Cour de Cassation, Assemblée plénière, du 12 juillet 2000, 98-11.155, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

ARRÊT N° 2

Sur le moyen unique :

Attendu que, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 16 octobre 1997), un article intitulé " le cas X... : On ne badine pas avec la mort " est paru dans le journal " Z... " ; qu'estimant certains passages de cet article fautifs comme portant à l'encontre de leur fils décédé des accusations accréditant dans l'esprit des lecteurs l'idée qu'il était un individu dépourvu de toute conscience morale, responsable de la mort déjà survenue ou à venir de plusieurs victimes par transmission du virus du SIDA, M. et Mme X... ont demandé à M. Y... et à la société éditrice du journal la réparation du préjudice moral subi du fait de cette publication :

Attendu que les consorts X... reprochent à l'arrêt d'avoir rejeté leurs prétentions alors, selon le moyen,

que l'immunité résultant de l'article 34 de la loi du 29 juillet 1881 au profit de l'auteur d'une diffamation dirigée contre la mémoire d'un mort, qui n'aurait pas eu l'intention de porter atteinte à l'honneur ou à la considération des héritiers, époux ou légataires universels vivants, ne concerne que la responsabilité pénale et ne saurait être étendue à la responsabilité civile qui peut toujours être mise en jeu dès lors que les conditions requises pour rendre applicable l'article 1382 du Code civil sont remplies, de sorte qu'en statuant sur le seul fondement de l'article 34 de la loi de 1881, tout en relevant que M. Y... avait manqué à l'obligation faite au journaliste de vérifier ses informations, la cour d'appel a violé ledit article 34 par fausse interprétation et l'article 1382 du Code civil par refus d'application ;

Mais attendu que les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ; qu'ayant retenu que la publication des propos litigieux relevait des dispositions de l'article 34, alinéa 1er, de ladite loi, la cour d'appel a décidé à bon droit que les époux X... ne pouvaient être admis à se prévaloir de l'article 1382 dudit Code ; que le moyen n'est pas fondé :

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

MOYEN ANNEXE

Moyen produit par la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat aux Conseils, pour les époux X...

Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir décidé que les propos tenus par Y... ne pouvaient autoriser les époux X... à agir sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil, en l'absence d'intention de l'auteur des propos litigieux de porter atteinte à leur honneur et à leur considération propres ;

AUX MOTIFS QUE la liberté d'expression, principe édicté par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut être restreinte ou sanctionnée que par des dispositions légales précises ; que ces dispositions sont celles de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ; qu'il résulte de l'article 34, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 que les diffamations et injures dirigées contre la mémoire des morts n'exposent leurs auteurs aux peines prévues aux articles 31, 32 et 33 que dans les cas où les auteurs auraient eu l'intention de porter atteinte à l'honneur ou à la considération des héritiers, époux ou légataires universels vivants ; qu'en l'absence d'une telle intention, lesdites diffamations ou injures ne sont pas punissables, et peuvent tout au plus donner lieu, de la part des héritiers, époux et légataires universels, à l'exercice du droit de réponse prévu à l'article 13 de la même loi ; qu'il convient d'en déduire qu'elles ne sauraient alors autoriser les mêmes héritiers, époux et légataires universels vivants, à exercer l'action civile en réparation du dommage causé sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil, une telle action revenant à voir sanctionner des faits que l'article 34 précité répute impunissables, et comme tels non fautifs ; que les propos litigieux, dans lesquels M. Y... a inclu une allégation dont il est au demeurant incapable de rapporter la preuve, comme le Tribunal l'a justement relevé, contiennent l'imputation d'un fait précis portant atteinte à l'honneur et à la considération, et constituent donc une diffamation dirigée contre la mémoire de X..., diffamation qui relève de l'application de l'article 34, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 ; que par de tels propos, M. Y... n'a pas eu l'intention de porter atteinte à l'honneur et à la considération des parents de X... ; qu'il s'ensuit qu'ils ne peuvent autoriser ceux-ci à agir sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ; que le manquement de M. Y... à l'obligation faite au journaliste de vérifier ses informations, ne constitue pas à la vérité une faute distincte de l'imputation diffamatoire litigieuse, et en tout cas sanctionnable à titre autonome ; qu'en outre les époux X... n'ont à aucun moment entendu se prévaloir de l'atteinte à la vie privée de leur fils décédé, de sorte qu'ils ne peuvent exciper de décisions de jurisprudence ayant accueilli une demande d'indemnisation formée par des héritiers sur le fondement de l'article 9 du Code civil ; qu'en définitive, aucune faute civile, indépendante de la diffamation, ne pouvant être retenue à l'encontre de M. Y..., la demande d'indemnisation des époux X... sera rejetée ;

ALORS QUE l'immunité édictée par l'article 34 de loi de 1881 au profit de l'auteur de propos attentatoires à la mémoire d'un mort qui n'aurait pas eu l'intention de porter atteinte à l'honneur ou à la considération des époux, héritiers, ou légataires universels vivants ne concerne que la seule responsabilité pénale et ne saurait en aucun cas être étendue à la responsabilité civile de l'auteur des propos litigieux, qui peut toujours être mise en jeu dès lors que les conditions requises pour rendre applicable l'article 1382 du Code civil sont remplies ; qu'en statuant sur le seul fondement de l'article 34 de la loi de 1881 alors que les époux X... avaient demandé réparation de leur propre préjudice sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, la cour d'appel de Versailles, qui avait pourtant expressément relevé que le journaliste avait manqué à l'obligation qui lui est faite de vérifier ses informations, a violé ensemble l'article 34 de la loi de 1881 par fausse interprétation et l'article 1382 du Code civil par refus d'application.

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