Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 27 juin 1995, 93-10.077 93-11.958, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Joint, en raison de leur connexité, les pourvois formés par les époux X... et par les époux Y... ;

Donne acte à M. Vincent Y... et à M. Christophe Y... de leur reprise d'instance en qualité d'héritiers de Christiane Z..., épouse Y... ;

Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que, par acte notarié du 9 mars 1984, les époux Y... ont vendu aux époux A... un fonds de commerce payable à crédit à hauteur de 170 000 francs ; que, dans cet acte, les époux X... et les époux C..., représentés par un clerc de notaire auquel ils avaient donné procuration par actes sous seing privé des 5 et 6 mars 1984, se sont portés cautions solidaires, au profit des vendeurs, du paiement par les acquéreurs de la somme de 170 000 francs, outre intérêts ; qu'après défaillance des époux A... et mise en règlement judiciaire de M. A..., les époux Y... ont exercé à l'encontre des époux X... des poursuites aux fins de saisie immobilière pour obtenir de ceux-ci l'exécution de leur engagement de caution ; qu'il a été mis fin à ces poursuites par un protocole d'accord en date du 11 septembre 1985, aux termes duquel les époux X... ont versé un acompte aux époux Y... et se sont engagés à leur payer, en versements échelonnés, le surplus de la somme encore due par les époux B... ; que les époux X... ont ensuite assigné les époux Y... et les époux C... en annulation de leur cautionnement et en remboursement des sommes par eux versées ; que les époux C... ont sollicité le rejet de ces prétentions ainsi que l'annulation de leur propre engagement et ont appelé en garantie les époux A... ; que l'arrêt attaqué a rejeté la demande en annulation du cautionnement des époux X... et déclaré nul l'engagement de caution des époux C... ;

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches, du pourvoi principal des époux X... :

Attendu que les époux X... font grief à l'arrêt attaqué de les avoir déboutés de leur demande en annulation de leur engagement de caution, alors, selon le moyen, d'une part, qu'en vertu des dispositions combinées des articles 1326 et 2015 du Code civil, le mandat sous seing privé de se porter caution doit comporter, lorsque le montant de l'obligation cautionnée est déterminable au jour de l'engagement de la caution, la mention, écrite de sa main, de la somme en toutes lettres et en chiffres ; que ces exigences légales ont pour finalité la protection du consentement de la caution et que leur inobservation est sanctionnée par la nullité de l'engagement ; que, bien qu'ayant constaté que le mandat donné par eux de se rendre caution ne comportait pas la mention manuscrite du montant en toutes lettres et en chiffres de la somme cautionnée, la cour d'appel a rejeté leur demande ; qu'elle a, par là-même, violé les articles 1326 et 2015 du Code civil ; alors, d'autre part, qu'à supposer que les exigences relatives à la mention manuscrite ne constituent que de simples règles de preuve, elles n'en sont pas moins destinées à établir la connaissance qu'avait la caution de la nature et de l'étendue de son engagement au moment où elle l'a souscrit ; que la cour d'appel, qui a constaté que le mandat par eux donné de se rendre en leur nom cautions solidaires des époux A... était irrégulier au regard des prescriptions de l'article 1326 du Code civil et pouvait valoir comme commencement de preuve par écrit, a retenu qu'il se trouvait complété par le protocole d'accord par eux signé le 11 septembre 1985 ; qu'en se déterminant ainsi, alors qu'un écrit postérieur de plus d'un an et demi à l'acte litigieux et signé par eux sous la menace de poursuites de saisie de leur appartement ne pouvait établir la connaissance qu'ils auraient eue, lors de la souscription de leur engagement, de la nature et de l'étendue de celui-ci, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1326 et 2015 du Code civil ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui a constaté l'insuffisance de la mention manuscrite, laquelle ne comportait pas l'indication en toutes lettres et en chiffres du montant de la somme cautionnée et rendait l'acte irrégulier, celui-ci constituant seulement un commencement de preuve par écrit susceptible d'être complété par des éléments de preuve extrinsèques, a, par une appréciation souveraine de la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, retenu que ce commencement de preuve se trouvait complété par la reconnaissance de dette faite par les époux X..., en leur qualité de caution, au profit des époux Y... dans le protocole du 11 septembre 1985, ainsi que par des actes d'exécution par les époux X... de ce protocole d'accord ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision ;

D'où il suit qu'en aucune de ses branches le moyen ne peut être accueilli ; que le rejet du pourvoi principal des époux X... rend sans objet le pourvoi incident des consorts Y... ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche, du pourvoi principal des consorts Y... :

Attendu que les consorts Y... font grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré nul l'engagement de caution des époux C... et de les avoir déboutés de leurs demandes dirigées contre ces derniers, alors, selon le moyen, qu'il n'est pas permis de faire renaître un droit auquel une partie a renoncé ; qu'ainsi, en décidant que la renonciation d'une partie à un moyen de nullité ne lui interdirait pas d'invoquer le même moyen à un autre stade de la procédure, la cour d'appel a violé l'article 72 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que, selon ce texte, les défenses au fond peuvent être proposées en tout état de cause ; qu'après avoir rappelé cette règle et constaté, par motifs adoptés, qu'en première instance les époux C... n'avaient pas renoncé à leur demande en annulation de leur engagement, la cour d'appel en a justement déduit qu'ils étaient recevables à invoquer devant elle un moyen auquel ils avaient renoncé devant les premiers juges ; d'où il suit qu'en sa première branche le moyen est sans fondement ;

Sur la seconde branche :

Attendu qu'il est encore fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen, que le mandat de se porter caution n'étant pas par lui-même créateur d'une obligation de payer une somme d'argent, n'est pas régi par l'article 1326 du Code civil ; que, pour décider que l'engagement de caution des époux C... était nul, la cour d'appel a retenu qu'en l'absence, sur la procuration par eux donnée, d'une mention écrite de leur main précisant en toutes lettres et en chiffres le montant de la somme à cautionner, la preuve n'était pas rapportée de ce qu'ils auraient eu connaissance de l'étendue et de la portée de leur engagement ; qu'elle a ainsi violé, par fausse application, l'article 1326 du Code civil ;

Mais attendu qu'il résulte des articles 1326, 2015 et 1985 du Code civil que le mandat sous seing privé de se porter caution doit comporter, lorsque le montant de l'obligation cautionnée est déterminable au jour de l'engagement de la caution, la mention, écrite de sa main, de la somme en toutes lettres et en chiffres ; qu'ayant constaté que le mandat donné par les époux C... de se rendre en leur nom cautions solidaires des époux A... pour le paiement de la somme de 170 000 francs comportait la signature des cautions précédée de la mention, apposée par chacune d'elles, " bon pour cautionnement ", sans autre précision, la cour d'appel a retenu, à juste titre, que cette inobservation des prescriptions de l'article 1326 du Code civil rendait l'acte de mandat irrégulier ; qu'ayant constaté, en outre, l'absence de production par les créanciers de tout élément extrinsèque susceptible de compléter le commencement de preuve par écrit constitué par cette procuration, elle en a justement déduit que l'acte de cautionnement donné en la forme authentique était lui-même irrégulier ; d'où il suit qu'en aucune de ses branches le moyen ne peut être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi principal des époux X... et le pourvoi principal des consorts Y... ;

DIT n'y avoir lieu de statuer sur le pourvoi incident de ces derniers.

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