Cour de Cassation, Chambre sociale, du 5 mai 1998, 95-42.545, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme Y... a été engagée, le 15 décembre 1987, par la société Sovac, en qualité de chargée de clientèle ; qu'en novembre 1988 elle a été mutée à l'agence de Rouen et promue directeur de cette agence au début de l'année 1990 ; que, par lettre du 24 juin 1992, la société Sovac l'a informée de sa mutation à l'agence d'Evreux ; que la salariée ayant refusé, la société Sovac l'a licenciée avec effet immédiat pour refus de mutation malgré la clause contractuelle de mobilité ;

Sur le moyen unique du pourvoi de l'employeur :

Attendu que la société Sovac fait grief à l'arrêt d'avoir dit que le licenciement de Mme Y... ne procédait pas d'une cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen, que les dispositions de l'article 48 de la convention collective du personnel des banques n'exclut pas un licenciement pour un motif autre que ceux qu'elles prévoient ; qu'en décidant le contraire la cour d'appel a violé l'article précité, ensemble les articles 1134 du Code civil, L. 122-4 et L. 122-14-3 du Code du travail ; alors que le refus d'une mutation par le salarié, en violation de la clause de mobilité stipulée par son contrat de travail, constitue une faute grave justifiant son licenciement, sauf en cas d'abus ou de détournement par l'employeur de son pouvoir de direction, qu'en considérant que la seule circonstance que la mutation de Mme Y... reposait sur son insuffisance professionnelle excluait sa faute grave, la cour d'appel a violé les articles 1134, 1147 du Code civil, L. 121-1 et L. 122-14-3 du Code du travail ; alors qu'il résulte des articles 29 et 30 de la Convention collective du personnel des banques, que la direction peut en cas d'insuffisance professionnelle du salarié, rechercher une affectation qui corresponde mieux à ses capacités, qu'ainsi la cour d'appel ne pouvait sans violer ces dispositions retenir que Mme Y... avait pu sans faute refuser une mutation reposant sur son insuffisance professionnelle ; alors que l'employeur pouvait, aux termes de son contrat de travail, décider de muter la salariée chaque fois qu'il l'estimait opportun pour la bonne marche de l'entreprise, que la cour d'appel a cru pouvoir substituer son appréciation à celle de la banque et a estimé justifié le refus opposé par Mme Y..., qu'en statuant ainsi sans relever l'existence d'un abus ou un détournement de pouvoir de l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ; alors qu'en tout état de cause il appartient au salarié d'établir que la mutation qui lui est imposée en vertu de la clause de mobilité de son contrat de travail constitue un abus ou un détournement du pouvoir de direction de l'employeur, qu'en faisant peser sur la Sovac la charge de la preuve de l'insuffisance professionnelle de Mme Y..., la cour d'appel a violé les articles 1315 du Code civil et L. 122-14-3 du Code du travail ; alors que, dans ses conclusions d'appel, la Sovac soutenait que la mutation de Mme Y... avait été décidée pour la bonne marche de l'entreprise, qu'en affirmant que l'employeur n'avait invoqué devant elle aucune nécessité de service pour justifier cette mutation, la cour d'appel a dénaturé les conclusions de la Sovac, violant ainsi l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ; alors qu'en relevant qu'il n'était pas invoqué par la Sovac de nécessités de service tout en constatant que celle-ci se prévalait des mauvais résultats et de la situation préoccupante de l'agence de Rouen, la cour d'appel a statué par motifs contradictoires en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

alors qu'en ne recherchant pas si la dégradation des résultats de l'agence dirigée par Z... Guilbert dont se prévalait la Sovac ne suffisait pas quelle que soit la valeur professionnelle de la salariée, à justifier la mutation de celle-ci pour la bonne marche de l'entreprise la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 du Code civil, L. 121-1 et L. 122-14-3 du Code du travail ;

Mais attendu, d'abord, qu'en vertu de l'article 57 de la convention collective du personnel des banques toute mutation non provoquée par de sérieuses nécessités de service n'est prononcée qu'après l'accord de l'agent intéressé si cette mesure rend obligatoire un changement de domicile ; que cette disposition plus favorable au salarié que la clause de mobilité prévue à son contrat individuel de travail s'applique audit contrat, conformément à l'article L. 135-2 du Code du travail ;

Et attendu, ensuite, que la cour d'appel, qui a relevé que l'employeur n'invoquait pas des nécessités de service à l'appui de la mutation de la salariée, en a justement déduit que la salariée était fondée à la refuser ;

Qu'il s'ensuit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Mais sur le pourvoi incident de la salariée :

Vu les articles 48 et 58 de la Convention collective nationale du personnel des banques ;

Attendu qu'il résulte du premier de ces textes que les motifs de licenciement sont, notamment, l'insuffisance professionnelle et du second qu'une indemnité conventionnelle est due en cas de licenciement pour l'un des motifs prévus à l'article 48 ;

Attendu que, pour rejeter la demande de la salariée en paiement d'une somme à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, la cour d'appel a énoncé que le motif de licenciement retenu n'était pas visé à l'article 58 de la Convention et que l'insuffisance professionnelle de Mme X... n'était pas établie ;

Qu'en statuant ainsi, alors, d'une part, qu'elle avait relevé que la mutation de la salariée reposait non sur des nécessités de service mais sur son insuffisance professionnelle, ce dont il résultait que le véritable motif du licenciement était l'insuffisance professionnelle de la salariée, et alors, d'autre part, que la circonstance que cette insuffisance professionnelle n'était pas établie ne pouvait être de nature à priver la salariée de l'application des dispositions conventionnelles, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qui concerne la demande du salarié à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, l'arrêt rendu le 23 mars 1995, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Caen.

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