Cour de Cassation, Chambre sociale, du 25 janvier 1995, 92-12.718 92-13.155, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu leur connexité, joint les pourvois n°s 92-13.155 et 92-12.718 ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 13 janvier 1992), que le comité d'entreprise de l'URSSAF de Paris a désigné un expert comptable le 18 avril 1988 pour l'examen des comptes de l'exercice 1987 ; qu'un différend a opposé le comité d'entreprise à l'URSSAF sur les questions relevant de la mission de l'expert comptable ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° 92-13.155 du comité d'entreprise :

Attendu que le comité d'entreprise fait grief à l'arrêt de l'avoir débouté de sa demande tendant à faire constater l'inclusion dans la mission de l'expert-comptable de certains chefs d'investigation, alors, selon le moyen, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 434-6 du Code du travail, la mission de l'expert-comptable porte sur tous les éléments d'ordre économique, financier ou social nécessaires non seulement à l'intelligence des comptes mais encore à l'appréciation de la situation de l'entreprise et ne saurait donc être limitée à la seule gestion des ressources budgétaires ; qu'il résulte de l'article L. 213-1 du Code de la sécurité sociale et des constatations de l'arrêt attaqué que l'activité de l'organisme considéré porte exclusivement sur le recouvrement des cotisations sociales ; que, par suite, la cour d'appel ne pouvait exclure de la mission de l'expert-comptable les informations (statistiques et non nominatives) demandées, relatives à ces cotisations et aux difficultés de leur recouvrement, sans violer les textes susvisés ; alors, d'autre part, et s'agissant des points C1 et C2 du paragraphe C du chapitre II, que la cour d'appel n'a pas recherché si la commission de contrôle avait ou non accès aux documents demandés, peu important qu'ils soient disponibles ou non dans l'entreprise ; qu'elle n'a donc pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 434-6 du Code du travail ; qu'en outre, s'agissant du point C, relatif aux mécanismes de calcul et paramètres de la dotation de gestion versée à l'URSSAF de Paris, la cour d'appel l'a exclu de la mission de l'expert-comptable sans en donner de motifs, en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et qu'à cet égard, il n'a pas été répondu aux conclusions du comité selon lesquelles la mauvaise foi de l'URSSAF de Paris se trouvait caractérisée par le fait qu'elle avait, dans son assignation, prétendu ne disposer d'aucun élément de ces chefs et avait cependant ultérieurement fourni d'elle-même les éléments en question dans un document intitulé " Votre URSSAF en quelques chiffres de l'ACOSS en 1987 " ; que, de ce chef, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, de troisième part, que les experts-comptables sont eux-mêmes tenus au secret professionnel par l'article 378 du Code pénal ainsi violé par refus d'application ; qu'en outre, l'expert-comptable a accès aux mêmes documents que le commissaire aux comptes ; qu'aux termes de l'article 229 de la loi du 24 juillet 1966, celui-ci ne peut se voir opposer le secret professionnel sauf par les auxiliaires de justice ; que, par voie de conséquence, il en est de même pour l'expert-comptable ; que, de ce chef, la cour d'appel a violé ledit article 229 et l'article L. 434-6 du Code du travail ; et alors, enfin, que, dans ses conclusions sur ce point demeurées sans réponse, le comité faisait valoir que le secret professionnel invoqué par l'URSSAF de Paris constituait un pur et simple prétexte pour ne pas communiquer les éléments sollicités par l'expert-comptable (qu'elle communiquera cependant ultérieurement) dès lors que l'expert-comptable n'avait pas demandé la communication des fichiers de l'URSSAF de Paris mais les éléments permettant de déterminer les conditions de recouvrement des cotisations et les catégories de cotisants par branche économique, et sans aucune information nominative, et qu'en tout cas, l'utilisation

de cette notion interdirait à l'expert-comptable d'accomplir normalement sa mission telle qu'elle est prévue par la loi ;

Mais attendu qu'aux termes de l'article L. 434-6, alinéa 2, du Code du travail, la mission de l'expert-comptable porte sur tous les éléments d'ordre économique, financier ou social nécessaires à l'intelligence des comptes et à l'appréciation de la situation de l'entreprise ;

Attendu que c'est à bon droit que la cour d'appel a jugé que l'examen des comptes des cotisants, que l'URSSAF se borne à transmettre à l'ACOSS, n'était pas nécessaire à l'intelligence des comptes de l'Union de recouvrement et à l'appréciation de sa situation ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le second moyen du pourvoi principal :

Attendu que le comité d'entreprise fait encore grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par lui du fait de la résistance abusive du chef d'entreprise pour communiquer à l'expert-comptable divers documents nécessaires à l'accomplissement de sa mission, alors, selon le moyen, que dans ses conclusions sur ce point demeurées sans réponse, le comité avait fait valoir que s'il avait sollicité, dans le cadre de la mission de l'expert-comptable, la communication d'un certain nombre d'éléments, le 17 février 1989, ce n'est que le 5 juin 1990, soit 16 mois plus tard, que ces éléments avaient été communiqués, ce qui avait ainsi interdit aux salariés d'exercer le droit d'information dont ils disposent ; que faute d'avoir pris en considération ce chef des conclusions du comité, la cour d'appel a derechef violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que la cour d'appel a répondu aux conclusions en les écartant, en relevant que tous les documents communicables avaient été fournis à l'expert-comptable et que l'URSSAF n'avait pas fait preuve de résistance abusive ; que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le moyen unique au pourvoi n° 92-12.718 de l'URSSAF :

Attendu que l'URSSAF fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de sa demande tendant à ce que soit exclu de la mission de l'expert-comptable désigné par le comité d'entreprise, telle que définie par lettre du 17 février 1989, le point " gestion financière et contentieuse " (chapitre approche des mécanismes de gestion de l'URSSAF) ; alors, selon le moyen, que l'expert-comptable désigné par le comité d'entreprise a un rôle, non de contrôleur, mais de conseiller chargé de rendre les comptes intelligibles au comité afin que celui-ci puisse apprécier la santé économique de l'entreprise et l'évolution prévisible de l'emploi ; que l'URSSAF, organisme de droit privé investi d'une mission de service public, exerce sa mission de recouvrement des cotisations dans le cadre défini par la loi et les règlements, sous contrôle de l'autorité de tutelle ; que l'URSSAF, comme l'a relevé l'arrêt lui-même, n'a aucun pouvoir de gestion sur les comptes des cotisants dont les avoirs sont directement versés à l'ACOSS ; que l'équilibre financier de l'URSSAF dépend d'une dotation de fonctionnement accordée par les pouvoirs publics, dotation indépendante des recouvrements effectués ; que la mission de l'expert intitulée " gestion financière et contentieuse " avait pour but de permettre au comité d'entreprise de connaître les circuits de recouvrement, les difficultés rencontrées dans l'exercice de cette fonction ; que cette connaissance des circuits de recouvrement n'a aucun intérêt pour la compréhension des comptes, l'appréciation de la santé économique de l'URSSAF et l'évolution prévisible sur l'emploi ; qu'en décidant néanmoins de reconnaître une telle mission à l'expert, la cour d'appel a méconnu l'article L. 434-6 du Code du travail ; alors, encore, que si l'expert-comptable est fondé pour les besoins de sa mission, à solliciter sur certains points la communication d'informations détaillées, il n'en résulte pas nécessairement qu'il est en droit d'en rendre compte au comité dans son rapport ; qu'ainsi, à supposer comme le retient l'arrêt attaqué, que l'expert-comptable ait eu besoin " de percevoir les mécanismes de gestion financière et contentieuse pour être à même d'apporter des explications cohérentes au comité sur la situation de l'entreprise ", il n'en résultait pas pour autant que l'expert-comptable ait été tenu de rendre compte au comité des informations ainsi obtenues sur le fonctionnement du service-recouvrement ; qu'en décidant d'inclure l'analyse des mécanismes de gestion financière et contentieuse, dans la mission de l'expert-comptable, sans rechercher si les connaissances acquises pour son compte personnel par l'expert-comptable pouvaient valablement figurer dans le rapport transmis par lui au comité d'entreprise, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 434-6 du Code du travail ; alors, enfin, qu'il résulte des motifs de l'arrêt que pour exclure le paragraphe B, produits de la mission de l'expert, la cour d'appel a constaté que " les difficultés relatives au recouvrement des cotisations demeuraient sans incidence sur les ressources budgétaires de l'URSSAF " ; que la cour d'appel a néanmoins décidé qu'entrait dans la mission de l'expert-comptable l'étude de la gestion financière et contentieuse de l'organisme (dont l'analyse des circuits et des délais de recouvrement) au motif que l'expert-comptable " devait prendre connaissance des difficultés rencontrées dans l'organisation des services de recouvrement de

cotisations " ; qu'en statuant ainsi, sans s'expliquer sur l'utilité d'une telle investigation, dès lors qu'il avait lui-même constaté l'absence d'incidence des problèmes de recouvrement sur le budget de l'organisme, la cour d'appel a, là encore, privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 434-6 du Code du travail ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui n'avait à se prononcer que sur les documents communicables à l'expert-comptable et non sur l'étendue de l'obligation de discrétion de ce dernier envers les membres du comité, a pu décider que les informations relatives à la gestion financière étaient communicables car elles étaient destinées à permettre à l'expert-comptable de fournir des explications cohérentes sur la situation de l'URSSAF et sur l'organisation des services de recouvrement et des difficultés rencontrées en ce domaine ; que le moyen ne peut être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois.

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