Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 2 octobre 1984, 83-14.595, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

SUR LE PREMIER MOYEN, PRIS EN SES TROIS BRANCHES : ATTENDU QUE, SELON L'ARRET ATTAQUE, M. ANDRE X..., NOTAIRE, A SOUSCRIT LE 24 JANVIER 1972 AUPRES DE LA SOCIETE D'ASSURANCES SUR LA VIE DU GROUPE DES ASSURANCES MUTUELLES DE FRANCE (S.A.V.I.G.A.M.F.) UN CONTRAT D'ASSURANCE VIE DONT LES BENEFICIAIRES ETAIENT, EN PREMIER RANG, LA CAISSE REGIONALE DU CREDIT AGRICOLE, A CONCURRENCE DES SOMMES POUVANT ETRE DUES A CET ORGANISME PAR L'ASSURE, AU DECES DE CELUI-CI, ET EN SECOND RANG, LES HERITIERS DE L'ASSURE ;

QU'A LA SUITE DE MALVERSATIONS, M. ANDRE X... A ETE INCULPE, ECROUE, ET INTERDIT TEMPORAIREMENT DE L'EXERCICE DE SES FONCTIONS, AU MOIS D'AVRIL 1973, ET QUE M. Y..., NOTAIRE, A ETE DESIGNE EN QUALITE D'ADMINISTRATEUR PROVISOIRE DE L'ETUDE DE M. X... ;

QU'UNE PRIME DE CONTRAT D'ASSURANCE VIE, D'UN MONTANT DE 1 584,50 FRANCS ETANT ARRIVEE A ECHEANCE LE 24 JUILLET 1973, ET ETANT RESTEE IMPAYEE, LA S.A.V.I.G.A.M.F. A ADRESSE LE 17 SEPTEMBRE 1973 A L'ETUDE DE M. ANDRE X... UNE LETTRE RECOMMANDEE AVEC DEMANDE D'AVIS DE RECEPTION, AUX TERMES DE LAQUELLE L'ASSURE ETAIT MIS EN DEMEURE DE PAYER CETTE PRIME, FAUTE DE QUOI LA GARANTIE SERAIT SUSPENDUE A L'ISSUE DU DELAI D'UN MOIS, LA RESILIATION POUVANT ENSUITE INTERVENIR DIX JOURS PLUS TARD ;

QUE LA LETTRE RECOMMANDEE A ETE RECUE PAR M. Z..., PRINCIPAL CLERC DE L'ETUDE, HABILITE A RECEVOIR LES PLIS RECOMMANDES ;

QU'APRES AVOIR PRIS CONNAISSANCE DE SA RENEUR, M. Z... A DEPOSE CETTE LETTRE DANS UN DOSSIER CONTENANT LE COURRIER PERSONNEL DE M. ANDRE X... EN VUE DE LA REMETTRE, SOIT A L'EPOUSE, SOIT AU FILS DE CELUI-CI, LORS D'UN DE LEURS PASSAGES A L'ETUDE ;

QU'ELLE A ETE AINSI REMISE AU FILS DU NOTAIRE, M. ALAIN X..., ENVIRON UN MOIS PLUS TARD, ET QUE CELUI-CI L'A REMISE A MME X... EN FIN OCTOBRE 1973, ALORS QUE L'ASSURE ETAIT GRAVEMENT MALADE ;

QUE LA PRIME RECLAMEE N'A PAS ETE ADRESSEE A L'ASSUREUR QUI, PAR LETTRE RECOMMANDEE DU 12 NOVEMBRE 1973, A NOTIFIE A M. ANDRE X... LA RESILIATION DE SON CONTRAT D'ASSURANCE-VIE ;

QU'APRES LE DECES DE CELUI-CI, SURVENU LE 1ER DECEMBRE 1973, MME VEUVE X... A DEMANDE A LA S.A.V.I.G.A.M.F. DE LUI VERSER LE MONTANT DU CAPITAL PREVU AU CONTRAT, DEDUCTION FAITE DE LA SOMME DUE A LA CAISSE REGIONALE DU CREDIT AGRICOLE, MAIS QUE L'ASSUREUR A OPPOSE UN REFUS A CETTE DEMANDE EN INVOQUANT LA RESILIATION DU CONTRAT ;

QUE MME X... A ALORS ASSIGNE M. Y... EN PAIEMENT DE DOMMAGES-INTERETS EN SOUTENANT QUE LE PRINCIPAL CLERC DE L'ETUDE, DONT IL ETAIT RESPONSABLE, AVAIT COMMIS UNE FAUTE EN N'ASSURANT PAS SANS DELAI L'ACHEMINEMENT DE LA LETTRE RECOMMANDEE DE MISE EN DEMEURE A SON DESTINATAIRE ;

QUE L'ARRET ATTAQUE, RETENANT LA RESPONSABILITE DE M. Y... EN MEME TEMPS QUE CELLE DE MME X... ET DE SON FILS, ET ESTIMANT QU'IL EXISTAIT UN DOUTE SUR LA POSSIBILITE QU'AVAIENT CEUX-CI DE TROUVER DES FONDS POUR REGLER LA PRIME RECLAMEE, DE SORTE QUE LE PREJUDICE SE LIMITAIT A LA PERTE D'UNE CHANCE DE PERCEVOIR LE CAPITAL PREVU AU CONTRAT D'ASSURANCE, CAPITAL QUI, COMPTE TENU DE LA CREANCE DU CREDIT AGRICOLE, S'ELEVAIT A 93 159,48 FRANCS, A CONDAMNE M. Y... A PAYER A MME X... LA SOMME DE 45 000 FRANCS A TITRE DE DOMMAGES-INTERETS ;

ATTENDU QUE MME X... REPROCHE A LA COUR D'APPEL D'AVOIR LAISSE A SA CHARGE UNE PART DE RESPONSABILITE, ALORS QUE, D'UNE PART, LE FAIT, PAR ELLE OU PAR SON FILS, DE N'AVOIR PAS PRETE AUSSITOT ATTENTION A LA LETTRE DE MISE EN DEMEURE LORSQU'ELLE LEUR A ETE REMISE, NE POURRAIT CONSTITUER UNE FAUTE, DES LORS QUE L'ARRET ATTAQUE CONSTATE QUE LE CLERC PRINCIPAL Z... AURAIT DU, LORS DE LA REMISE DE LA LETTRE, PRENDRE LES PRECAUTIONS UTILES POUR QUE LA MISE EN DEMEURE PRODUISE SON EFFET, ALORS QUE, D'AUTRE PART, LA FAUTE REPROCHEE A MME X... ET A SON FILS SERAIT SANS LIEN DE CAUSALITE AVEC LEUR PREJUDICE DES LORS QU'ENTRE CETTE FAUTE ET LE DOMMAGE S'ETAIT INTERPOSEE LA FAUTE DU CLERC PRINCIPAL, SEULE EN RELATION DE CAUSE A EFFET AVEC LE PREJUDICE, ALORS QUE, ENFIN, LE FAIT, PAR CE CLERC PRINCIPAL, D'AVOIR REMIS LA LETTRE LITIGIEUSE NON A SON DESTINATAIRE, MAIS A SON FILS, QUI N'AVAIT RECU AUCUN MANDAT DE SON PERE A CET EFFET, CONSTITUERAIT UNE FAUTE EN RELATION DE CAUSE A EFFET AVEC LE DOMMAGE ;

MAIS ATTENDU QU'APRES AVOIR RELEVE QUE LE CLERC PRINCIPAL Z..., AU LIEU D'ACHEMINER SANS DELAI A SON DESTINATAIRE LA LETTRE RECOMMANDEE DE MISE EN DEMEURE, AVAIT REMIS CETTE LETTRE AU FILS ET A L'EPOUSE DU NOTAIRE SANS PRENDRE LES PRECAUTIONS UTILES POUR QU'ELLE PRODUISE SON EFFET D'AVERTISSEMENT ET DE MISE EN GARDE, LA COUR D'APPEL A EGALEMENT RETENU QUE MME X... ET SON FILS, ALORS QU'ILS AVAIENT ENCORE LA POSSIBILITE, ENTRE FIN OCTOBRE ET LE 12 NOVEMBRE 1973, DE REGULARISER LA SITUATION PAR LE PAIEMENT DE LA PRIME POUR EMPECHER LA RESILIATION DU CONTRAT, N'AVAIENT PORTE AUCUNE ATTENTION A CETTE LETTRE ;

QU'ELLE A PU EN DEDUIRE QUE LES CONSORTS X... AVAIENT AINSI EUX-MEMES COMMIS UNE NEGLIGENCE QUI, AVEC CELLE DU CLERC PRINCIPAL DU NOTAIRE, AVAIT CONCOURU A LA REALISATION DU DOMMAGE ;

QU'AINSI LE MOYEN N'EST FONDE EN AUCUNE DE SES BRANCHES ;

LE REJETTE ;

MAIS SUR LE SECOND MOYEN, PRIS EN SA PREMIERE BRANCHE : VU L'ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL, ATTENDU QUE, POUR DECIDER QUE LE DOMMAGE ETAIT LIMITE A LA PERTE D'UNE CHANCE, LA COUR D'APPEL ENONCE QUE, POUR REPONDRE AU MOYEN, DE M. Y..., QUI SOUTENAIT QUE LE PREJUDICE AVAIT POUR SEULE CAUSE L'IMPOSSIBILITE, POUR LES EPOUX X..., DE TROUVER LES FONDS NECESSAIRES AU REGLEMENT DE LA PRIME, LES PREMIERS JUGES ONT ESTIME QU'IL N'ETAIT PAS ETABLI QUE LES EPOUX X..., MALGRE LEUR SITUATION FINANCIERE OBEREE, N'AURAIENT PAS ETE EN MESURE DE PAYER LA PRIME, ET QU'AINSI IL EXISTE UN DOUTE A CE SUJET, DE SORTE QUE LE PREJUDICE SE LIMITE A LA PERTE DE LA CHANCE QUE MME X... AURAIT EU, SI ELLE AVAIT ETE DUMENT AVERTIE, DE REGLER LA PRIME ET DE MAINTENIR AINSI EN VIGUEUR LE CONTRAT D'ASSURANCE-VIE ;

ATTENDU QU'EN SE DETERMINANT AINSI, ALORS QUE LA PERTE D'UNE CHANCE NE PEUT DEPENDRE QUE D'UN EVENEMENT FUTUR ET INCERTAIN DONT LA REALISATION NE PEUT RESULTER DE L'ATTITUDE DE LA VICTIME, ET QUE LA POSSIBILITE OU L'IMPOSSIBILITE, POUR LES EPOUX X..., DE PAYER LA PRIME, A APPRECIER PAR LES JUGES DU FOND, NE POUVAIT QUE DETERMINER L'EXISTENCE OU L'ABSENCE D'UN LIEN DE CAUSALITE ENTRE LA FAUTE DU NOTAIRE ET LE PREJUDICE ALLEGUE, LA COUR D'APPEL A VIOLE LE TEXTE SUSVISE ;

PAR CES MOTIFS, ET SANS QU'IL Y AIT LIEU DE STATUER SUR LES DEUXIEME ET TROISIEME BRANCHES DU SECOND MOYEN : CASSE ET ANNULE, MAIS SEULEMENT EN CE QU'IL A RETENU POUR PREJUDICE SUBI PAR MME X... A LA PERTE D'UNE CHANCE, L'ARRET RENDU LE 11 MAI 1983 PAR LA COUR D'APPEL DE DOUAI ;

REMET, EN CONSEQUENCE, QUANT A CE, LA CAUSE ET LES PARTIES AU MEME ET SEMBLABLE ETAT OU ELLES ETAIENT AVANT LEDIT ARRET ET, POUR ETRE FAIT DROIT, LES RENVOIE DEVANT LA COUR D'APPEL D'AMIENS, A CE DESIGNEE PAR DELIBERATION SPECIALE PRISE EN LA CHAMBRE DU CONSEIL ;

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