Conseil d'État, Juge des référés, 30/09/2019, 434655, Inédit au recueil Lebon
Conseil d'État, Juge des référés, 30/09/2019, 434655, Inédit au recueil Lebon
Conseil d'État - Juge des référés
- ECLI:FR:CEORD:2019:434655.20190930
- Non publié au bulletin
Audience publique du lundi 30 septembre 2019
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. E... A... et Mme B... D..., épouse A..., ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Pau, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet des Pyrénées-Atlantiques de les maintenir, après le 7 août 2019, dans le logement qui leur a été attribué au titre de l'hébergement d'urgence, sauf à ce qu'un nouvel hébergement d'urgence leur soit attribué. Par une ordonnance n° 1901805 du 8 août 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Pau a, à l'article 1er, enjoint au préfet des Pyrénées-Atlantiques de prendre sans délai toute mesure pour que, jusqu'à la notification des jugements sur les recours qu'ils ont introduits contre les arrêtés portant refus de titres de séjour et obligations de quitter le territoire français dont ils font l'objet, ou jusqu'à l'exécution des mesures d'éloignement qu'ils comportent, M. et Mme A... demeurent avec leurs enfants dans l'hébergement qu'ils occupent, sauf à ce qu'un nouvel hébergement d'urgence leur soit attribué et sous réserve d'un éventuel changement dans les circonstances de fait depuis le 7 août 2019 et, à l'article 2, rejeté le surplus de leur requête.
Par une requête, enregistrée le 18 septembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre des solidarités et de la santé demande au juge des référés du Conseil d'Etat, d'annuler l'article 1er de cette ordonnance.
Elle soutient que :
- le juge des référés du tribunal administratif de Pau a entaché son ordonnance d'une erreur d'appréciation dès lors qu'il n'a pas pris en considération, d'une part, l'effort conséquent de l'Etat pour accroître les capacités d'hébergement d'urgence dans le département des Pyrénées-Atlantiques et, d'autre part, l'ampleur de la saturation du dispositif d'hébergement d'urgence dans ce département ;
- il a jugé à tort que M. et Mme A... faisaient état de circonstances exceptionnelles de nature à caractériser une carence de l'Etat constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale alors que, d'une part, ils n'ont pas accepté l'aide au retour qui leur a été proposée et, d'autre part, ils n'établissent pas que leurs enfants seraient exposés à des risques graves pour leur santé et leur sécurité ;
- la circonstance que M. et Mme A... ont introduit des recours tendant à l'annulation des arrêtés par lesquels le préfet des Pyrénées-Atlantiques leur a refusé la délivrance de titres de séjour et les a obligés à quitter le territoire français ne suffit pas à caractériser une circonstance exceptionnelle justifiant qu'ils continuent à bénéficier d'un hébergement d'urgence ;
- l'ordonnance contestée est entachée d'une erreur de droit dès lors qu'elle a reconnu à M. et Mme A... le droit à une orientation vers une structure d'hébergement stable en vertu des dispositions du code de l'action sociale alors qu'ils ont été déboutés de leurs demandes d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 septembre 2019, M. et Mme A... concluent à leur admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, au rejet de la requête de la ministre des solidarités et de la santé et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros à leur avocat, Me C..., en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Ils soutiennent que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la ministre des solidarités et de la santé et, d'autre part, M. et Mme A... ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du 26 septembre 2019 à 10 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :
- les représentantes de la ministre des solidarités et de la santé ;
- Me Thiriez, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. et Mme A... ;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".
2. Il résulte de l'instruction que M. et Mme A..., ressortissants arméniens, ont vu leurs demandes d'asiles rejetées définitivement par des décisions de la Cour nationale du droit d'asile le 17 avril 2018. Suite à la demande de titre de séjour en qualité d'étranger malade de M. A..., le préfet des Pyrénées-Atlantiques a pris à l'encontre des époux des arrêtés portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français en date du 13 juin 2019. M. A... a introduit un recours en date du 9 mai 2019 contre ces deux décisions, lequel est actuellement pendant devant le tribunal administratif de Pau. M. et Mme A..., parents de deux enfants mineurs, ont été hébergés et pris en charge par l'Etat durant l'instruction de leur demande d'asile, au titre du dispositif national d'accueil des demandeurs d'asile, puis d'un hébergement dans le cadre du dispositif légal de l'hébergement d'urgence une fois le rejet de leurs demandes d'asile devenu définitif. Par une lettre en date du 22 juillet 2019, le préfet des Pyrénées Atlantiques leur a notifié la fin de cette prise en charge à compter du 7 août 2019. M. et Mme A... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Pau, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet des Pyrénées-Atlantiques de les maintenir, après le 7 août 2019, dans le logement qui leur a été attribué au titre de l'hébergement d'urgence, sauf à ce qu'un nouvel hébergement d'urgence leur soit attribué. Par une ordonnance du 8 août 2019, le juge des référés a, à l'article 1er, enjoint au préfet des Pyrénées Atlantiques de prendre sans délai toute mesure pour que, jusqu'à la notification des jugements sur le recours qu'ils ont introduit contre les arrêtés portant refus de titres de séjour et obligation de quitter le territoire français dont ils font l'objet, ou jusqu'à l'exécution des mesures d'éloignement qu'ils comportent, M. et Mme A... demeurent .... La ministre des solidarités et de la santé relève appel de l'article 1er de cette ordonnance.
3. L'article L. 345-2 du code de l'action sociale et des familles prévoit que, dans chaque département, est mis en place, sous l'autorité du préfet, " un dispositif de veille sociale chargé d'accueillir les personnes sans abri ou en détresse ". L'article L. 345-2-2 dispose que : " Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence (...) ". Aux termes de l'article L. 345-2-3 : " Toute personne accueillie dans une structure d'hébergement d'urgence doit pouvoir y bénéficier d'un accompagnement personnalisé et y demeurer, dès lors qu'elle le souhaite, jusqu'à ce qu'une orientation lui soit proposée (...) ". Aux termes de l'article L. 121-7 du même code : " Sont à la charge de l'Etat au titre de l'aide sociale : (...) 8° Les mesures d'aide sociale en matière de logement, d'hébergement et de réinsertion, mentionnées aux articles L. 345-1 à L. 345-3 (...) ".
4. Il appartient aux autorités de l'Etat, sur le fondement des dispositions citées ci-dessus, de mettre en oeuvre le droit à l'hébergement d'urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique ou sociale. Une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission peut faire apparaître, pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée. Il incombe au juge des référés d'apprécier dans chaque cas les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l'âge, de l'état de la santé et de la situation de famille de la personne intéressée. Les ressortissants étrangers qui font l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ou dont la demande d'asile a été définitivement rejetée et qui doivent ainsi quitter le territoire en vertu des dispositions de l'article L. 743-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'ayant pas vocation à bénéficier du dispositif d'hébergement d'urgence, une carence constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ne saurait être caractérisée, à l'issue de la période strictement nécessaire à la mise en oeuvre de leur départ volontaire, qu'en cas de circonstances exceptionnelles. Constitue une telle circonstance, en particulier lorsque, notamment du fait de leur très jeune âge, une solution appropriée ne pourrait être trouvée dans leur prise en charge hors de leur milieu de vie habituel par le service de l'aide sociale à l'enfance, l'existence d'un risque grave pour la santé ou la sécurité d'enfants mineurs, dont l'intérêt supérieur doit être une considération primordiale dans les décisions les concernant.
5. Il résulte de l'instruction et notamment des pièces produites en appel par la ministre des solidarités et de la santé que l'Etat a accompli des efforts très conséquents pour accroître les capacités d'hébergement d'urgence dans le département des Pyrénées-Atlantiques au cours des années récentes sans pour autant parvenir à répondre à l'ensemble des besoins les plus urgents. Par ailleurs, il n'est pas contesté que M. et Mme A... ont bénéficié, avec leurs deux enfants, nés en 2007 et 2009, d'un hébergement pendant la période nécessaire à leur départ après le rejet de leur demande d'asile et n'ont pas accepté l'aide au retour qui leur a été proposée. Si les intéressés ont fait valoir que M. A... souffre de troubles hépatiques, ils n'ont pas contesté, lors de l'audience tenue devant le juge des référés du Conseil d'Etat, les affirmations de la ministre des solidarités et de la santé selon lesquelles ces troubles ne sont pas de nature à faire obstacle à leur retour dans leur pays d'origine. Enfin, ni leur absence de ressources, ni la scolarisation de leurs enfants, ni la circonstance que soient pendants leurs recours contre les refus qui ont été opposés à leurs demandes de titre de séjour et contre les obligations de quitter le territoire français dont ils ont fait l'objet, ne sont de nature à caractériser l'existence de circonstances exceptionnelles au sens du point précédent.
6. Dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens qu'elle soulève, la ministre des solidarités et de la santé est fondée à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Pau a estimé que l'Etat avait porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale en n'assurant pas l'hébergement d'urgence de M. et Mme A... et de leurs enfants. Il y a lieu, par suite, d'annuler l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Pau du 8 août 2019 et de rejeter la demande qu'ils ont présentée devant celui-ci. Dès lors et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la demande de M. et Mme A... à être admis à l'aide juridictionnelle, les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamné à leur verser la somme qu'ils demandent à ce titre.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'article 1er de l'ordonnance n° 1901805 du 8 août 2019 du juge des référés du tribunal administratif de Pau est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. et Mme A... devant le juge des référés du tribunal administratif de Pau ainsi que leurs tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la ministre des solidarités et de la santé, à M. E... A... et Mme B... D..., épouse A....