Conseil d'État, 1ère - 6ème chambres réunies, 16/12/2016, 393501

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 14 septembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association de défense et d'entraide des personnes handicapées (ADEP), la Fondation hospitalière Sainte-Marie (FHSM), la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne (FEHAP), la Fédération nationale avenir et qualité de vie des personnes âgées (FNAQPA), l'Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA), la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF) et la Fédération nationale des associations de directeurs, d'établissements et de services pour personnes âgées (FNADEPA) demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le Premier ministre sur leur demande tendant à l'abrogation du décret n° 2014-652 du 20 juin 2014 relatif aux tarifs global et partiel applicables aux établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre d'abroger ce décret dans un délai de deux mois à compter de la décision à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Yannick Faure, auditeur,

- les conclusions de M. Jean Lessi, rapporteur public ;





1. Considérant que, par un décret du 20 juin 2014, dont l'Association de défense et d'entraide des personnes handicapées, la Fondation hospitalière Sainte-Marie, la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne, la Fédération nationale avenir et qualité de vie des personnes âgées, l'Association des directeurs au service des personnes âgées, la Fédération nationale de la mutualité française et la Fédération nationale des associations de directeurs, d'établissements et de services pour personnes âgées ont demandé l'abrogation le 19 mai 2015, le Premier ministre a modifié les dispositions de l'article R. 314-167 du code de l'action sociale et des familles relatives aux modalités, applicables aux établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), de tarification des prestations de soins qui, aux termes de cet article, correspondent " 1° soit (à) un tarif journalier global, comprenant notamment les rémunérations versées aux médecins généralistes et aux auxiliaires médicaux libéraux exerçant dans l'établissement, ainsi que les examens de biologie et de radiologie et les médicaments dont les caractéristiques sont fixées par arrêté ", " 2° soit (à) un tarif journalier partiel qui ne comprend ni les examens ni les charges de personnel mentionnées au 1°, à l'exception de celles relatives au médecin coordonnateur (...) et de celles relatives aux infirmières ou infirmiers libéraux " ;

2. Considérant qu'il résulte des dispositions des articles L. 314-1 et suivants du code de l'action sociale et des familles, dans leur rédaction alors en vigueur, que les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes sont financés par les organismes de sécurité sociale en ce qui concerne les soins dispensés à leurs résidents, par les départements en ce qui concerne la prise en charge de la dépendance de leurs résidents et par les résidents eux-mêmes, ou le cas échéant par l'aide sociale, en ce qui concerne les prestations relatives à l'hébergement ; que le financement des soins est, en application du I de l'article L. 314-3 du même code, " soumis à un objectif de dépenses. / Cet objectif est fixé chaque année par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale, de l'action sociale, de l'économie et du budget (...). / Sur la base de cet objectif, les mêmes ministres arrêtent, (...) le montant total annuel des dépenses prises en compte pour le calcul des dotations globales, forfaits, prix de journée et tarifs afférents aux prestations mentionnées au premier alinéa " ; que le II du même article dispose que : " Le montant annuel mentionné au dernier alinéa du I ainsi que le montant des dotations prévues au troisième alinéa de l'article L. 312-5-2 sont répartis par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie en dotations régionales limitatives. / Les montants de ces dotations sont fixés en fonction des besoins des personnes (...) âgées dépendantes (...) et des priorités définies au niveau national en matière d'accompagnement (...) des personnes âgées (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 1434-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction alors applicable : " Le projet régional de santé définit les objectifs pluriannuels des actions que mène l'agence régionale de santé dans ses domaines de compétences, ainsi que les mesures tendant à les atteindre. (...) " ; qu'enfin, aux termes de l'article L. 314-8 du code de l'action sociale et des familles, les modalités de fixation de la tarification notamment des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes " sont déterminées par un décret en Conseil d'Etat qui prévoit notamment : / 1° Les conditions et modalités de la tarification de certains établissements ou services, sous forme de prix de journée, tarifs de prestations ou forfaits journaliers et les modalités de globalisation des financements sous forme de forfaits annuels ou de dotations globales (...) " ;

3. Considérant, en premier lieu, que le décret litigieux subordonne expressément le choix par les établissements du tarif journalier global ou du tarif journalier partiel prévu par l'article R. 314-167 du code de l'action sociale et des familles, d'une part, à l'accord du directeur général de l'agence régionale de santé et, d'autre part, au respect des dotations régionales limitatives prévues au II de l'article L. 314-3 du même code et des objectifs régionaux en matière de qualité et d'efficience du système de santé fixés dans le projet régional de santé prévu à l'article L. 1434-1 du code de la santé publique ; que, ce faisant, le pouvoir réglementaire, à qui il appartient, en application du 1° de l'article L. 314-8 du code de l'action sociale et des familles, de fixer les modalités de tarification des prestations de soins applicables aux établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, n'a fait que tirer les conséquences des dispositions de l'article L. 314-3 du même code sur le respect de l'objectif des dépenses de santé ; que si les requérantes soutiennent que le décret litigieux aurait pour effet de permettre au directeur général de l'agence régionale de santé de s'opposer à l'option tarifaire choisie par un établissement, à seule fin d'assurer le respect des dotations régionales limitatives mentionnées au II de l'article L. 314-3, sans prendre en compte les besoins des personnes âgées dépendantes, il résulte des dispositions de ce même article que ces dotations sont elles-mêmes calculées de manière à prendre en compte ces besoins et les priorités définies au niveau national pour l'accompagnement de ces personnes ; que les dispositions réglementaires litigieuses imposent, en outre, au directeur général de l'agence régionale de santé de respecter les objectifs régionaux en matière de qualité et d'efficience du système de santé tels qu'il sont fixés dans le projet régional de santé prévu par les dispositions précitées de l'article L. 1434-1 du code de la santé publique ; que l'option tarifaire qui s'applique au financement des établissements est, en tout état de cause, sans incidence sur le droit des résidents à la prise en charge des soins dont ils bénéficient dès lors que, dans le cadre du " tarif journalier partiel ", les prestations non incluses dans ce tarif leur sont remboursées selon les modalités de droit commun de l'assurance maladie ; que, par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que, par ces dispositions, le pouvoir réglementaire aurait illégalement porté atteinte aux droits des assurés sociaux ; qu'il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que le décret litigieux, en définissant de telles modalités, serait entaché d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation doit être écarté ; que le pouvoir réglementaire, qui avait compétence, sur le fondement du 1° de l'article L. 314-8 du code de l'action sociale et des familles, pour fixer les conditions d'option entre les deux modalités de tarification des dépenses de soins des personnes accueillies en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes qu'il prévoyait, n'a pas, ce faisant, porté une atteinte illégale à la liberté de gestion des établissements ;

4. Considérant, en deuxième lieu, que s'il résulte des dispositions de l'article L. 313-3 du code de l'action sociale et des familles que l'autorisation nécessaire au fonctionnement d'un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes est délivrée conjointement par le président du conseil départemental et le directeur général de l'agence régionale de santé, la tarification des prestations de soins applicable à ces mêmes établissements est, en vertu de l'article L. 314-2 du même code dans sa rédaction alors en vigueur, déterminée par arrêté de la seule autorité compétente de l'Etat ; que, dès lors, le décret litigieux pouvait légalement subordonner l'option tarifaire à l'accord du seul directeur général de l'agence régionale de santé ;

5. Considérant, en troisième lieu, que les dispositions du décret litigieux prévoient explicitement que : " La convention prévue à l'article L. 313-12, dont la durée est fixée à cinq ans, et le cas échéant le contrat prévu à l'article L. 313-11 mentionnent l'option tarifaire choisie " et que " en cours de convention ou de contrat, l'option tarifaire peut être changée par avenant " ; qu'il résulte ainsi de ces dispositions que l'option tarifaire s'impose pendant la durée de validité des conventions prévues aux articles L. 313-11 et L. 313-12 du code de l'action sociale et des familles et ne saurait être modifiée unilatéralement par le directeur général de l'agence régionale de santé pendant cette durée ; que, par suite, si le choix de l'option tarifaire doit s'effectuer, en vertu des dispositions critiquées, dans le respect des dotations régionales limitatives qui, quant à elles, sont fixées annuellement, cette circonstance ne saurait être regardée comme portant atteinte au caractère pluriannuel des conventions conclues par les établissements en application des articles L. 313-11 et L. 313-12 du code de l'action sociale et des familles ;

6. Considérant, en dernier lieu, qu'à l'appui d'une requête formée à l'encontre d'une décision rejetant une demande d'abrogation ou de réformation d'un acte réglementaire, un requérant ne peut utilement se prévaloir d'une illégalité affectant les conditions de son entrée en vigueur, qu'elle résulte de la méconnaissance du principe selon lequel un tel acte ne dispose que pour l'avenir ou de l'obligation d'édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu'implique la réglementation nouvelle, que pour autant qu'à la date à laquelle cette décision est intervenue, le pouvoir réglementaire pouvait encore prendre utilement des mesures propres à modifier les conditions de cette entrée en vigueur ;

7. Considérant que les requérantes ne font état, à l'appui de leur requête, d'aucun élément propre à justifier qu'à la date à laquelle leur demande d'abrogation du décret litigieux a été rejetée, plus d'un an après son entrée en vigueur, pas plus d'ailleurs qu'à la date de leur demande, leur contestation des conditions de son entrée en vigueur présentait encore un effet utile ; qu'au demeurant, ce décret n'a eu ni pour objet ni pour effet d'affecter les conventions et contrats conclus antérieurement à son édiction, y compris en ce qui concerne l'option tarifaire ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le Premier ministre sur leur demande tendant à l'abrogation du décret litigieux ; que leurs conclusions à fin d'injonction ainsi que leurs conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par suite, être également rejetées ;



D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'Association de défense et d'entraide des personnes handicapées, de la Fondation hospitalière Sainte-Marie, de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne, de la Fédération nationale avenir et qualité de vie des personnes âgées, de l'Association des directeurs au service des personnes âgées, de la Fédération nationale de la mutualité française et de la Fédération nationale des associations de directeurs, d'établissements et de services pour personnes âgées est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Association de défense et d'entraide des personnes handicapées, à la Fondation hospitalière Sainte-Marie, à la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne, à la Fédération nationale avenir et qualité de vie des personnes âgées, à l'Association des directeurs au service des personnes âgées, à la Fédération nationale de la mutualité française, à la Fédération nationale des associations de directeurs, d'établissements et de services pour personnes âgées, au Premier ministre et à la ministre des affaires sociales et de la santé.

ECLI:FR:CECHR:2016:393501.20161216
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