UNE DIFFAMATION, AU REGARD DES ARTICLES 29 ET 32, ALINEA 1ER, DE LA LOI DU 29 JUILLET 1881 ;
QU'AINSI LA CASSATION EST ENCOURUE ;
PAR CES MOTIFS ;
CASSE ET ANNULE L'ARRET SUSVISE DE LA COUR D'APPEL DE DOUAI DU 7 JANVIER 1975, MAIS SEULEMENT EN CELLES DE SES DISPOSITIONS QUI ONT PRONONCE SUR L'ACTION CIVILE ET, POUR ETRE STATUE A NOUVEAU, CONFORMEMENT A LA LOI, DANS LA LIMITE DE LA CASSATION AINSI INTERVENUE : RENVOIE LA CAUSE ET LES PARTIES DEVANT LA COUR D'APPEL D'AMIENS.