Assemblée plénière du 19 décembre 2024 (Adopté à l'unanimité)
1. Lors de son dernier Examen périodique universel (EPU), une recommandation, acceptée par la France (1), l'incitait à « mettre en place un mécanisme permanent d'application et de suivi des recommandations relatives aux droits de l'homme et envisager la possibilité de bénéficier d'une coopération à cette fin » (2). Le Comité des droits de l'enfant, lors de l'examen du rapport de la France en mai 2023, avait également recommandé le renforcement de « sa structure permanente chargée de coordonner et d'élaborer les rapports devant être soumis aux mécanismes internationaux et régionaux des droits de l'homme et de nouer un dialogue avec ces mécanismes, et de coordonner et suivre l'exécution des obligations conventionnelles et l'application des recommandations et des décisions émanant desdits mécanismes » (3).
2. Déjà en 2008, la CNCDH, dans son étude Diplomatie et droits de l'homme (4) et son avis sur la diplomatie française et les droits de l'homme (5), recommandait la création « d'un mécanisme de suivi de haut niveau, chargé d'animer la coordination interministérielle pour mettre en œuvre les recommandations des organes internationaux et régionaux indépendants ».
3. Pour sa part, et conformément à plusieurs résolutions antérieures (6), le Conseil des droits de l'homme recommandait encore aux Etats en 2022 de « mettre en place des mécanismes nationaux de mise en œuvre, d'établissement de rapports et de suivi […] pour mieux s'acquitter de leurs obligations ou engagements ayant trait aux droits de l'homme » (7). De son côté, le Haut-Commissariat aux droits de l'homme, auteur d'une importante étude (8) et d'un guide pratique (9) sur le sujet, recommande depuis plus de 10 ans la création « de mécanismes nationaux durables de présentation de rapports » (10). Dans ce contexte, au moment de l'initiative « Droits humains 75 », lancée à l'occasion du soixante-quinzième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme (11), plusieurs Etats ont pris des engagements relatifs à l'institution de tels mécanismes nationaux. La France s'est ainsi engagée à mettre en place « un mécanisme renforcé de suivi des recommandations de l'Examen périodique universel » avant le 10 décembre 2024 (12).
4. A l'heure actuelle, il n'existe pas en France un système institutionnalisé permettant l'élaboration des rapports à l'attention des organes internationaux de protection des droits de l'homme et le suivi des recommandations émanant de ces organes, alors qu'ils sont de plus en plus fréquents dans le monde comme au Portugal (13), au Maroc (14), en Italie (15), au Cambodge ou encore aux Philippines. En pratique, dans le cas français, ces tâches sont dévolues, en grande partie, au ministère de l'Europe et des affaires étrangères et plus spécifiquement à la direction des Nations unies, des organisations internationales, des droits de l'Homme et de la francophonie (NUOI) (16). La France avait indiqué en 2023, dans son annexe à la réponse aux recommandations reçues à l'issue de l'EPU, avoir établi une « procédure régulière interministérielle de revue de la mise en œuvre et du suivi des recommandations de l'Examen Périodique Universel, à la fois à mi-parcours et à l'occasion du passage de la France à l'EPU » (17). Cependant, la CNCDH n'a obtenu aucune information précise sur la réalité de cette information et la mise en place effective d'un mécanisme.
5. Un mécanisme d'application et de suivi de recommandations appelée également « mécanisme national d'élaboration des rapports et de suivi » (ci-après NMIRF) serait une structure publique permanente qui peut être ministérielle, interministérielle ou autonome (18). La CNCDH considère qu'un rattachement au Premier ministre permettrait une participation active et efficace de l'ensemble des ministères. Le NMIRF serait chargé, d'une part, de coordonner et d'élaborer les rapports devant être soumis par le gouvernement aux mécanismes internationaux, dont les comités conventionnels des Nations unies (19), l'EPU (20) et les procédures spéciales du Conseil des droits de l'homme (21). D'autre part, le NMIRF, qui constitue en quelque sorte le « pendant des mécanismes internationaux et régionaux » (22), aurait aussi pour mission d'assurer le suivi des recommandations adressées par ces organes, afin de faciliter leur mise en œuvre au niveau national, en particulier en coordonnant l'élaboration de plans nationaux spécifiques (23). Enfin, un NMIRF pourrait avoir pour mission de formuler des observations que l'Etat partie soumet aux organes conventionnels à la suite des communications individuelles le concernant, et de veiller à ce qu'il soit donné suite aux constations et décisions adoptées à l'issue de l'examen de ces communications (24).
6. Comme le relève le Conseil des droits de l'homme, les mécanismes nationaux jouent un rôle majeur dans la promotion et la protection des droits de l'homme (25) nouant ainsi un dialogue permanent avec les mécanismes internationaux et renforçant la complémentarité nécessaire au bon fonctionnement du système de protection des droits de l'homme. La mise en place d'un mécanisme national offrirait à la France l'opportunité d'évaluer l'état de la mise en œuvre des recommandations, d'identifier les lacunes présentes dans son système juridique et d'envisager l'amélioration de ses politiques publiques dans le domaine des droits humains. Par ailleurs, ce mécanisme permettrait à la France de s'acquitter efficacement de ses obligations internationales, en palliant son retard dans la soumission de ses rapports. Le NMIRF renforcerait sa capacité à faire face aux exigences posées par les mécanismes internationaux par la rationalisation de la préparation et la soumission des rapports. Enfin, un mécanisme faciliterait les échanges entre les différents ministères qui pourront appréhender leur travail selon une approche par les droits renforçant ainsi le système national de promotion et protection des droits de l'homme.
7. La CNCDH insiste en effet sur la nécessité d'une coordination avec l'ensemble des ministères mais également avec certains organismes publics spécialisés dont le Parlement (26), les autorités judiciaire (27), les collectivités territoriales (28) et l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). Le mécanisme devrait en outre systématiquement consulter la CNCDH et la société civile afin de renforcer « une gouvernance fondée sur les droits de l'homme participative, inclusive et tenue de rendre compte » (29).
8. Les institutions nationales des droits de l'homme (INDH) et les NMIRF sont deux entités publiques distinctes et complémentaires (30). Les INDH, conformément aux principes de Paris, conseillent les pouvoirs publics dans le domaine des droits humains et participent au contrôle du respect des engagements internationaux. Les NMIRF, de leur côté, s'assurent que l'ensemble des entités gouvernementales participent à l'élaboration des rapports soumis dans le cadre des organes internationaux de protection des droits de l'homme ainsi qu'au suivi et la mise en œuvre des recommandations. Les INDH participent généralement aux travaux des NMIRF et sont de plus en plus associées, en devenant membre de ces derniers (31) ou observateur permanent (32) tout en gardant leur indépendance (33).
Recommandation 1 : La CNCDH salue l'engagement de la France, pris dans le cadre du quatrième cycle de son Examen périodique universel (EPU) ainsi que lors de l'initiative « Droits humains 75 », de mettre en place un mécanisme renforcé de suivi des recommandations de l'EPU. Elle recommande d'élargir le champ du mécanisme aux procédures spéciales ainsi qu'aux organes internationaux et régionaux de traités.
Recommandation 2 : Afin de s'inscrire dans une approche globale et efficace sur le long terme pour l'élaboration des rapports et le suivi des recommandations, la CNCDH recommande à la France la mise en place d'un mécanisme permanent avec un mandat précis qui prendrait la forme d'une structure interministérielle rattachée au Premier ministre avec des points focaux interministériels. Pour remplir efficacement son mandat, le mécanisme devrait être doté des moyens techniques et humains dédiés à cette tâche. Par ailleurs, ce mécanisme devrait avoir la capacité de mener des consultations régulières auprès de la CNCDH, la société civile et les parlementaires mais aussi de communiquer et collaborer avec les mécanismes internationaux des droits de l'Homme concernés.
Recommandation 3 : La CNCDH recommande à la France de la doter, au sein du NMRIF, d'un statut d'observateur permanent dans le respect de son indépendance.
(1) Rapport du Groupe de travail sur l'Examen périodique universel - France, Additif, Observations sur les conclusions et/ou recommandations, engagements et réponses de l'Etat examiné, 13 septembre 2023, A/HRC/54/5/Add.1.
(2) Rapport du Groupe de travail sur l'Examen périodique universel - France, 17 juillet 2023, A/HRC/54/5, Recommandation 45.18.
(3) Comité des droits de l'enfant, Observations finales concernant le rapport de la France valant sixième et septième rapports périodiques, 4 décembre 2023, CRC/C/FRA/CO/6-7, §53.
(4) CNCDH, Etude Diplomatie et droits de l'homme, 2008, p. 63.
(5) CNCDH, Avis sur la diplomatie française et les droits de l'homme, 7 février 2008, recommandation 19.
(6) V. par exemple Résolution 30/25 adoptée par le Conseil le 2 octobre 2015, Promotion de la coopération internationale à l'appui des systèmes et processus Promotion de la coopération internationale à l'appui des systèmes et processus nationaux de suivi dans le domaine des droits de l'homme de suivi dans le domaine des droits de l'homme, A/HRC/RES/30/25 ; Résolution 36/29 adoptée par le Conseil le 29 septembre 2017, Promotion de la coopération internationale à l'appui des systèmes et processus nationaux de suivi dans le domaine des droits de l'homme et des mécanismes qui leur sont rattachés, et de leur contribution à la mise en œuvre du Programme de développement durable à l'horizon 2030, A/HRC/RES/36/29 ; Résolution 42/30 adoptée par le Conseil le 27 septembre 2019, Promotion de la coopération internationale à l'appui des mécanismes nationaux de mise en œuvre, d'établissement de rapports et de suivi, A/HRC/RES/42/30 ; Résolution 51/33 adoptée par le Conseil le 7 octobre 2022, Promotion de la coopération internationale à l'appui des mécanismes nationaux de mise en œuvre, d'établissement de rapports et de suivi, A/HRC/RES/51/33.
(7) Résolution 51/33 adoptée le 7 octobre 2022, Promotion de la coopération internationale à l'appui des mécanismes nationaux de mise en œuvre, d'établissement de rapports et de suivi, A/HRC/RES/51/33, §1.
(8) L'étude du OHCHR recense les bonnes pratiques de ces mécanismes en se basant notamment sur huit exemples (Portugal Bahamas, Cambodge, Maroc, Maurice, Mexique, Sénégal et République de Corée), v. Mécanismes nationaux d'élaboration des rapports et de suivi, Etude sur la collaboration des Etats avec les mécanismes internationaux des droits de l'homme, 2016.
(9) Mécanismes nationaux d'élaboration des rapports et de suivi, Guide pratique sur la collaboration efficace de l'état avec les mécanismes internationaux des droits de l'homme, 2016.
(10) Réforme de l'Organisation des Nations unies : mesures et propositions, Note du Secrétaire général, A/66/860, 26 juin 2012, p. 44.
(11) L'initiative « Droits humains 75 », lancée en décembre 2022, avait pour objectifs principaux : promouvoir l'universalité et l'indivisibilité des droits de l'homme, se tourner vers l'avenir et renforcer l'écosystème des droits de l'homme. Environ 286 engagements ont été pris par les Etats membres, ONG, entreprises et entités des Nations Unies. V. le site web de l'initiative.
(12) Pledge number 3, Pledge submitted by France to the Human Rights 75 Secretariat December 2023.
(13) Le Portugal s'est doté en 2010 d'un mécanisme national (le Comité national des droits de l'homme ou Comissão Nacional de Direitos Humanos), institué en vertu de la résolution n° 27/2010 du Conseil des ministres à la suite de l'engagement du gouvernement portugais dans le cadre de son EPU de 2009. V le site web du Comité.
(14) Le Maroc a créé en 2011 un mécanisme national dénommé « délégation interministérielle aux droits de l'homme », v. Décret n° 2-11-150 du 7 joumada I 1432 (11 avril 2011) portant création d'une délégation interministérielle aux droits de l'Homme et fixant ses attributions et son organisation.
(15) Il s'agit du Comité interministériel pour les droits humains (CIDU - Il Comitato interministeriale per i diritti umani) créé en 1978 dans le but de remplir les obligations internationales en matière de rapports suite à la ratification du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
(16) D'autres ministres peuvent également être concernés. A titre d'exemple, le rapport pour le Comité des droits de l'enfant est élaboré et coordonné par le ministère des affaires sociales. De manière générale, le suivi des observations des organes conventionnels est mené en concertation entre différents ministères. Les recommandations sont systématiquement transmises aux ministères et aux services pertinents qui assurent à leur tour leur suivi.
(17) Examen périodique universel (EPU), République française, Annexe à la réponse aux recommandations reçues le 1er mai 2023, 1er septembre 2023, § 18.
(18) Les mécanismes dépendent souvent du ministère des affaires étrangères mais aussi du Ministère de la justice ou du Premier ministre (comme le Cameroun), Mécanismes nationaux d'élaboration des rapports et de suivi, Etude sur la collaboration des Etats avec les mécanismes internationaux des droits de l'homme, op. cit., p. 19.
(19) C'est le cas du Portugal, de l'Italie, de Maurice, du Bénin ou de la République de Corée.
(20) C'est le cas du Brésil, du Portugal ou de la République de Moldova.
(21) C'est le cas du Danemark ou de l'Espagne.
(22) Rapport du Haut-Commissariat aux droits de l'homme, Consultations régionales sur les données d'expérience et les bonnes pratiques concernant la mise en place et le perfectionnement de mécanismes nationaux de mise en œuvre d'établissement de rapports et de suivi, 4 mai 2022, A/HRC/50/64, §52.
(23) Ibid., § 20. Par exemple, le CIDU italien précité est chargé d'élaborer le plan d'action national « Femmes, Paix et Sécurité » et le plan d'action national sur les entreprises et les droits de l'homme.
(24) Ibid., §23. A titre d'exemple, le CIDU II précité a pour mission d'établir des rapports, de coordonner l'examen de l'Italie dans le cadre de l'EPU et des procédures spéciales, d'interagir dans le cadre des communications individuelles.
(25) Conseil des droits de l'homme, Résolution 42/30 adoptée le 27 septembre 2019, Promotion de la coopération internationale à l'appui des mécanismes nationaux de mise en œuvre, d'établissement de rapports et de suivi, op. cit., § 8 du Préambule.
(26) L'association du Parlement est indispensable, car ce dernier joue un rôle déterminant en encadrant le débat public et en contribuant au suivi et à la mise en œuvre des recommandations.
(27) La coordination avec le pouvoir judiciaire permet de répondre aux communications émanant de particuliers et de recueillir des informations dans le cadre des affaires soumises aux organes conventionnels.
(28) C'est le cas de l'Italie.
(29) Haut-Commissariat des Nations unies, Mécanismes nationaux d'élaboration des rapports et de suivi. Étude sur la collaboration des États avec les mécanismes internationaux des droits de l'Homme, 2016, p. 7.
(30) Le secrétariat général des Nations unies ainsi que le OHCHR l'ont plusieurs fois rappelé, v. Pour plus d'informations sur la relation entre les INDH et NMIRF, v. The Danish Institue for Human Rights, Sébastien Lorion et Rachel Murray, Interactions between NHRIs and NMIRFs: Research and Recommendations, NO. 2023/2, 2023.
(31) C'est le cas notamment des NMIRF du Kenya et du Sénégal, v. Rapport du Haut-Commissariat aux droits de l'homme, Consultations régionales sur les données d'expérience et les bonnes pratiques concernant la mise en place et le perfectionnement de mécanismes nationaux de mise en œuvre d'établissement de rapports et de suivi, op. cit., § 18.
(32) C'est le cas par exemple de l'INDH portugaise qui a le statut d'observateur permanent au sein du NMIRF, le Comité national des droits de l'homme, v. la page dédiée à la structure du site web du Comité et Discours M Eduardo Pinto da Silva, chef de la division des droits de l'homme, ministère des affaires étrangères du Portugal, ancien président du « groupe d'amis sur les NMIRF » in Rapport du séminaire international sur les mécanismes nationaux de mise en œuvre, d'établissement de rapports et de suivi des droits de l'homme, 7-8 décembre 2022.
(33) V. Guide Mécanismes nationaux d'élaboration des rapports et de suivi, Guide pratique sur la collaboration efficace de l'état avec les mécanismes internationaux des droits de l'homme, op. cit., p. 4-5 : « De par leur nature, les INDH doivent rester indépendantes (ce qui souvent se fait en les habilitant à participer, sans avoir le statut de membre ni le droit de vote, aux réunions du mécanisme national d'élaboration des rapports et de suivi) ».
Déclaration pour la création d'un mécanisme national d'élaboration des rapports et de suivi des recommandations dans le cadre des examens de la France par les organisations internationales et régionales des droits de l'homme (D - 2024 - 8)