Cour Administrative d'Appel de Nancy, 2ème chambre - formation à 3, 29/05/2008, 06NC01429, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 6 novembre 2006, complétée par mémoire enregistré le 3 janvier 2008, présentée pour Mme Joëlle X, demeurant ..., par Me Kopp ; Mme X demande à la Cour : 1°) d'annuler le jugement n° 0302173 du 7 septembre 2006 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la décharge de la retenue à la source à laquelle elle a été assujettie au titre des années 1997 et 1998 ainsi qu'à la réduction de l'amende fiscale qui lui a été infligée au titre de ces mêmes années et à la remise gracieuse de cette même amende ; 2°) de prononcer la décharge de l'amende qui lui a été infligée au titre des années 1997 et 1998 sur le fondement des dispositions de l'article 1768 du code général des impôts ; 3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; Elle soutient que : - le jugement est irrégulier dès lors que les premiers juges ne se sont pas prononcés sur le moyen soulevé d'office tiré de ce que l'article 1768 avait été abrogé ; - l'article 1768 du code général des impôts ayant été abrogé par l'ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005, le principe de la rétroactivité des lois pénales plus douces interdit à l'administration de lui réclamer une amende sur le fondement de cet article ; - le montant de l'amende doit, en tout état de cause, être assis sur le montant total de la somme versée à l'exclusion de la retenue non pratiquée ; Vu le jugement attaqué ; Vu le mémoire en défense, enregistré le 10 mai 2007, complété par mémoire enregistré le 26 février 2008, présenté pour le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique qui conclut au rejet de la requête au motif qu'aucun des moyens invoqués n'est fondé ; Vu la correspondance en date du 12 février 2008, par laquelle le président de la 2ème chambre de la Cour a informé les parties, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la Cour était susceptible de fonder sa décision sur un moyen relevé d'office ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu le code général des impôts ; Vu le livre des procédures fiscales ; Vu le code de justice administrative ; Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ; Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 20 mars 2008 : - le rapport de M. Barlerin, premier conseiller, - et les conclusions de M. Lion, commissaire du gouvernement ; Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête : Considérant que Mme X, dans le cadre de son entreprise individuelle « Music for ever», organise des spectacles et a engagé, à ce titre, des musiciens allemands, autrichiens, néerlandais, britanniques, et belges au cours des années 1997 et 1998 ; qu'estimant que les intéressés n'avaient pas d'installation professionnelle permanente en France et que Mme X aurait dû en conséquence acquitter la retenue à la source prévue par l'article 182 A du code général des impôts, l'administration a mis à la charge de cette dernière, au titre des années 1997 et 1998, l'amende prévue à l'article 1768, alors en vigueur, du même code, laquelle s'est élevée à la somme de 29 716 euros ; Considérant qu'aux termes de l'article 182 B du code général des impôts : I. Donnent lieu à l'application d'une retenue à la source lorsqu'ils sont payés par un débiteur qui exerce une activité en France à des personnes ou des sociétés, relevant de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, qui n'ont pas dans ce pays d'installation professionnelle permanente : (...) / c. Les sommes payées en rémunération des prestations de toute nature fournies ou utilisées en France (...) ; qu'aux termes de l'article 1671 A du même code, dans sa rédaction applicable à la date des faits reprochés à la société : Les retenues prévues aux articles 182 A et 182 B sont opérées par le débiteur des sommes versées et remises à la recette des impôts accompagnées d'une déclaration conforme au modèle fixé par l'administration, au plus tard le 15 du mois suivant celui du paiement. Les dispositions des articles 1768, 1771 et 1926 sont applicables à ces retenues. ; qu'aux termes de l'article 1768 du même code, alors en vigueur : Toute personne physique ou morale, toute association ou tout organisme qui s'est abstenu d'opérer les retenues de l'impôt sur le revenu prévues à l'article 1671 A ou qui, sciemment, n'a opéré que des retenues insuffisantes, est passible d'une amende égale au montant des retenues non effectuées. ; qu'aux termes du 28° de l'article 22 de l'ordonnance du 7 décembre 2005 : A l'article 1671 A, le mot : 1768, est supprimé ; qu'en vertu de l'article 17 de la même ordonnance, les dispositions de l'article 1768 ont été abrogées ; que les dispositions de ces articles 17 et 22, insérées dans le chapitre II de cette ordonnance, sont, en application de l'article 25, entrées en vigueur le 1er janvier 2006 ; Considérant que les dispositions précitées de l'article 1768 du code général des impôts avaient pour objet et pour effet de sanctionner le comportement du débiteur lorsque l'administration établissait qu'il s'était abstenu, en méconnaissance de l'article 1671 A du même code, d'opérer les retenues à la source prévues notamment à l'article 182 B de ce code ou que, sciemment, il n'avait opéré que des retenues insuffisantes ; qu'elles instituaient ainsi une sanction tendant à réprimer de tels agissements et à en empêcher la réitération, alors même qu'elles faisaient obstacle à ce que l'administration réclamât au débiteur, en sus de l'amende qu'elles instituaient, le montant du prélèvement éludé et que l'amende mise à la charge du débiteur correspondait au montant de ce prélèvement ; qu'une telle amende ne pouvait d'ailleurs être assortie, ni de l'intérêt de retard mentionné à l'article 1727 du même code, dans sa rédaction alors applicable, ni des pénalités prévues aux articles 1728 et 1729, dans leur rédaction alors applicable, et venant en majoration de droits mis à la charge d' un contribuable ; qu'elle ne pouvait pas davantage, en application du 2. de l'article 39 de ce code, être déduite du bénéfice du redevable, alors qu'il pouvait procéder à la déduction de la retenue prévue à l'article 182 B du même code s'il l'avait régulièrement opérée et versée ; qu'ainsi, l'amende prévue par l'article 1768 du code général des impôts présente le caractère d'une sanction et qu'il y a dès lors lieu de rechercher si le principe, applicable aux sanctions administratives, selon lequel la loi répressive nouvelle doit, lorsqu'elle abroge une incrimination ou prononce des peines moins sévères que la loi ancienne, s'appliquer aux infractions commises avant son entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à des condamnations passées en force de chose jugée, doit recevoir application ; Considérant que même si, comme le relève l'administration, les dispositions nouvelles lui permettent de réclamer au débiteur de la retenue défaillant, outre le montant de la retenue non effectuée, des intérêts de retard, voire les majorations de 10 % ou plus prévues à l'article 1728 du code général des impôts, de sorte que la loi nouvelle lui permet en définitive de mettre à la charge du contribuable une somme supérieure à l'amende encourue sous le régime antérieur à l'ordonnance du 7 décembre 2005, cette circonstance ne permet pas pour autant de refuser de qualifier de « plus douce » la loi issue de nouveau régime dès lors que ladite ordonnance du 7 décembre 2005 supprime une amende ayant le caractère d'une sanction fiscale et que cette suppression permet seulement, ainsi qu'il a été dit plus haut, de procéder à un rappel de droits assorti d'intérêts et d'une majoration, laquelle a bien le caractère d'une sanction fiscale mais dont le montant est limité à 10 % des droits rappelés, sauf application, en cas de refus de donner suite à une mise en demeure de déclarer, de taux supérieurs dont le taux maximum est de toute manière limité à 40 % ; que, dès lors, par application du principe selon lequel la loi pénale nouvelle doit, lorsqu'elle prononce des peines moins sévères que la loi ancienne, s'appliquer aux infractions commises avant son entrée en vigueur, les dispositions de l'article 1768 du code général des impôts ne sont plus applicables à Mme KHILOFER ; que celle-ci est par suite fondée à demander la décharge de l'amende qui lui a été notifiée sur leur fondement ; Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme X est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement n° 0302173 du 7 septembre 2006 le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande de décharge l'amende fiscale à laquelle elle a été assujettie au titre des années 1997 et 1998 ; Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à Mme X au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; DECIDE : Article 1er : Mme X est déchargée de l'amende fiscale d'un montant de 25 259,75 euros mise à sa charge au titre des années 1997 et 1998. Article 2 : Le jugement n° 0302173 du 7 septembre 2006 du Tribunal administratif de Strasbourg est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt. Article 3 : L'Etat versera à Mme X une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Joëlle X et au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique. 2 N° 06NC1429


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