Le Conseil d'Etat (Section du contentieux, 5e et 6e chambres réunies),
Sur le rapport de la 5e chambre de la section du contentieux,
Vu la procédure suivante :
Par un jugement n° 2001339 du 22 novembre 2022, enregistré à la même date au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de Grenoble, avant de statuer sur la demande de M. B… tendant à la réparation par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de la vaccination contre la fièvre jaune dont il a bénéficié, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen la question suivante : une affection iatrogène directement imputable à une vaccination qui ne relève pas des articles L. 3111-9 et L. 3131-1 du code de la santé publique peut-elle faire l'objet d'une indemnisation sur le fondement du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale lorsque les conditions posées par cet article sont remplies ?
Des observations, enregistrées les 22 décembre 2022, 9 et 12 janvier 2023 et le 13 février 2023, ont été présentées respectivement par la société Sanofi et la société Sanofi Pasteur, l'ONIAM, M. B… et le ministre de la santé et de la prévention.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
Le rapport de Mme Flavie Le Tallec, maître des requêtes en service extraordinaire ;
Les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.
- la parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano & Goulet, avocat de M. Biya, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, et au Cabinet Rousseau, Tapie, avocat de la société Sanofi et de la société Sanofi Pasteur.
Rend l'avis suivant :
1. D'une part, la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, a introduit dans le code de la santé publique, au livre Ier consacré à la protection des personnes en matière de santé, dans la section consacrée aux principes généraux du chapitre relatif à la réparation des conséquences des risques sanitaires résultant du fonctionnement du système de santé un article L. 1142-1 qui instaure, au I, un régime général de responsabilité pour faute et, au II, une réparation au titre de la solidarité nationale. En particulier, aux termes du II de cet article : « Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret ». En outre, aux termes du I de l'article L. 1142-3-1 : « Le dispositif de réparation des préjudices subis par les patients au titre de la solidarité nationale mentionné au II de l'article L. 1142-1 (…) n'est pas applicable aux demandes d'indemnisation de dommages imputables à des actes dépourvus de finalité contraceptive, abortive, préventive, diagnostique, thérapeutique ou reconstructrice, y compris dans leur phase préparatoire ou de suivi ».
2. D'autre part, l'article L. 3111-9 du code de la santé publique, qui trouve son origine dans la loi du 1er juillet 1964 relative à la vaccination antipoliomyélitique obligatoire et à la répression des infractions à certaines dispositions du code de la santé publique, dispose dans sa rédaction applicable au litige : « Sans préjudice des actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun, la réparation intégrale des préjudices directement imputables à une vaccination obligatoire pratiquée dans les conditions mentionnées au présent titre, est assurée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales institué à l'article L. 1142-22, au titre de la solidarité nationale. (…) ». Par ailleurs, en vertu de l'article L. 3131-4 du même code, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) assure, au titre de la solidarité nationale, la réparation intégrale des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales imputables à des activités de prévention, de diagnostic ou de soins réalisées en application de mesures prises conformément aux articles L. 3131-1 ou L. 3134-1, en particulier lorsque sont mises en place des campagnes de vaccinations dans le cadre de mesures d'urgence prescrites par le ministre chargé de la santé, en cas de menace sanitaire grave ou lorsqu'il est fait appel à la réserve sanitaire pour renforcer l'offre de soins sur le territoire d'une région ou d'une zone de défense et de sécurité en cas de situation sanitaire exceptionnelle.
3. Il ressort de l'ensemble de ces dispositions que, lorsqu'une personne a fait l'objet d'une vaccination dont les conséquences dommageables ne sont pas susceptibles d'être réparées sur le fondement des articles L. 3111-9 ou L. 3131-4 du code de la santé publique dont les dispositions ont été rappelées au point précédent, et lorsque par ailleurs, la responsabilité du service public hospitalier ne peut pas être recherchée pour faute ou, sans faute, au titre des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits qu'il utilise, ou que la responsabilité du producteur ou du fournisseur du vaccin ne peut être recherchée au titre des produits défectueux devant le juge judiciaire, les conséquences dommageables qui en ont résulté peuvent être réparées sur le fondement du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique dès lors que les conditions posées par cet article sont remplies.
Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Grenoble, à M. B… et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Copie en sera adressée aux sociétés Sanofi, Sanofi Pasteur et au ministre de la santé et de la prévention.
Il sera publié au Journal officiel de la République française.
Délibéré à l'issue de la séance du 27 mars 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, conseillères d'Etat ; M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d'Etat et Mme Flavie Le Tallec, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.Liens relatifs
Rendu le 12 avril 2023.
Le président,
R. Schwartz
La maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure,
F. Le Tallec
Le secrétaire,
B. Longieras