Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 3 juillet 1996, 94-14.272, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que Serge X..., veuf depuis 1978, est décédé le 8 février 1982 en laissant sa fille, Martine, née le 22 novembre 1967, à laquelle le conseil de famille, réuni le 8 mars 1982 par le juge des tutelles du 20e arrondissement de Paris, a désigné pour tuteur M. Didier Glandy et, pour subrogé-tuteur, M. Roger Coupeau ; que la Caisse de retraite et de prévoyance des cadres devant verser un capital décès à Mlle X..., une décision du conseil de famille, notifiée à M. Glandy le 17 mars 1982, a autorisé le tuteur à percevoir ce capital, à charge de le placer sur un livret de caisse d'épargne indisponible jusqu'à la majorité de l'enfant, et à percevoir chaque mois la somme de 700 francs pour les frais d'entretien ; qu'après avoir prévenu le juge des tutelles par une première lettre, du 5 avril 1982, la Caisse de retraite a effectivement versé le capital décès d'un montant de 237 222 francs le 2 novembre 1982 et en a avisé le magistrat par lettre du 5 novembre suivant ; qu'en janvier 1993 le dossier de la tutelle a été transmis au juge des tutelles du tribunal d'instance de Juvisy, dans le ressort duquel était domiciliée Mlle X... ; qu'à la majorité de celle-ci, alors qu'aucun compte annuel de tutelle n'avait jamais été établi, les deux livrets d'épargne ouverts au nom de l'intéressée présentaient des soldes créditeurs de, respectivement, 46,11 francs et 730,27 francs ; qu'en avril et mai 1988, Mlle X... a assigné M. Glandy en reddition de compte et a engagé contre lui, le subrogé-tuteur, et l'Etat, une action en responsabilité, en invoquant le comportement fautif des organes de la tutelle ; qu'il a été alors constaté que le tuteur avait prélevé sur les livrets de sa pupille, en décembre 1982, une somme de 37 500 francs, à titre de " cadeau de Martine à M. Glandy ", puis, à partir de juillet 1982, diverses sommes de montants variant entre 60 000 francs et 1 000 francs, retirées à son profit et au profit de tiers, ou bien dont la destination n'a pas été justifiée ; que l'arrêt attaqué (Paris, 21 janvier 1994) a condamné, d'une part, M. Glandy à payer à Mlle X... la somme de 37 500 francs avec intérêts au taux légal à compter de la décision et, d'autre part, in solidum, M. Glandy, M. Coupeau et l'Etat, représenté par l'agent judiciaire du Trésor, à payer la somme de 152 500 francs assortie des mêmes intérêts, étant précisé que, dans leurs rapports respectifs, le tuteur serait tenu à concurrence de la moitié, le subrogé-tuteur et l'Etat chacun à concurrence du quart ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal :

Attendu que l'agent judiciaire du Trésor fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamné in solidum avec le tuteur et le subrogé-tuteur, alors, selon le moyen, que le juge des tutelles n'a pas à se substituer au tuteur dans l'administration des biens du mineur, et que la responsabilité de l'Etat n'est engagée à l'égard du pupille qu'en cas de faute dans le fonctionnement de la tutelle imputable au juge des tutelles ; que la cour d'appel, qui reproche aux juges des tutelles successifs le fait de n'avoir pris aucune mesure de nature à éviter la gestion fautive par Didier Glandy des fonds appartenant à sa pupille et déclare l'Etat responsable du dommage subi par Martine X... du fait de cette gestion fautive sans caractériser aucune faute dans le fonctionnement de la tutelle, a ainsi privé sa décision de base légale ;

Mais attendu que, d'après l'article 395 du Code civil, le juge des tutelles exerce une surveillance générale sur les tutelles de son ressort et doit, à ce titre, veiller à la bonne gestion des biens des mineurs ; qu'en application de l'article 470 du même Code, il doit s'assurer de la remise des comptes annuels de gestion, après leur examen par le subrogé-tuteur ; qu'en l'espèce, l'arrêt relève que, bien qu'ayant été averti à deux reprises par la caisse de retraite du versement d'un capital décès au profit de la mineure, et avisé, par ces organismes, de la possibilité d'un placement plus rémunérateur que celui prévu par le conseil de famille, le juge des tutelles de Paris n'a donné aucune suite à ces lettres et n'a même pas estimé opportun, lors de la transmission du dossier au juge des tutelles de Juvisy, d'attirer l'attention de ce magistrat sur l'existence des fonds importants alloués à Mlle X... ; que l'arrêt retient, ensuite, que le deuxième juge des tutelles n'a pas fait les diligences nécessaires pour obtenir la remise du compte annuel, dont l'examen, avant juin 1983, aurait permis de déceler les anomalies de la gestion de M. Glandy, et n'a pris aucune mesure de nature à préserver le patrimoine de la mineure ;

Qu'en l'état de ces constatations et énonciations la cour d'appel a pu estimer que les juges des tutelles avaient commis des fautes engageant la responsabilité de l'Etat par application de l'article 473 du Code civil et a ainsi légalement justifié sa décision ;

Et sur le moyen du pourvoi incident, pris en ses deux branches :

Attendu que M. Coupeau reproche à l'arrêt d'avoir statué comme il a fait, alors, selon le moyen, d'une part, qu'en retenant que le subrogé-tuteur, dont la responsabilité était recherchée par Mlle X..., n'établissait pas avoir exercé la surveillance de la gestion tutélaire de M. Glandy la cour d'appel aurait inversé la charge de la preuve ; alors, d'autre part, que le juge des tutelles est nécessairement informé de l'absence des comptes annuels de gestion dont l'établissement incombe au tuteur, et dispose seul du pouvoir de convoquer le conseil de famille à leur sujet ; qu'ainsi le préjudice du pupille, consécutif au défaut d'établissement de ces comptes et de mise en oeuvre subséquente de mesures propres à faire cesser le comportement fautif du tuteur, trouve directement sa cause non pas dans le manque de surveillance de la gestion tutélaire par le subrogé-tuteur, mais dans les agissements fautifs du tuteur et dans la carence du juge des tutelles ; qu'en déclarant néanmoins que l'inaction de M. Coupeau avait permis à M. Glandy de poursuivre sa gestion dans des conditions fautives et ainsi concouru à la réalisation du préjudice de Mlle X..., les juges du second degré ont violé les articles 420 et 470 du Code civil ;

Mais attendu que, selon l'article 420 du Code civil, le subrogé-tuteur doit surveiller la gestion tutélaire et, s'il constate des fautes dans la gestion du tuteur, doit, à peine d'engager sa responsabilité personnelle, en informer immédiatement le juge des tutelles ; qu'en application de l'article 470 du même Code, il doit se faire remettre chaque année un compte de gestion et le transmettre, avec ses observations, au juge des tutelles ; qu'en l'espèce, en retenant que M. Coupeau ne justifiait pas avoir rempli ces obligations légales dont l'exécution aurait permis de déceler, dès mars 1983, le premier prélèvement opéré par M. Glandy, et donc de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser les agissements de celui-ci, la cour d'appel a, sans inverser la charge de la preuve, caractérisé l'existence d'un lien de causalité entre l'inaction du subrogé-tuteur et le préjudice subi par Mlle X... après la date susvisée ; d'où il suit qu'en aucune de ses branches le moyen ne peut être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois principal et incident.

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