CAA de NANTES, 2ème chambre, 24/11/2023, 22NT00710, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme I... C... B... épouse G..., en qualité de représentant légal de ses enfants mineurs, F... Prince D... G... E... et J... A... G..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 9 juin 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision de l'autorité consulaire française à Douala (Cameroun) refusant de délivrer des visas de long séjour aux jeunes F... Prince D... et J... A..., en qualité de membres de famille de réfugié.

Par un jugement n° 2108362 du 10 février 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 8 mars 2022, Mme C... B... épouse G..., agissant en qualité de représentant légal de ses enfants mineurs, F... Prince D... G... E... et J... A... G..., représentée par Me Sabatier, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 10 février 2022 ;

2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 9 juin 2021 ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :
- en estimant que l'identité de son fils et le lien de filiation qui les unit ne sont pas établis, la commission de recours a commis une erreur de fait et une erreur manifeste d'appréciation ; les actes de naissance et les passeports produits ne sont pas frauduleux ;
- la décision contestée méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.


Par un mémoire en défense, enregistrés le 12 mai 2022, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme C... B... épouse G... ne sont pas fondés.



Mme C... B... épouse G... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 mai 2022.



Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.



La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.



Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.


Le rapport de M. Dias a été entendu au cours de l'audience publique.




Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 10 février 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme C... B... épouse G... tendant à l'annulation de la décision du 9 juin 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision de l'autorité consulaire française à Douala (Cameroun) refusant de délivrer les visas de long séjour sollicités par les jeunes F... Prince D... G... E... et J... A... G..., en qualité de membre de famille de réfugié. Mme H... épouse G... relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes des dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : 1° Par son conjoint / (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 561-4 du même code : " Les articles L. 434-1, L. 434-3 à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article L. 434-9 sont applicables. ". Aux termes de l'article L. 561-5 du même code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ".
3. Aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
4. A l'appui de la demande de visa du jeune F... Prince D..., ont été produits deux copies intégrales d'un même acte de naissance n° 2004/000843, délivrées respectivement le 25 avril 2019, et le 31 août 2015, qui mentionnent que la naissance a été déclarée le 31 juillet 2004. Si le ministre de l'intérieur soutient qu'il s'agit d'un samedi, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'un acte de naissance ne pourrait pas légalement être établi un samedi en République centrafricaine. Par ailleurs, en admettant même que M. G..., mentionné comme le père du demandeur de visa, vivait depuis 16 mois au Togo à la date de naissance de l'enfant, cette circonstance ne permet pas davantage de démontrer le caractère apocryphe des actes. Il ressort des pièces du dossier que la copie intégrale d'acte de naissance du 25 avril 2019, produite à l'appui de la demande de visa enregistrée au mois d'avril 2019, contient la mention " N°2004 00 08 41 2014 ", ce qui la distingue de la copie intégrale du 31 août 2015, produite dans le même cadre, ainsi que des deux autres copies intégrales, délivrées le 13 novembre 2014 et le 4 août 2020, produites respectivement dans le cadre de la précédente demande de visa, puis en première instance, qui comportent la mention " N°2004 00 07 17 843 ". Dès lors que toutes les copies intégrales versées au dossier, quelle que soit la date de leur délivrance, comportent, en haut à gauche, le même numéro d'acte 2004/000843, cette discordance ne suffit pas à faire regarder l'ensemble des actes comme dépourvus de valeur probante. S'il est vrai que la copie intégrale du 31 novembre 2014 mentionne que le père de l'enfant est né le 6 juin 1971, alors que l'acte de naissance de ce dernier indique qu'il est né le 27 avril 1971, cette dernière date figure sur les 3 autres copies intégrales de l'acte de naissance de l'enfant. Cette anomalie qui n'affecte que la copie intégrale du 31 novembre 2014, ne permet pas de démontrer le caractère inauthentique des autres copies du même acte, dont les mentions sont concordantes, s'agissant des informations essentielles tenant à l'état civil et à la filiation de l'enfant. Enfin, la circonstance que l'enfant est titulaire d'un passeport délivré en avril 2019, alors qu'à l'occasion d'une précédente demande de visa, il était en possession d'un autre passeport, délivré le 11 août 2014, ne suffit pas à établir l'existence d'une fraude. Ces documents, dont l'inauthenticité n'est pas démontrée, sont de nature à établir l'identité du demandeur de visa, ainsi que le lien de filiation l'unissant à Mme C... B... épouse G.... En estimant que l'identité et le lien de filiation n'étaient pas établis, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte appréciation des dispositions précitées.
5. Pour justifier de l'identité de l'enfant J... A... et du lien de filiation l'unissant à la requérante ont été produits un passeport délivré le 30 décembre 2016 ainsi qu'une copie intégrale de l'acte de naissance n°2011/0002014. D'une part, la présentation de ce nouveau passeport, alors que le précédent, délivré près de cinq ans plus tôt, était sur le point d'arriver à expiration, ne suffit pas à manifester l'existence d'une fraude. D'autre part, l'acte de naissance de l'enfant indique que son père est né le 27 avril 1971, mention qui n'est pas inexacte, au vu de celles figurant dans l'acte de naissance de M. G.... La circonstance que d'autres documents relatifs à ce dernier mentionneraient des dates et lieux de naissance différents ne suffit pas à faire regarder comme inauthentique l'acte de naissance de l'enfant J... A.... Cet acte ainsi que le passeport de l'enfant sont de nature à établir son identité et, par suite, le lien de filiation qui l'unit à Mme C... B... épouse G.... En estimant que l'identité et le lien de filiation n'étaient pas établis, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.
6. En second lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 434-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le regroupement familial est sollicité pour l'ensemble des personnes désignées aux articles L. 434-2 à L. 434-4. Un regroupement partiel peut toutefois être autorisé pour des motifs tenant à l'intérêt des enfants. ". D'autre part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) ".
7. Si le ministre fait valoir qu'aucune demande de visa n'a été déposée pour M. G..., père des enfants et époux de Mme C... B... épouse G..., il ressort des pièces du dossier que, par un jugement du 22 novembre 2018, qui ne comporte aucune incohérence ni anomalie, le tribunal de grande instance de Mfoundi a confié, à la demande de M. G..., l'autorité parentale sur les deux enfants à Mme C... B... épouse G.... Dans ces conditions, et compte tenu des liens qui unissent les enfants à leur mère dont ils se trouvent séparés, la décision contestée portant refus de délivrance des visas litigieux porte une atteinte disproportionnée au droit des intéressés au respect de leur vie privée et familiale, et méconnaît les dispositions de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme H... épouse G... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
9. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement que des visas d'entrée et de long séjour soient délivrés aux enfants F... Prince M... et L... G.... Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de faire délivrer ces visas dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
10. Mme C... B... épouse G... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Sabatier de la somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.




D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du 10 février 2022 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : La décision du 9 juin 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de faire délivrer des visas d'entrée et de long séjour aux enfants F... Prince D... G... E... et J... A... G... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Sabatier une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de Mme C... B... épouse G... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme I... H... épouse G... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.




Délibéré après l'audience du 7 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Dias, premier conseiller.




Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 novembre 2023.





Le rapporteur,





R. DIAS





La présidente,





C. BUFFETLa greffière,





K. BOURON


La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT00710



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