Cour de Cassation, Chambre commerciale, du 29 avril 2002, 99-15.072, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Sur le moyen unique, pris en ses quatre branches : Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 28 janvier 1999) que la société Sovac a consenti un prêt destiné à financer l'acquisition par la SCI Charles de Gaulle (la SCI) d'un immeuble à usage de garage, donné à bail à la société Marissal automobiles (le preneur) ; que par acte du 13 juin 1989, le preneur et la SCI sont convenus d'une délégation des loyers au profit de la société Sovac ; que le preneur délégué a versé les loyers à la société Sovac, délégataire en exécution de la délégation, les 6 juillet et 10 octobre 1989 ; que le Trésor public a notifié des avis à tiers détenteur, au preneur concernant le paiement des taxes foncières par la SCI, les 26 novembre 1989, 18 décembre 1990 et 13 février 1992 ; qu'après avoir obtenu du juge des référés, la consignation des loyers dus par le preneur entre les mains du bâtonnier de l'Ordre des avocats, la société Sovac a assigné le receveur des finances devant le tribunal de grande instance afin de voir ordonner la mainlevée des avis à tiers détenteur ; qu'à la suite de la mise en redressement judiciaire, le 7 juillet 1992, puis en liquidation judiciaire, le 13 octobre 1992, de la SCI, la société Sovac a déclaré sa créance à titre privilégié, laquelle a été admise au passif de la SCI ; que le receveur des finances ayant déclaré sa créance à titre privilégié, celle-ci a également été admise ; que le juge-commissaire a autorisé le versement des sommes consignées au liquidateur de la SCI, M. X... par une ordonnance rendue le 12 février 1993 contre laquelle la société Sovac a formé un recours devant le tribunal qui a sursis à statuer ; que la société Sovac a signifié au liquidateur de la SCI, l'assignation devant le tribunal de grande instance, puis à la suite de la mise en redressement judiciaire du preneur, convertie ultérieurement en liquidation judiciaire, à MM. Y... et Z..., respectivement administrateur judiciaire et représentant des créanciers de la société Marissal ;

Attendu que la société Sovac fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté ses demandes tendant à obtenir la mainlevée des avis à tiers détenteur et à l'attribution des loyers dus antérieurement au 7 juillet 1992 par le preneur et d'avoir en conséquence validé ces avis à tiers détenteurs, alors, selon le moyen :

1° que dans ses conclusions récapitulatives du 5 octobre 1998, la société Sovac faisait valoir qu'il résulte de l'article 1275 du Code civil que la délégation confère au délégataire un droit de créance direct sur le délégué qui devient débiteur du délégataire que dès l'acceptation de la délégation par le délégataire, ce dernier dispose d'un droit exclusif à un paiement immédiat sans concours avec les créanciers du délégant ; qu'en retenant que la société Sovac ne peut utilement soutenir que la délégation est parfaite et produit une novation par changement de débiteur, la cour d'appel a dénaturé les conclusions de la société Sovac et ainsi violé l'article 1134 du Code civil ;

2° que, comme la société Sovac le soutenait à juste titre dans ses écritures, la délégation sans novation, soit la délégation dite imparfaite, se caractérise par la création d'un lien de droit direct et nouveau entre le délégué et le délégataire, le délégué devenant personnellement débiteur du délégataire ; que ni le délégant ni ses créanciers ne peuvent, avant la défaillance du délégué envers le délégataire, exiger paiement, le délégataire ayant, dès son acceptation, un droit exclusif à un paiement immédiat par le délégué sans concours ; que la cour d'appel ne constate pas et, a fortiori, ne justifie pas qu'il y ait eu défaillance du délégué envers le délégataire ; qu'en retenant que la délégation dite imparfaite ne créait pas un lien d'obligation nouveau entre le délégataire et le délégué et que le liquidateur du délégant, la SCI, pouvait revendiquer l'existence, et donc l'affectation à son profit, des sommes séquestrées portant sur les loyers dus par le preneur antérieurement au jugement du 7 juillet 1992 d'ouverture du redressement judiciaire de la SCI, la cour d'appel a violé l'article 1275 du Code civil ;

3° que l'article 47 de la loi du 25 janvier 1985 concerne exclusivement les actions en paiement formées contre un débiteur en redressement judiciaire ou en liquidation judiciaire ; que l'article 33 de la même loi interdit uniquement, et à compter du jugement d'ouverture, le paiement par le débiteur d'une créance née antérieurement ; qu'en l'espèce, la société Sovac, délégataire, a assigné le receveur des finances aux fins de mainlevée des avis à tiers détenteur qu'elle avait notifiés au preneur, délégué, lequel est personnellement débiteur du délégataire qui a, dès son acceptation, un droit exclusif à un paiement immédiat par le délégué ; qu'en retenant que, par application des articles 47 et 33 de la loi du 25 janvier 1985, la société Sovac ne pouvait réclamer quelque somme que ce soit pour une créance née antérieurement au jugement de redressement judiciaire de la SCI et, en conséquence, mal fondée à solliciter la mainlevée des avis à tiers détenteur a de plus fort violé l'article 1275 du Code civil et, par fausse application, les articles 47 et 33 de la loi du 25 janvier 1985 ;

4° qu'ainsi que la cour d'appel le constate, les avis à tiers détenteur avaient été notifiés par le receveur des finances au preneur les 26 novembre 1989, 18 décembre 1990 et 13 février 1992 et étaient devenus définitifs à la date du jugement d'ouverture du 7 juillet 1992 ; que la consignation des loyers à compter du 1er janvier 1990 avait été prononcée par ordonnance du 28 décembre 1989 et la mainlevée des avis à tiers détenteur sollicitée par la société Sovac par acte du 25 janvier 1990, donc également antérieurement au jugement d'ouverture ; qu'à supposer même, par suite, que la société Sovac ait réclamé paiement à la SCI de la créance qu'elle avait à son encontre, les dispositions des articles 47 et 33 de la loi du 25 janvier 1985 ne pouvaient le lui interdire ; qu'en se déterminant ainsi qu'elle l'a fait, la cour d'appel a de plus fort violé les articles 47 et 33 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Mais attendu, en premier lieu, que la dénaturation alléguée des conclusions de la société Sovac ne peut être accueillie dès lors que pour statuer comme elle a fait , la cour d'appel s'est fondée sur l'existence d'une délégation imparfaite qui n'a pas opéré novation par substitution de débiteur ;

Attendu, en second lieu, que l'arrêt retient que la délégation de paiement des loyers a pris effet et était opposable aux tiers à compter du 6 juillet 1989, date d'acceptation par la société Sovac délégataire du paiement fait par le preneur mais que cette délégation imparfaite a laissé subsister la créance de la SCI délégante qui n'est pas sortie de son patrimoine, ce qui a permis, d'un côté au liquidateur de la SCI de revendiquer les sommes consignées représentant les loyers dus et de les détenir en vertu de l'ordonnance du juge-commissaire du 12 février 1993, de l'autre au Trésor public de bénéficier de l'effet attributif des avis à tiers détenteur sur les loyers dus par le preneur, débiteur de loyers envers la SCI ; qu'ainsi, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les deux dernières branches, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen qui n'est pas fondé dans sa deuxième branche ne peut être accueilli pour le surplus ;

Par ces motifs :

REJETTE le pourvoi.

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