Cour de Cassation, Chambre sociale, du 17 février 1993, 88-45.539, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X..., attaché de direction à une agence de Paris du Crédit du Nord a, à la suite de la découverte d'anomalies dans le fonctionnement de certains comptes, été, le 28 février 1986, convoqué à un entretien préalable en vue de son licenciement et a été révoqué pour faute grave par lettre du 13 mars 1986 ; qu'il a, conformément aux dispositions de la convention collective des banques, demandé que son cas soit soumis au conseil de discipline, lequel a estimé que les faits reprochés au salarié justifiaient seulement sa rétrogradation ; que, se rangeant à cet avis du conseil de discipline, le Crédit du Nord a alors notifié, le 16 mai 1986, à M. X... sa rétrogradation de la classe 6 bis à la classe 3 entraînant un changement de poste et lui a fait connaître qu'aucun poste correspondant à sa nouvelle activité n'étant disponible, il était muté à la succursale de Rouen pour une période d'essai de 6 mois ; que M. X... ayant répondu qu'il ne pouvait rejoindre cette nouvelle affectation, il lui a été notifié, par courrier du 26 mai 1986, que son refus de rejoindre sa nouvelle affectation mettait le Crédit du Nord dans l'obligation de considérer qu'il avait pris l'initiative de la rupture du contrat de travail ; que M. X... a alors saisi la juridiction prud'homale d'une demande tendant à l'annulation de la sanction prononcée le 16 mai 1986 et au paiement de diverses indemnités ;

Sur le premier moyen pris en ses deux premières branches :

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la sanction disciplinaire prononcée par le Crédit du Nord n'avait pas lieu d'être annulée et d'avoir dit que la rupture était imputable à M. X... qui ne pouvait prétendre à aucune indemnité de rupture, alors, selon le moyen, premièrement, qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu, à lui seul, à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de 2 mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué constate que dès octobre 1985, la direction de l'agence Magenta où travaillait M. X... avait eu connaissance des faits imputés à la faute de ce dernier ; que les poursuites disciplinaires n'ont été engagées que plus de 6 mois plus tard ; qu'en affirmant que l'employeur n'avait pu avoir connaissance des faits que le 16 janvier 1986, jour du dépôt du rapport établi par l'inspection générale de la banque, sans s'expliquer sur la justification d'un délai de 3 mois pour le dépôt du rapport, ni sur les raisons pour lesquelles la direction générale n'aurait pu avoir connaissance plus tôt des éléments figurant dans le rapport, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 122-44 du Code du travail ; deuxièmement, alors que l'article L. 122-42 prohibant formellement toute sanction pécuniaire, il appartient à l'employeur prononçant contre un salarié une mesure qui affecte directement sa rémunération, de rapporter la preuve que cette baisse de rémunération s'est accompagnée d'une modification effective de la nature des fonctions qu'il exerçait jusqu'alors ; que l'arrêt attaqué, pour considérer que la baisse de rémunération atteignant M. X... n'était pas une sanction pécuniaire illicite, s'est borné à relever qu'elle n'était que la conséquence nécessaire de la rétrogradation prononcée contre lui ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si cette mesure s'était accompagnée d'un changement effectif de la nature des fonctions exercées par M. X..., la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 122-44 du Code du travail ;

Mais attendu, d'une part, qu'ayant dans l'exercice de son pouvoir souverain et sans être tenue d'entrer dans le détail de l'argumentation des parties, constaté que ce n'était que le 16 janvier 1986 que la banque n'avait pu avoir une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés à M. X..., la cour d'appel a, à bon droit, décidé que les poursuites engagées le 5 mars 1986 par la convocation à l'entretien préalable l'avaient été dans le délai de 2 mois prévu à l'article L. 122-44 du Code du travail ;

Attendu, d'autre part, qu'ayant fait ressortir que la baisse de la rémunération était la conséquence de la rétrogradation sur un emploi différent, la cour d'appel a, à bon droit, décidé que cette baisse de rémunération ne constituait ni une sanction pécuniaire illicite ni une deuxième sanction ; que le moyen n'est donc pas fondé en ses deux premières branches ;

Mais sur la troisième branche du premier moyen et sur le second moyen réunis :

Vu les articles 1134 du Code civil et L. 122-40 du Code du travail ;

Attendu que pour débouter le salarié de sa demande en paiement des indemnités de rupture et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt attaqué, après avoir dit justifiée la rétrogradation du salarié avec baisse de rémunération et mutation géographique, énonce que, compte tenu des doutes que la société pouvait nourrir sur le rendement à attendre d'un salarié atteint par une rétrogradation atteignant trois classes, elle était justifiée à assortir cette nouvelle affectation d'une période d'essai ;

Attendu, cependant, que si l'employeur, qui a prononcé la rétrogradation du salarié fautif, est en droit, pour des raisons liées à l'intérêt de l'entreprise et sans pour autant prononcer une deuxième sanction, de le muter sur un autre emploi correspondant à sa nouvelle classification, il ne peut, pour ce nouvel emploi, imposer une période d'essai qui aurait pour effet de lui permettre de rompre le contrat de travail de ce salarié, sans avoir à justifier d'un quelconque motif ; qu'il s'ensuit que la rupture résultant du refus du salarié d'accepter les conditions de ce nouvel emploi, s'analyse en un licenciement ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté M. X... de sa demande en paiement des indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt rendu le 13 octobre 1988, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

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