Cour d'appel de Versailles, du 17 décembre 1999, 1998-150

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

FAITS ET PROCEDURE,

Monsieur et Madame X... sont propriétaires à VANVES d'une maison avec un jardinet mitoyen de la parcelle sur laquelle est construite la maison de Monsieur Y... et Madame Z....

Le 11 mars 1997, Monsieur et Madame X..., invoquant l'article 671 du code civil, ont fait assigner Monsieur Y... et Madame Z... devant le tribunal d'instance de Vanves, afin de les voir condamner solidairement, sous astreinte de 1.000 Francs par jour de retard, à couper le figuier qui se trouve sur leur parcelle et détruire ses racines, à leur payer les sommes de 15.000 Francs à titre de dommages-intérêts et celle de 6.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Par ordonnance de référé en date du 15 octobre 1996, un expert a été désigné aux fins d'examiner les désordres allégués.

Après que l'expert eut procédé à sa mission, Monsieur Y... et Madame Z... ont invoqué les usages en matière de plantation à Paris et sa banlieue, ils ont fait valoir qu'aucune gêne n'est supportée par les époux X..., la façade de leur maison étant toujours ensoleillée.

A titre subsidiaire, ils ont sollicité une nouvelle expertise et à titre infiniment subsidiaire, ont proposé d'élaguer le figuier.

A titre reconventionnel, ils ont demandé la démolition de la terrasse des époux X... sous astreinte de 1.000 Francs par jour de retard, ainsi que le paiement des sommes de 20.000 Francs à titre de dommages-intérêts et 6.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Par jugement en date du 11 septembre 1997, le tribunal d'instance de VANVES a rendu la décision suivante :

- déboute les époux X... de leur demande de destruction du figuier et de ses racines, - condamne Monsieur et Madame Y... à verser aux époux X... 10.000 francs à titre de dommages-intérêts, - déboute Monsieur Y... à 6.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, - ordonne l'exécution provisoire, - condamne Monsieur Y... aux dépens, qui comprendront les frais d'expertise.

Le 8 décembre 1997, Monsieur et Madame X... ont interjeté appel. Ils exposent qu'ils ont acquis leur bien immobilier le 18 septembre

1984 et qu'alors, il n'y avait aucun arbre ou arbuste le long du grillage de clôture ; qu'ils ont vu sortir de terre un arbuste dans le jardin voisin, près de ce grillage en 1987/1988 ; qu'il s'agit d'un figuier qui s'est à ce point développé, qu'il atteint maintenant une hauteur de 6 mètres avec un tronc de 25 centimètres de diamètre ; qu'ils ont fait établir un procès-verbal de constat par Maître SIMART, huissier de justice, dès le 6 juin 1996 ; que l'expert judiciaire, Monsieur A..., désigné par le juge des référés, a constaté que l'ensemble du houppier du figuier masque la vue et le soleil de la fenêtre de leur séjour, qui donne au sud, ce qui leur cause un trouble de jouissance très important et que, par ailleurs, les racines du figuier, étant déjà apparentes dans le jardin des époux Y..., il n'y a aucune raison qu'elles ne s'étendent pas sous le dallage de leur propriété; que les attestations et photographies qu'ils versent au dossier démontrent la réalité de la privation d'ensoleillement.

En droit, ils font observer que même si l'arbre a été planté à une distance conforme aux usages en vigueur en région parisienne, ce qu'ils contestent, il n'en demeure pas moins qu'il leur cause une gêne et un dommage importants, du fait du manque d'ensoleillement et des risques de croissance des racines sous le dallage de leur propriété ; que l'expert judiciaire, tout en laissant au tribunal le pouvoir de décider, a néanmoins préconisé l'arrachage de l'arbre ; que le dommage qu'ils subissent du fait du trouble persistant justifie leurs demandes de destruction de l'arbre et de paiement de dommages-intérêts.

Concernant la terrasse, qu'ils ont fait construire après avoir obtenu un permis de construire, sans protestation des voisins, ils soulignent qu'il s'agit de l'aménagement d'une terrasse préexistante, dont la superficie n'excède pas 1 m et qui correspond à la sortie de la cuisine vers l'escalier.

Ils demandent à la Cour de :

- déclarer les époux X... recevables en leur appel, - les y déclarer bien fondés, - infirmer le jugement rendu le 11 septembre 1997 par le tribunal d'instance de VANVES, Statuant à nouveau, Vu les dispositions des articles 671 et suivants du code civil : Vu la gêne occasionnée par le figuier propriété des époux Y..., Vu la croissance des racines et le risque encouru par les époux X..., - ordonner la coupe du figuier et la destruction de ses racines, et ce, sous astreinte de 1.000 francs par jour de retard, - condamner solidairement Monsieur Y... et Madame Z... à payer aux époux X... la somme de 20.000 francs à titre de dommages-intérêts, - les condamner solidairement au paiement de la somme de 15.000 francs en vertu des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, - débouter Monsieur Y... et Madame Z... de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions, - les condamner solidairement aux entiers dépens de première instance et d'appel dont le recouvrement sera effectué pour ceux la concernant par la SCP JULLIEN LECHARNY ROL, société titulaire d'un office d'avoués,

conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.

En réponse, Monsieur Y... et Madame Z... précisent qu'ils ont acquis leur propriété en 1990, date à laquelle l'arbre litigieux existait déjà. Ils invoquent l'usage propre à Paris et à ses "faubourgs", dont fait partie la ville de Vanves, pour soutenir qu'il ne peut leur être fait grief de posséder un arbre en limite de propriété, lequel se trouve à une distance de 4,48 mètres de la façade de leur voisin.

Ils critiquent le rapport de l'expert judiciaire qui a diligenté ses opérations le 3 décembre 1996 à 10 heures du matin, par une journée grise et sans soleil. Ils déclarent qu'ils versent aux débats de nombreuses attestations qui démontrent que la façade des appelants est baignée de soleil. Ils soutiennent que le feuillage du figuier n'est présent que pendant 5 mois de l'année, à la belle saison.

Concernant les prétendus désordres qui résulteraient du risque de croissance des racines, ils font observer d'une part, que les époux X..., en faisant daller leur cour, n'ont pas respecté le permis de construire qui leur avait été délivré et qui prévoyait que le terrain libre de construction devrait être aménagé en espace vert; d'autre part, qu'il ne s'agit que d'un préjudice hypothétique.

Concernant leur demande reconventionnelle, ils reprochent au tribunal de ne pas avoir tiré les conséquences légales de ses constatations. Ils soutiennent qu'ils ont subi un incontestable préjudice du fait de la construction de la terrasse par leurs voisins.

Ils demandent à la Cour de : - déclarer recevable mais mal fondé l'appel des consorts X..., - les débouter de toutes leurs demandes, fins et écritures, - constater que le figuier litigieux n'entraîne pour les consorts X... aucun trouble de voisinage, - les débouter de leur demande de suppression du figuier et de leur demande d'attribution de dommages-intérêts, - infirmer le jugement en ce qu'il a condamné les consorts B... à leur verser la somme de 10.000 francs à titre de dommages-intérêts, Subsidiairement, - donner acte aux consorts B... de leur accord pour élaguer le figuier litigieux, Reconventionnellement, - constater que les consorts B... ont subi un préjudice de vue en raison de la construction de la terrasse des époux X..., - condamner in solidum les époux X... à payer aux consorts B... la somme de 10.000 francs au titre de dommages-intérêts en raison du préjudice subi de ce fait, - constater les agissements malveillants des époux X..., En tout état de cause, condamner in solidum les époux X... au paiement de la somme de 15.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, et à celle de 10.000 francs pour procédure abusive, - les condamner in solidum aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SCP FIEVET ROCHETTE

LAFON, titulaire d'un office d'avoué près la Cour d'appel de VERSAILLES, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.

L'ordonnance de clôture a été signée le 4 novembre 1999 et l'affaire plaidée à l'audience du 16 novembre 1999.

SUR CE, LA COUR,

1) Sur les demandes des époux X... relatives au figuier,

Considérant que la règle posée par l'article 671 du code civil, relative à la distance des plantations par rapport à la limite de la propriété voisine, n'a qu'un caractère supplétif ; qu'un usage constant depuis plus d'un siècle permet la plantation dans Paris et sa banlieue (autrefois ses faubourgs), jusqu'à l'extrême limite des

jardins sous réserve de l'élagage ; qu'assurément, cet usage s'applique dans la ville de Vanves, située dans la proche banlieue de Paris ;

Considérant que cependant, une plantation, même réglementaire, ne doit pas occasionner aux propriétaires de la parcelle voisine un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage; que si tel est le cas, les voisins sont fondés à demander la cessation du trouble, ainsi que la réparation du préjudice en résultant ;

Considérant que les parties versent aux débats le procès-verbal de constat établi par Maître SIMART, huissier de justice, le 6 juin 1996, le rapport de l'expert judiciaire Monsieur A..., du 27 janvier 1997, le procès-verbal de constat établi par Maître PLUMEL, huissier de justice, le 22 mai 1998 et enfin, celui établi par Maître SIMART le 28 juin 1999 ; qu'à ces constats et rapport sont annexées des photographies ;

Considérant que certes, les opérations d'expertise ont été menées en décembre, à l'époque où les feuilles du figuier étaient toutes tombées, de sorte qu'elles n'auraient pu masquer une éventuelle apparition du soleil ; que néanmoins, l'expert a pu constater l'importance de la ramure du figuier, planté contre la clôture séparative des fonds ; que les photographies annexées au rapport

montrent que le figuier, même dépourvu de feuilles, masque l'horizon visible de la fenêtre du séjour des appelants ;

Considérant que par ailleurs, les photographies annexées aux différents constats d'huissier, notamment à celui de Maître SIMART du 28 juin 1998, montrent qu'en été, le feuillage du figuier est très fourni et masque totalement la vue ; que le soleil ne peut passer que par les trous du feuillage, ce qui nuit considérablement à l'ensoleillement du séjour des appelants ; que les attestations produites par les intimés ne rapportent pas la preuve contraire ;

Considérant qu'en ce qui concerne le dallage de la cour des époux X..., aucun dommage n'est encore réalisé ni même certain, l'expert judiciaire ayant remarqué que la réfection des lieux ne s'imposait pas à ce jour ;

Considérant que par conséquent, il est ainsi établi que l'arbre litigieux, qui a atteint une hauteur non contestée d'environ 6 mètres en quelques années, cause aux appelants un trouble de jouissance important, consistant dans la privation du bénéfice de la clarté, de la vue et de l'ensoleillement, principalement dans leur salle de séjour ; que les époux X... sont donc fondés à demander qu'il soit mis fin aux troubles causés par le figuier excédant les inconvénients normaux du voisinage ; que les intimés ne démontrent

pas que le simple élagage de l'arbre, tel qu'ils l'ont proposé à titre subsidiaire, serait de nature à faire cesser définitivement les troubles; qu'il convient donc, afin d'assurer une réparation idoine, le séjour des appelants se trouvant surélevé, d'ordonner la coupe du figuier à 2 mètres de hauteur et ce, sous astreinte de 300 Francs par jour de retard passé un délai de trois mois à compter de la signification du présent arrêt ;

Considérant que, par ailleurs, le préjudice subi par les appelants depuis plusieurs années du fait du trouble occasionné à leur jouissance par le figuier de leurs voisins justifie qu'il leur soit alloué la somme de 6.000 Francs à titre de dommages-intérêts ;

2) Sur les demandes reconventionnelles de Monsieur Y... et Madame Z...,

Considérant que les époux X... justifient que selon permis de construire en date du 5 septembre 1990, ils ont fait procéder à l'extension d'une petite terrasse de deux mètres sur un mètre cinquante selon le plan annexé au permis, en prolongement de leur cuisine ; qu'il est constant que cette terrasse est édifiée à une distance inférieure à la distance légale et permettait une vue sur le jardin de Monsieur Y... et Mme Z... ; que cependant, il est tout aussi constant que ceux-ci ont fait poser sur le muret en

parpaings un masque en plexiglas non transparent de 1,88 m, ce qui rend désormais impossible la vue des époux X... sur le jardin de leurs voisins et supprime tout préjudice pour ceux-ci ; que par ailleurs, les intimés n'indiquent pas quel a été le coût de la construction qu'ils auraient du supporter et ne fournissent pas la facture correspondante ; qu'ils ne démontrent pas que l'esthétisme ainsi modifié de la maison de leurs voisins leur aurait causé un quelconque préjudice ; que Monsieur Y... et Madame Z... seront donc déboutés de leur demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts à ce titre ;

Considérant qu'enfin, Monsieur Y... et Madame Z... versent aux débats la main courante du 2 janvier 1997, par laquelle ils se sont plaints au commissariat de police de Vanves des agissements de leurs voisins qui auraient arraché l'écorce du figuier ; que toutefois, ils n'ont pas fait remarquer à l'expert judiciaire ou aux huissiers constatant les éventuels dégâts causés à l'arbre, de sorte que cette main courante, qui ne fait que consigner les déclarations de Monsieur Y..., ne suffit pas à rapporter la preuve des agissements reprochés aux époux X... ;

3) Sur l'application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

Considérant qu'eu égard à l'équité, il y a lieu d'allouer à Monsieur et Madame X... la somme de 6.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS,

LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

ET STATUANT A NOUVEAU :

ORDONNE la coupe du figuier situé dans le jardin de Monsieur Y... et Madame Z... à 2 mètres de hauteur et ce, sous astreinte de 300 Francs par jour de retard passé un délai de trois mois à compter de la signification du présent arrêt ;

CONDAMNE Monsieur Y... et Madame Z... in solidum à payer aux époux X... la somme de 6.000 Francs (SIX MILLE FRANCS) à titre de

dommages-intérêts en réparation de leur trouble de jouissance ;

DEBOUTE Monsieur Y... et Madame Z... de toutes leurs demandes ; CONDAMNE Monsieur Y... et Madame Z... in solidum à payer à Monsieur et Madame X... la somme de 6.000 Francs (SIX MILLE FRANCS) sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

LES CONDAMNE à tous les dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés directement contre eux par la SCP FIEVET ROCHETTE LAFON, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

Et ont signé le présent arrêt :

Le Greffier,

Le Président,

B. TANGUY

Alban CHAIX

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