CAA de BORDEAUX, 5ème chambre, 15/12/2020, 20BX02279, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 18 avril 2019 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 1904104 du 10 décembre 2019, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 20 juillet 2020, M. B... E..., représenté par Me D..., demande à la cour :

1°) d'enjoindre au préfet ou à l'Office français de l'immigration et de l'intégration de produire les extraits Thémis relatifs à l'instruction de sa demande prouvant la tenue d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle réunissant les trois médecins du collège de l'office ; de produire les documents extraits de la base de données BISPO sur l'Algérie qui ont permis au collège d'estimer qu'il pouvait bénéficier effectivement de son traitement dans son pays d'origine ;

2°) d'annuler le jugement n° 1904104 du tribunal administratif de Toulouse ;

3°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 18 avril 2019 ;

4°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer un certificat de résidence en application de l'article 6-7° de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 dans un délai de deux mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ; sinon d'enjoindre au préfet de réexaminer sa demande de titre de séjour dans le même délai et sous la même astreinte ; dans tous les cas, de le munir d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient, en ce qui concerne le refus de titre de séjour, que :
- il n'est pas établi que l'avis rendu le 7 décembre 2018 par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) ait résulté d'une délibération collégiale ; ces médecins exercent dans des régions différentes et aucun élément ne prouve qu'ils se sont réunis au moyen d'une conférence audiovisuelle ou téléphonique pour examiner la demande de titre de séjour ; la mention " après en avoir délibéré " figurant sur l'avis ne suffit pas à établir que celui-ci aurait été émis collégialement ;
- l'avis de l'OFII est irrégulier pour défaut de signatures électroniques régulières de ses auteurs ; l'OFII n'est pas en mesure de prouver la régularité de ces signatures à défaut d'avoir mis en oeuvre le référentiel prévu dans l'ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 ;
- les irrégularités qui entachent l'avis du collège de médecins de l'OFII ont privé le requérant d'une garantie et doivent conduire à l'annulation de l'arrêté en litige ;
- il n'est pas établi que le préfet et le collège de médecins de l'OFII aient respecté les orientations générales définies à l'arrêté du 28 décembre 2017 ;
- l'arrêté en litige a méconnu les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile car le requérant a établi par les pièces médicales produites qu'il ne peut accéder effectivement à un traitement approprié à son état de santé en Algérie.

Il soutient, en ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français, que :
- cet arrêté est illégal à raison de l'illégalité qui entache le refus de titre de séjour ;
- cet arrêté a méconnu les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Il soutient, en ce qui concerne le pays de renvoi, que :
- cet arrêté est illégal à raison de l'illégalité qui entache le refus de titre de séjour et l'obligation de quitter le territoire français ;
- il méconnait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 octobre 2020, le préfet de la Haute-Garonne conclut au rejet de la requête.

Il soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.

M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 6 mai 2020.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- l'ordonnance n°2005-1516 du 8 décembre 2005;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 ;
- l'arrêté du 5 janvier 2017 fixant les orientations générales pour l'exercice par les médecins de l'OFII de leurs missions ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. F... A...,
- et les observations de Me C... substituant Me D..., représentant M. E....


Considérant ce qui suit :

1. M. E... est un ressortissant algérien né le 7 février 1982 qui est entré en France en avril 2017 sous couvert d'un passeport revêtu d'un visa de 30 jours. M. E..., qui s'est maintenu sur le territoire français après l'expiration de son visa, a déposé en préfecture de Haute-Garonne une demande de certificat de résidence pour raisons de santé sur le fondement de l'article 6-7° de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Le préfet a rejeté cette demande par un arrêté du 18 avril 2019 qui a été assorti d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et de la désignation du pays de renvoi. M. E... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté préfectoral du 18 avril 2019 et relève appel du jugement rendu le 10 décembre 2020 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.



Sur le refus de titre de séjour :

2. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : / (...) 7° au ressortissant algérien, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays (...) ". Aux termes de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable en l'espèce en l'absence de stipulations de l'accord franco-algérien traitant la procédure de délivrance d'un titre de séjour pour raison de santé : " (...) le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. L'avis est émis (...) au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé ". Aux termes de l'article R. 313-23 de ce code : " Le collège (...) composé de trois médecins, émet un avis (...) Le collège peut délibérer au moyen d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle (...) ". Enfin, l'article 6 de l'arrêté ministériel du 27 décembre 2016 dispose que : " (...) Le collège peut délibérer au moyen d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle. L'avis émis à l'issue de la délibération est signé par chacun des trois médecins membres du collège. ".

3. En premier lieu, lorsque l'avis médical porte la mention " Après en avoir délibéré, le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) émet l'avis suivant ", cette mention du caractère collégial de l'avis fait foi jusqu'à preuve contraire. Il ressort des pièces du dossier que l'avis du 7 décembre 2018, signé par les trois médecins composant le collège des médecins de l'OFII porte la mention " Après en avoir délibéré, le collège des médecins de l'OFII émet l'avis suivant ". Pour contester la régularité de cet avis, M. E... a produit en première instance des captures d'écran tirées du logiciel de traitement informatique Themis dont il résulterait que certains avis émis par les médecins membres du collège ne seraient pas concomitants. Toutefois, ces éléments qui sont relatifs à d'autres procédures d'examen de demande de titres, ne permettent pas d'établir que l'avis du 7 décembre 2018, rendu en l'espèce, n'aurait pas résulté d'une délibération collégiale. Une telle conclusion ne saurait être tirée de la circonstance que les trois médecins membres du collège exercent leurs activités dans des régions différentes.

4. Contrairement à ce que soutient pour la première fois en appel le requérant, l'avis émis par le collège de médecins de l'OFII, dont la copie a été produite par le préfet devant le tribunal, ne comporte pas de signatures électroniques au sens de l'article 8 de l'ordonnance du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité des " signatures électroniques " au regard des dispositions de l'article 9 de cette ordonnance est inopérant.

5. En troisième lieu, aux termes de l'annexe II de l'arrêté du 5 janvier 2017 fixant les orientations générales pour l'exercice par les médecins de l'OFII de leurs missions, prévues au 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " C. - (...) : a) Les troubles psychiques et les pathologies psychiatriques. Les informations suivantes doivent en principe être recueillies : description du tableau clinique, critères diagnostiques, en référence à des classifications reconnues (...) Il est également important que soient précisés, lorsque ces éléments sont disponibles, la gravité des troubles, son suivi et les modalités de prise en charge mises en place. L'importance dans ce domaine de la continuité du lien thérapeutique (lien patient-médecin) et du besoin d'un environnement/entourage psycho social familial stable (eu égard notamment à la vulnérabilité particulière du patient) doit être soulignée. (...) d) (...) autres pathologies (...) chroniques (...) les éléments principaux pris en considération étant communs à l'ensemble de ces pathologies : moyens (matériels et humains), prise en charge sanitaire, continuité des soins, approvisionnement et distribution de médicaments (...). ".

6. S'il appartient au préfet, lorsqu'il statue sur la demande de certificat de résidence, de s'assurer que l'avis a été rendu par le collège de médecins conformément aux règles procédurales fixées par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et par l'arrêté du 27 décembre 2016, il ne saurait en revanche porter d'appréciation sur le respect, par le collège des médecins, des orientations générales définies par l'arrêté du 5 janvier 2017, en raison du respect du secret médical qui interdit aux médecins de donner à l'administration, de manière directe ou indirecte, aucune information sur la nature des pathologies dont souffre l'étranger. S'il est saisi, à l'appui de conclusions tendant à l'annulation de la décision de refus, d'un moyen relatif à l'état de santé du demandeur, il appartient au juge administratif, lorsque le demandeur lève le secret relatif aux informations médicales qui le concernent en faisant état de la pathologie qui l'affecte, de se prononcer sur ce moyen au vu de l'ensemble des éléments produits dans le cadre du débat contradictoire et en tenant compte, le cas échéant, des orientations générales fixées par l'arrêté du 5 janvier 2017.

7. Dans son avis du 7 décembre 2018, le collège de médecins de l'OFII a estimé que l'état de santé de M. E... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner pour ce dernier des conséquences d'une exceptionnelle gravité mais que, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé en Algérie, il peut y bénéficier effectivement d'un traitement approprié.

8. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins du service médical de l'OFII qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.

9. Il ressort des pièces du dossier que M. E... souffre d'une pathologie psychiatrique liée à sa forte dépendance aux opiacés qui l'expose à des hallucinations, des injonctions suicidaires et à des idées délirantes de persécution. Pour contester l'appréciation du préfet, faisant suite à l'avis du collège de médecins, selon laquelle il pourrait effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine, M. E... fait valoir que la méthadone qui lui est prescrite n'est pas disponible en Algérie où la prise en charge des troubles psychiatriques est de surcroît défaillante. Toutefois, les pièces produites par M. E..., à savoir l'attestation d'un médecin et une liste de médicaments non datée sans mention du pays concerné, ne suffisent pas à remettre en cause l'appréciation du préfet faisant suite à l'avis des médecins de l'OFII, lesquels se sont eux-mêmes prononcés au vu d'une bibliothèque d'informations actualisées sur l'offre de soins et le système de santé du pays concerné. Par ailleurs, à supposer que la méthadone ne soit pas disponible en Algérie, il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment des certificats médicaux qui y sont produits, qu'un tel traitement ne serait pas substituable. Enfin, aucun élément du dossier ne permet de penser que l'offre de soins psychiatrique en Algérie rendrait impossible, en raison de ses défaillances, un traitement effectivement approprié de la pathologie de M. E....

10. M. E... se prévaut, en se référant au a) du C de l'annexe II de l'arrêté ministériel du 5 janvier 2017, du lien thérapeutique particulier qu'il a noué avec son médecin en France et il appartient au juge de se prononcer sur ce moyen au vu de l'ensemble des pièces du dossier en tenant compte, le cas échéant, des orientations générales fixées par l'arrêté du 5 janvier 2017. Toutefois et ainsi qu'il a été dit précédemment, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. E... ne pourrait bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine alors même que son départ de la France l'obligerait à trouver un autre thérapeute. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 6-7° de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 doit être écarté.

11. En quatrième lieu, il résulte ce qui précède que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de M. E....

Sur l'obligation de quitter le territoire français et le pays de renvoi :

12. Le requérant reprend en appel, à l'encontre des décisions mentionnées ci-dessus, les moyens qu'il avait soulevés devant le tribunal sans se prévaloir d'éléments de droit ou de fait nouveau par rapport à son argumentation de première instance. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs pertinents du jugement attaqué.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37-2 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.



DECIDE :

Article 1er : La requête n° 20BX02279 est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E..., au ministre de l'intérieur et à Me D.... Copie en sera délivrée au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 1er décembre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. F... A..., président-assesseur,
Mme Caroline Gaillard., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2020.


Le président,
Elisabeth Jayat La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 20BX02279 7



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