CAA de DOUAI, 1ère chambre - formation à 3, 02/02/2017, 16DA00040, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 7 janvier 2016, la société civile immobilière (SCI) Galibot, représentée par Me A...G..., demande à la cour :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 8 octobre 2015 par laquelle la Commission nationale d'aménagement commercial a refusé le projet de la SCI Galibot concernant un supermarché à l'enseigne " Super U " d'une surface de vente de 2 500 m² et une galerie marchande de 372 m² attenante au magasin composée de deux boutiques, à Auchel (Pas-de-Calais) ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que la Commission nationale a méconnu les dispositions de l'article L. 752-6 du code de commerce en retenant les motifs de refus énoncés dans sa décision qui sont tirés de la localisation du projet par rapport au centre ville d'Auchel, de l'importance de l'emprise foncière du terrain d'assiette, de la démolition de logements inoccupés, de l'imperméabilisation d'un terrain naturel, de la suppression de voiries municipales, de l'absence de lien avec les opérations de rénovation urbaine projetée par la commune d'Auchel, des problèmes d'accès par les véhicules de livraison, de ses nuisances pour les habitations proches, de son impact sur les flux de transport, d'une implantation dans un site minier remarquable et d'une insuffisance de son insertion architecturale et paysagère au regard de son environnement immédiat.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 avril 2016, la société par actions simplifiée (SAS) Damylu, représentée par la SELARL Parme avocats, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la SCI Galibot de la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 juin 2016, la société Erteco France, représentée par la SELARL Letang avocats, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la SCI Galibot de la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- la requête de la SCI Galibot est tardive ;
- la SCI Galibot ne démontre pas la qualité à agir de la personne représentant la société en justice ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 novembre 2016, la société par actions simplifiée (SAS) Supermarchés Match, représentée par Me F...H..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la SCI Galibot de la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code de commerce ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 ;
- le décret n° 2014-165 du 12 février 2015 ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Olivier Yeznikian, président de chambre,
- les conclusions de M. Jean-Michel Riou, rapporteur public,
- et les observations de Me A...G..., représentant la SCI Galibot, de Me I...E..., représentant la société Damylu, de Me D...B..., représentant la société Erteco, et Me F...H..., représentant la société Supermarché Match.

1. Considérant que la SCI Galibot a, par une demande du 24 novembre 2014 complétée au plus tard le 31 décembre 2014, sollicité l'autorisation de créer à Auchel (Pas-de-Calais) un ensemble commercial d'une surface totale de 2 872 m², comprenant un hypermarché à l'enseigne Super U ; que, par une décision du 1er juin 2015, la commission départementale de l'aménagement commercial du Pas-de-Calais a autorisé le projet ; que, par une décision du 8 octobre 2015, prise sur recours administratif préalable, la Commission nationale d'aménagement commercial a refusé de délivrer cette autorisation à la société Galibot ; qu'elle en demande l'annulation pour excès de pouvoir devant la cour ;


Sur les fins de non-recevoir tirées de la tardiveté de la requête et du défaut de qualité pour agir du gérant de la société Gabibot opposées par la société Erteco France :

2. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que la décision de la Commission nationale d'aménagement commercial du 8 octobre 2015 a été notifiée à la SCI Galibot le 10 novembre 2015 ; que la requête de cette société a été enregistrée au greffe de la cour le 7 janvier 2016, soit dans le délai de deux mois imparti ; que, dès lors, la requête n'est pas tardive ;

3. Considérant, en second lieu, que, lorsqu'une partie est une personne morale, il appartient à la juridiction administrative saisie, qui en a toujours la faculté, de s'assurer, le cas échéant, que le représentant de cette personne morale justifie de sa qualité pour agir au nom de cette partie ; que tel est le cas lorsque cette qualité est contestée sérieusement par l'autre partie ou qu'au premier examen l'absence de qualité du représentant de la personne morale semble ressortir des pièces du dossier ;

4. Considérant que la société Erteco France ne conteste pas sérieusement la qualité des gérants de la société Galibot pour engager cette dernière dans son action devant la cour ; qu'en outre, aucune pièce du dossier ne permet de douter de la qualité de " gérant " de M. C...L...et de Mmes K...et J...L...qui ont, au titre de l'article 1849 du code civil, un pouvoir légal de représentation leur donnant, de plein droit, qualité pour agir en justice au nom de cette société ;

5. Considérant qu'il résulte des points précédents que les fins de non-recevoir opposées par la société Erteco France doivent être écartées ;


Sur le respect des objectifs et des critères de l'article L. 752-6 du code de commerce :

6. Considérant que la société Galibot conteste devant la cour les motifs de refus retenus par la Commission nationale d'aménagement commercial, qui sont tirés de la localisation du projet par rapport au centre ville d'Auchel, de l'importance de l'emprise foncière du terrain d'assiette, de la démolition de logements inoccupés, de l'imperméabilisation d'un terrain naturel, de la suppression de voiries municipales, de l'absence de lien avec les opérations de rénovation urbaine projetée par la commune d'Auchel, des problèmes d'accès par les véhicules de livraison, de ses nuisances pour les habitations proches, de son impact sur les flux de transport, d'une implantation dans un site minier remarquable et d'une insuffisance de son insertion architecturale et paysagère au regard de son environnement immédiat ;

7. Considérant qu'aux termes de l'article L. 752-6 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises : " I.- L'autorisation d'exploitation commerciale mentionnée à l'article L. 752-1 est compatible avec le document d'orientation et d'objectifs des schémas de cohérence territoriale ou, le cas échéant, avec les orientations d'aménagement et de programmation des plans locaux d'urbanisme intercommunaux comportant les dispositions prévues au dernier alinéa de l'article L. 123-1-4 du code de l'urbanisme. La commission départementale d'aménagement commercial prend en considération : / 1° En matière d'aménagement du territoire : / a) La localisation du projet et son intégration urbaine ; / b) La consommation économe de l'espace, notamment en termes de stationnement ; / c) L'effet sur l'animation de la vie urbaine, rurale et dans les zones de montagne et du littoral ; / d) L'effet du projet sur les flux de transports et son accessibilité par les transports collectifs et les modes de déplacement les plus économes en émission de dioxyde de carbone ; / 2° En matière de développement durable : / a) La qualité environnementale du projet, notamment du point de vue de la performance énergétique, du recours le plus large qui soit aux énergies renouvelables et à l'emploi de matériaux ou procédés éco-responsables, de la gestion des eaux pluviales, de l'imperméabilisation des sols et de la préservation de l'environnement ; / b) L'insertion paysagère et architecturale du projet, notamment par l'utilisation de matériaux caractéristiques des filières de production locales ; / c) Les nuisances de toute nature que le projet est susceptible de générer au détriment de son environnement proche. / Les a et b du présent 2° s'appliquent également aux bâtiments existants s'agissant des projets mentionnés aux 2° et 5° de l'article L. 752-1 ; / 3° En matière de protection des consommateurs : / a) L'accessibilité, en termes, notamment, de proximité de l'offre par rapport aux lieux de vie ; / b) La contribution du projet à la revitalisation du tissu commercial, notamment par la modernisation des équipements commerciaux existants et la préservation des centres urbains ; / c) La variété de l'offre proposée par le projet, notamment par le développement de concepts novateurs et la valorisation de filières de production locales ; / d) Les risques naturels, miniers et autres auxquels peut être exposé le site d'implantation du projet, ainsi que les mesures propres à assurer la sécurité des consommateurs. / II.-A titre accessoire, la commission peut prendre en considération la contribution du projet en matière sociale " ;

8. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article L. 752-6 du code de commerce que l'autorisation d'aménagement commercial ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet contesté compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi ; qu'il appartient aux commissions d'aménagement commercial, lorsqu'elles statuent sur les dossiers de demande d'autorisation, d'apprécier la conformité du projet à ces objectifs, au vu des critères d'évaluation mentionnés à l'article L. 752-6 du code de commerce ;

En ce qui concerne l'objectif d'aménagement du territoire :

S'agissant de la localisation du projet et de son intégration urbaine :

9. Considérant que le projet se situe en entrée de ville sur des axes de circulation, à environ 900 mètres du centre ville de la commune d'Auchel, sur un terrain pour partie en friche et pour partie occupé par des logements sociaux devenus inadaptés et qui ont vocation à être démolis ; qu'il se trouve en continuité d'urbanisation, à proximité d'habitations individuelles et d'équipements publics dont une importante cité scolaire ; qu'en outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que le projet serait sans lien avec le programme de rénovation urbaine engagé dans le secteur, ou que, compte tenu de son emplacement et de sa vocation, il serait susceptible de le contrarier alors qu'il se trouve à proximité immédiate des nouveaux logements individuels implantés dans le quartier ; qu'il est prévu que les éventuels locataires restants du parc de logements sociaux à démolir seront relogés dans le parc neuf ou existant en fonction de leur situation ; qu'enfin, ce projet a vocation à renforcer l'offre commerciale existante dans le secteur et freiner l'évasion commerciale vers d'autres pôles plus importants ; que, par suite, les motifs de refus tirés de la localisation du projet par rapport au centre ville d'Auchel, de la démolition de logements inoccupés et de l'absence de lien avec les opérations de rénovation urbaine projetée par la commune d'Auchel, ont été retenus en méconnaissance du a) du 1° du I de l'article L. 752-6 précité ;

S'agissant de la consommation économe de l'espace :

10. Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier et notamment du rapport d'instruction devant la commission départementale d'aménagement commercial du Pas-de-Calais et des différents avis produits par les parties, que l'emprise foncière du projet serait excessive et ne respecterait pas, en secteur urbain, le critère d'une consommation économe de l'espace alors qu'il doit s'installer en partie sur une friche et en partie à la place de logements sociaux à démolir car inadaptés ; qu'en outre, si le projet a pour conséquence la suppression de voiries municipales, il s'agit de celles qui desservaient les logements à détruire ; qu'au demeurant, d'autres voieries desserviront l'ensemble commercial ; que, par suite, les motifs de refus tirés de l'importance de l'emprise foncière du terrain d'assiette, de la démolition de logements inoccupés et de la suppression de voiries municipales, ont été retenus en méconnaissance du b) du 1° du I de l'article L. 752-6 précité ;

S'agissant des transports :

11. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier et notamment des documents fournis à la Commission nationale d'aménagement commercial, que le trafic journalier moyen engendré par le projet ne représentera qu'environ 18 % du flux sur la route départementale 183E2, principal axe desservant le projet d'aménagement commercial ; que ces véhicules, pour partie, pratiquent déjà cet itinéraire pour se rendre ou quitter la commune d'Auchel ; que le projet prévoit l'aménagement d'un deuxième carrefour giratoire interne, de deux entrées permettant l'accès des consommateurs au projet, dont une au niveau de la rue de la Côte qui sera reliée au nouveau carrefour giratoire ; qu'un accès spécifique au site est prévu pour les véhicules de livraison et les employés du supermarché via la Grande rue des Corons ; qu'ainsi, il n'est pas établi qu'il existerait une incapacité de la voie en cause à absorber ce trafic ; qu'enfin, malgré l'absence de pistes cyclables, le site sera accessible par les modes de transports collectifs dont plusieurs lignes de bus, un réseau viaire existant et un réseau de trottoirs et de passages piétons ; que, par suite, le motif de refus tiré de l'importance du trafic routier et des difficultés d'accès pour les livraisons a été retenu en méconnaissance du d) du 1° du I de l'article L. 752-6 précité ;

En ce qui concerne l'objectif de développement durable :

S'agissant de la qualité environnementale du projet :

12. Considérant le projet, d'une emprise de 22 336 m², comportera une végétalisation à hauteur de 25 %, et permettra de réhabiliter une friche comprenant un parc de logements sociaux inoccupés de type " coron " et des terrains enherbés et ce, sans consommation d'espaces naturels ou agricoles supplémentaires ; qu'une partie des places de stationnement sera végétalisée ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'imperméabilisation des sols serait excessive dans ce secteur ; que, par suite, le motif de refus tiré de l'imperméabilisation d'un terrain naturel a été retenu en méconnaissance du a) du 2° du I de l'article L. 752-6 précité ;

S'agissant de l'insertion paysagère et architecturale du projet :

13. Considérant, en premier lieu, qu'il est constant que le projet se situe dans les cônes de covisibilité du Terril 5 d'Auchel et à proximité d'une cité témoin du paysage minier, qui sont des sites à préserver ; que le service instructeur a retenu que l'impact pourrait être réduit ou compensé par la plantation d'arbres supplémentaires au niveau du bâtiment pour supprimer l'effet de masse et mieux accompagner la transition avec le terril ; qu'il est déjà prévu une végétalisation notable comportant la plantation d'environ cent trente arbres de haute et moyenne tige dont au moins quarante sur l'aire de stationnement ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le renforcement de cette protection serait impossible ;

14. Considérant, en second lieu, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier et notamment des rapports des services instructeurs que la teinte bauxite du bardage métallique ou l'aspect brique teinte rouge des panneaux, avec un auvent d'une teinte grise graphique, ne seraient pas adaptés à l'architecture locale des cités minières ;

15. Considérant qu'il résulte des deux points précédents que les motifs de refus tirés d'une implantation dans un site minier remarquable et d'une insuffisance d'insertion architecturale et paysagère au regard de l'environnement immédiat ont été retenus en méconnaissance du b) du 2° du I de l'article L. 752-6 précité ;

S'agissant des nuisances du projet :

16. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, que le choix de la Grande rue des Corons a été réalisé pour permettre d'établir des points d'accès différents sur site, par le boulevard de la Paix et la rue de la Côte, pour les consommateurs et, par la Grande rue des Corons, pour les employés et les livraisons ; qu'au total et en moyenne, un semi-remorque, un petit porteur vont livrer le supermarché chaque jour, une camionnette alimentera les boutiques et deux camions-citernes par semaine se rendront à la station service ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les nuisances susceptibles d'être engendrées pour les habitations proches seront excessives, compte tenu notamment de la fréquence des livraisons et des déplacements dans un environnement urbain ; que, par suite, le motif de refus tiré des nuisances liées à la circulation a été retenu en méconnaissance du c) du 2° du I de l'article L. 752-6 précité ;

17. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SCI Galibot est fondée à demander l'annulation de la décision par laquelle la Commission nationale d'aménagement commercial a refusé de lui délivrer l'autorisation sollicitée ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

18. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à la société Galibot sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'en revanche, ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par les sociétés Erteco France, Supermarché Match et Damylu ;


DÉCIDE :


Article 1er : La décision de la Commission nationale d'aménagement commercial du 8 octobre 2015 est annulée.

Article 2 : L'Etat versera à la SCI Galibot la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions des autres parties présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI Galibot, à la société Erteco France, à la société Supermarché Match, à la société Damylu et ministre de l'économie et des finances (CNAC).

Délibéré après l'audience publique du 19 janvier 2017 à laquelle siégeaient :

- M. Olivier Yeznikian, président de chambre,
- M. Christian Bernier, président-assesseur,
- M. Xavier Fabre, premier conseiller.

Lu en audience publique le 2 février 2017.

Le président-assesseur,
Signé : C. BERNIERLe premier vice-président de la cour,
Président-rapporteur,
Signé : O. YEZNIKIAN
Le greffier,
Signé : C. Sire

La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.


Pour expédition conforme,
Le greffier en chef,
Par délégation,
Le greffier,
Christine Sire
N°16DA00040 2



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