Avis nos 488915 et 488916 du 4 janvier 2024

Version initiale


  • Le Conseil d'Etat (section du contentieux, 9e et 10e chambres réunies),
    Sur le rapport de la 9e chambre de la section du contentieux,
    Vu les procédures suivantes :
    I. - Sous le n° 488915, par un jugement n° 2108203 du 17 octobre 2023, enregistré le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de Grenoble, avant de statuer sur la demande de M. et Mme D… tendant à la réduction des cotisations primitives d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2019 ainsi que des pénalités correspondantes, a décidé, en application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
    1° Les « droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement », au sens de l'article 1728 du code général des impôts, comprennent-ils, pour les impositions primitives, le montant des sommes déjà versées sous forme de prélèvements à la source ou se limitent-ils au reliquat restant dû par le contribuable ?
    2° En cas d'application de la majoration au seul reliquat d'imposition, quelle conséquence en tirer sur l'impossibilité d'imputation des déficits mentionnés au I de l'article 156 et des réductions d'impôt résultant des dispositions précitées de l'article 1731 bis du code général des impôts ?
    Des observations, enregistrées le 17 novembre 2023, ont été présentées par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
    II. - Sous le n° 488916, par un jugement n° 2102283 du 17 octobre 2023, enregistré le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de Grenoble, avant de statuer sur la demande de M. et Mme R… tendant à la décharge partielle de la majoration appliquée à la cotisation primitive d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2017, a décidé, en application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen la question suivante :
    Les « droits mis à la charge du contribuable », au sens de l'article 1758 A du code général des impôts, comprennent-ils, pour les impositions primitives, le montant des sommes déjà versées sous forme d'acomptes ou de prélèvements à la source, ou se limitent-ils au reliquat restant dû par le contribuable ?
    Des observations, enregistrées le 17 novembre 2023, ont été présentées par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
    Vu les autres pièces des dossiers ;
    Vu :


    - le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
    - le code de justice administrative ;


    Après avoir entendu en séance publique :


    - le rapport de M. Bastien Lignereux, maître des requêtes ;
    - les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;


    Rend l'avis suivant :
    1. Les questions posées, sur le fondement de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, par le tribunal administratif de Grenoble sous les deux numéros visés ci-dessus se rapportent au même sujet. Il y a lieu de les joindre pour y répondre par un même avis.
    2. D'une part, aux termes de l'article 1728 du code général des impôts : « 1. Le défaut de production dans les délais prescrits d'une déclaration ou d'un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt entraîne l'application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement, d'une majoration de :/(…) b. 40 % lorsque la déclaration ou l'acte n'a pas été déposé dans les trente jours suivant la réception d'une mise en demeure, notifiée par pli recommandé, d'avoir à le produire dans ce délai ; (…) ». Aux termes du I de l'article 1758 A du même code : « Le retard ou le défaut de souscription des déclarations qui doivent être déposées en vue de l'établissement de l'impôt sur le revenu ainsi que les inexactitudes ou les omissions relevées dans ces déclarations, qui ont pour effet de minorer l'impôt dû par le contribuable ou de majorer une créance à son profit, donnent lieu au versement d'une majoration égale à 10 % des droits mis à la charge du contribuable ou de la créance indue./La majoration est portée à 20 % en cas de dépôt tardif effectué dans les trente jours d'une mise en demeure ». Enfin, l'article 1731 bis de ce code dispose que : « 1. Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu, les déficits mentionnés aux I et I bis de l'article 156 et les réductions d'impôt ne peuvent s'imputer sur les rehaussements et droits donnant lieu à l'application de l'une des majorations prévues aux b et c du 1 de l'article 1728, à l'article 1729, au a de l'article 1732 et aux premiers et dernier alinéas de l'article 1758. (…) ».
    3. D'autre part, le premier alinéa du 1 de l'article 170 du code général des impôts dispose que : « En vue de l'établissement de l'impôt sur le revenu, toute personne imposable audit impôt est tenue de souscrire et de faire parvenir à l'administration une déclaration détaillée de ses revenus et bénéfices, de ses charges de famille et des autres éléments nécessaires au calcul de l'impôt sur le revenu (…) ». Aux termes de l'article 1664 du même code, applicable à l'imposition des revenus perçus jusqu'à l'année 2018 : « 1. (…) l'impôt sur le revenu donne lieu, (…), à deux versements d'acomptes le 31 janvier et le 30 avril de l'année suivant celle au cours de laquelle sont réalisés les revenus servant de base de calcul de l'impôt. (…)/3. Le solde de l'impôt est recouvré par voie de rôles dans les conditions fixées par l'article 1663. (…) ». Aux termes de l'article 204 A du même code, applicable à l'imposition des revenus perçus à compter de l'année 2019 : « 1. Les revenus imposables à l'impôt sur le revenu suivant les règles applicables aux salaires, aux pensions ou aux rentes viagères ou dans les catégories des bénéfices industriels et commerciaux, des bénéfices agricoles, des bénéfices non commerciaux et des revenus fonciers, à l'exception des revenus mentionnés à l'article 204 D, donnent lieu, l'année au cours de laquelle le contribuable en a la disposition ou de leur réalisation, à un prélèvement./2. Le prélèvement prend la forme :/1° Pour les revenus mentionnés à l'article 204 B, d'une retenue à la source effectuée par le débiteur lors du paiement de ces revenus ;/2° Pour les revenus mentionnés à l'article 204 C, d'un acompte acquitté par le contribuable./3. Le prélèvement effectué par le débiteur ou acquitté par le contribuable s'impute sur l'impôt sur le revenu dû par ce dernier au titre de l'année au cours de laquelle il a été effectué. S'il excède l'impôt dû, l'excédent est restitué ».
    4. En premier lieu, en instituant les sanctions mentionnées aux articles 1728 et 1758 A du code général des impôts, cités au point 2, le législateur a entendu, pour assurer l'égalité devant les charges publiques, améliorer la prévention et renforcer la répression des défauts ou retards volontaires de déclaration de base d'imposition ou des éléments retenus pour la liquidation de l'impôt. Par ailleurs, en privant le contribuable qui a manqué à ses obligations déclaratives au titre de l'impôt sur le revenu, de la possibilité d'utiliser les déficits dont il dispose ou les réductions d'impôt dont il bénéficie pour diminuer le montant de l'impôt dû et des pénalités correspondantes, la disposition prévue à l'article 1731 bis du code général des impôts, cité au même point 2, confère une effectivité renforcée à la prévention et à la répression de ces manquements déclaratifs.
    5. En second lieu, en matière d'impôt sur le revenu, le montant des droits mis à la charge des contribuables est fixé par voie de rôle, sur la base des déclarations annuelles de revenus et bénéfices prévues par l'article 170 du code général des impôts, cité au point 3, indépendamment, le cas échéant, des versements non libératoires déjà effectués en application des modalités de recouvrement prévues à l'article 1664 du code général des impôts puis, à compter de l'institution du prélèvement à la source, à l'article 204 A du même code, cités à ce même point 3.
    6. Il suit de là que, pour l'application des dispositions des articles 1728 et 1758 A du code général des impôts, citées au point 2, le montant des droits mis à la charge du contribuable ayant manqué à ses obligations déclaratives au titre de l'impôt sur le revenu, qui constitue l'assiette des sanctions instituées par ces dispositions, correspond au montant des droits dû tel que mentionné au rôle, sans déduction des éventuels acomptes et retenues déjà versés.
    7. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de répondre à la seconde question posée par le tribunal administratif de Grenoble concernant l'article 1731 bis du code général des impôts.
    8. Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Grenoble, à M. et Mme D…, à M. et Mme R… et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
    Il sera publié au Journal officiel de la République française.
    Délibéré à l'issue de la séance du 20 décembre 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Alexandre Lallet, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat et M. Bastien Lignereux, maître des requêtes-rapporteur.


Rendu le 4 janvier 2024.


Le président,
R. Schwartz


Le rapporteur,
B. Lignereux


La secrétaire,
F. Ghulam

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