Cour de Cassation, Chambre sociale, du 3 mars 1998, 95-45.201 95-45.203, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu leur connexité, joint les pourvois n°s 95-45.201, 95-45.202 et 95-45.203 ;

Attendu que la procédure de redressement judiciaire de la société imprimerie Durand ayant été ouverte le 8 février 1993, le juge-commissaire a autorisé l'administrateur à procéder à des licenciements économiques par une ordonnance rendue le 19 février ; que MM. X..., Robert et Joubert, qui ont adhéré à la convention de conversion proposée par l'employeur, ont demandé à la juridiction prud'homale de fixer leurs créances de salaire et indemnitaires ;

Sur la première branche du premier moyen et le second moyen réunis :

Attendu que la société imprimerie Durand et M. Y..., ès qualités d'administrateur judiciaire de ladite société, font grief aux trois arrêts attaqués (Versailles, 25 septembre 1995) d'avoir déclaré recevables les actions de MM. X..., Robert et Joubert et de leur avoir alloué des dommages-intérêts pour inobservation de la procédure de consultation du comité d'établissement, alors, selon les moyens, d'une part, que l'incompétence du juge-commissaire l'ayant prononcée n'empêche pas sa décision d'acquérir l'autorité de la chose jugée ; qu'en l'espèce, le juge-commissaire, par son ordonnance du 19 février 1993 devenue définitive, avait autorisé le licenciement de vingt-trois salariés, au nombre desquels les intéressés, et avait ainsi statué au regard de la situation individuelle de chacun d'eux ; que, dès lors, le licenciement économique des salariés avait été définitivement jugé urgent, inévitable et indispensable, donc justifié par une cause réelle et sérieuse ; qu'en déclarant néanmoins recevables les contestations de ces derniers, devant le juge prud'homal, portant sur le même objet, ayant la même cause, dirigée contre le même employeur, au seul motif que cette juridiction prud'homale aurait été compétente pour examiner la situation individuelle des salariés licenciés, la cour d'appel a violé l'article 1351 du Code civil ; alors, d'autre part, qu'en se déterminant par des motifs pris de l'irrégularité de la procédure préalable au prononcé d'un licenciement collectif autorisé par décision définitive du juge-commissaire, la cour d'appel a violé ensemble les articles 1351 du Code civil et 45 et 173-1 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Mais attendu que lorsque des licenciements pour motif économique présentent un caractère urgent, inévitable et indispensable pendant la période d'observation, l'administrateur peut être autorisé par le juge-commissaire à procéder à ces licenciements ; que, cependant, cette autorisation, qui ne peut être nominative, n'interdit pas à la juridiction prud'homale, seule compétente pour connaître des différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail, de statuer sur les demandes des salariés licenciés au regard de leur situation individuelle ; qu'elle doit notamment, lorsque le salarié est inclus dans un licenciement collectif pour motif économique et que la procédure requise à l'article L. 321-2 du Code du travail n'a pas été respectée par l'employeur, accorder au salarié, conformément à l'article L. 122-14-4, dernier alinéa, du même Code, une indemnité calculée en fonction du préjudice subi ;

Et attendu que la cour d'appel, qui a relevé qu'à la date à laquelle le comité d'entreprise avait été consulté sur le projet de licenciement économique le mandat des membres dudit comité était expiré et qu'il n'avait pas été procédé à leur renouvellement, a pu décider que la consultation d'un comité d'entreprise irrégulièrement composé équivalait à une absence de consultation et que cette irrégularité de forme avait nécessairement causé un préjudice à chaque salarié qu'il convenait d'indemniser ;

D'où il suit que le premier moyen pris en sa première branche et le deuxième moyen ne sont pas fondés ;

Sur le premier moyen pris en sa seconde branche ;

Attendu qu'il est encore reproché aux arrêts d'avoir statué comme ils l'ont fait, alors qu'en toute hypothèse, selon le moyen, le salarié ayant accepté une convention de conversion ne peut remettre en cause l'ordre des licenciements ; que, par ailleurs, le juge prud'homal n'est pas compétent pour remettre en cause le caractère économique de licenciements jugés urgents, inévitables et indispensables par le juge-commissaire et, partant, se prononcer sur l'exécution par l'employeur de son obligation de reclassement qui fait partie de l'appréciation du caractère économique de ce licenciement ; qu'en déclarant recevable un salarié, partie à une convention de conversion, à critiquer le caractère réel et sérieux d'un licenciement économique ordonné par le juge-commissaire, la cour d'appel a violé les articles 45 de la loi du 25 janvier 1985 et L. 50-1 du Code du travail ;

Mais attendu que, selon l'article 45 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, lorsque des licenciements pour motif économique présentent un caractère urgent, inévitable et indispensable pendant la période d'observation, l'administrateur peut être autorisé par le juge-commissaire à procéder à ces licenciements ; qu'il en résulte que l'autorité de l'ordonnance du juge-commissaire n'est attachée, par l'effet de l'article 63 du décret n° 85-1388 du 27 décembre 1985 qui en précise le contenu, outre l'indication du nombre des salariés dont le licenciement est autorisé ainsi que des activités professionnelles concernées, qu'à l'existence d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification du contrat de travail consécutive à des difficultés économiques, à une mutation technologique ou à une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise ; que, par contre, cette autorité ne saurait s'étendre à la question de la situation individuelle des salariés au regard de l'obligation de reclassement qui pèse sur l'employeur et qui relève de la compétence du juge prud'homal ;

Et attendu que le salarié qui a adhéré à une convention de conversion gardant la possibilité, malgré son acceptation, de contester le caractère réel et sérieux de son licenciement, la cour d'appel, qui a constaté que l'employeur ne justifiait d'aucune recherche au sein de la société et du groupe auquel elle appartenait, ni d'aucune proposition en vue du reclassement de MM. X..., Robert et Joubert, a pu décider que les licenciements prononcés étaient sans cause réelle et sérieuse ;

D'où il suit que la seconde branche du premier moyen n'est pas fondée ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois.

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